Au début de l’année 2020, Sugar Sammy préparait son grand retour au Québec. Je l’avais entendu à New York friser les oreilles des Américains aux Carolines sur Broadway. Aussi à l’aise de leur dire leurs quatre vérités qu’à Paris, où je l’avais vu en 2016 dans la petite salle du Point Virgule, alors qu’il était un parfait inconnu du public français. À peine un an après les attentats de 2015, il avait osé leur lancer : « La France est mon pays arabe préféré », et c’est fou comment les gens avaient ri.

Chauffer le train de son public est sa marque de commerce, peu importe l’endroit où il se produit, en jouant toujours sur les limites et les sujets tabous. À New York, il me disait que son prochain show au Québec irait plus loin que son précédent, qui avait été un immense succès.

Puis la pandémie est arrivée et a tout mis sur la glace, mais il a tenu promesse : You’re gonna rire 2, son nouveau spectacle bilingue, tire sur tout ce qui bouge et sera présenté partout au Québec parce que « c’est là qu’on est rendu », croit-il, aussi sincèrement que François Legault quand il dit : « Au Québec, c’est comme ça qu’on vit. » À noter que ce spectacle bilingue sera aussi présenté d’un océan à l’autre au Canada.

J’ai vu ce spectacle et j’ai ri du début à la fin avec un unilingue francophone (j’ai fait exprès pour en inviter un), qui a compris les blagues à 90 %.

J’ai testé ce spectacle à Montréal et en région, et je pense que les gens comprennent plus les deux langues qu’ils ne les parlent. En région, ils sont prêts pour ça, les salles sont pleines.

Sugar Sammy

Alors que les inquiétudes n’ont jamais été aussi grandes concernant l’avenir du français au Québec, ce pourrait être suicidaire pour une carrière dans la province. Mais c’est tout le contraire qui se produit pour Sugar Sammy. Les 72 000 billets de son spectacle ont été vendus avant même qu’il accorde des entrevues aux médias, et il y aura des supplémentaires tant que ça lui plaira. On peut lire sur une affiche publicitaire : « À ceux qui m’ont dit de retourner dans mon pays : me voilà. » Et tant pis pour ceux qui se réveillent la nuit pour le haïr.

N’empêche, comprend-il cette inquiétude sur le sort de notre langue ? « Oui, et je trouve qu’il faut protéger la langue française. Je ne pense pas que la menace vient de l’anglais ou de l’immigration. Tu veux que les gens issus d’autres origines s’intéressent au français ? Fais en sorte que des gens comme moi puissent être plus présents dans la culture québécoise, en train de le parler. Mais caché derrière le sujet de la langue, on veut que ces gens-là soient “plus québécois”. Alors voici une charte, voici la loi 21… Ce n’est pas la langue, c’est la culture québécoise d’autrefois qu’on veut préserver. Et je pense que la culture change tout le temps. »

Pour Sugar Sammy, l’humour doit être comme la politique : on rit de tout le monde comme on s’en occupe, c’est-à-dire également.

L’humour est un contre-pouvoir

Il n’y a rien de plus important pour Sugar Sammy que d’être libre sur une scène et il s’est toujours arrangé pour protéger son indépendance.

La fonction de l’humoriste est d’être à l’extérieur, dans les marges, et de donner l’heure juste. Pas d’avoir peur de perdre un contrat avec Bell ou de ne pas être invité à Salut Bonjour. Si tu penses comme ça, tu ne peux pas faire du stand-up.

Sugar Sammy

Il n’a pas de scripteur, pas de metteur en scène, il fait tout lui-même en étant auteur, humoriste et producteur. Il a appris sur le tas, sans passer par l’École de l’humour. « C’est un handicap que je n’ai pas », rigole-t-il. Il n’était pas question pour lui de revenir au Québec sept ans plus tard sans avoir complètement renouvelé ses techniques et son écriture, car il se considère comme un éternel étudiant. C’est pourquoi il a voulu repartir à neuf en France. « Quand tu es nouveau quelque part, tu n’as rien à perdre, résume-t-il. C’est ce que je veux garder. Le plus important est de faire le show le plus honnête possible et le reste va suivre. Des humoristes français me disent qu’ils ne pourraient pas faire ce que je fais sur scène. Tant mieux, ça va en faire moins qui vont me voler mes blagues ! »

Pour Sugar Sammy, l’art du stand-up est un contre-pouvoir. Il ne veut pas se retenir de crainte de se fermer des portes dans un milieu. « Pourquoi gâcher sa carrière en voulant faire de la télé québécoise ? », dit celui qui n’en a cure qu’on ne veuille pas de lui à Radio-Canada ou à TVA. Et il prend un malin plaisir, dans son nouveau spectacle, à égratigner le star-système québécois, ce qui est plutôt drôle avec un public réunissant les deux solitudes. « J’éduque les anglos à notre star-système pour leur dire qu’ils n’ont rien raté et, pour le star-système canadien, je dis aux francos que les anglos non plus ne le connaissent pas. »

Hommage à Mike Ward

Sugar Sammy n’a jamais fait de l’humour pour être aimé ou accepté. S’il a testé ses blagues dans une trentaine de pays, c’était pour exercer sa grande capacité d’adaptation, mais aussi pour avoir l’assurance qu’il pourrait toujours pratiquer son métier peu importe où.

J’aime prendre l’état des lieux et donner un compte rendu, et j’aime faire ça partout. J’adore voir dans la salle ce sentiment d’excitation et de danger.

Sugar Sammy

« Les gens me font confiance, ils savent que je vais m’en sortir et que ça ne va jamais tourner en gros malaise. Je suis capable de rebondir très vite et j’ai des armes pour répliquer », poursuit-il.

Quand j’écris sur l’humour, il n’y a que deux humoristes qui me valent des courriels courroucés : Mike Ward et Sugar Sammy. « Je suis en super bonne compagnie, c’est un honneur, dit-il. Mike, c’est le genre d’humoriste dont la société a besoin. Il va marquer l’histoire québécoise, et il sera célébré comme les Yvon Deschamps, Richard Pryor ou Lenny Bruce qui ont subi les mêmes choses que lui. »

Sugar Sammy est très critique envers ceux qui font de l’humour engagé « seulement pour recevoir une tape dans le dos ». « En anglais, on appelle ça not funny. Le public ne veut pas qu’on évite des sujets, il veut que ce soit bien fait. Je veux prendre le risque d’y aller all in, sans filtre. Ce spectacle est mon meilleur travail, j’ai la flamme, je n’ai jamais eu autant de plaisir sur scène. Celui d’avant, c’était juste un réchauffement. »

Consultez le site de l’humoriste

Qui est Sugar Sammy

  • Né à Montréal, Samir Khullar a réalisé ses ambitions internationales. Il s’est produit à ce jour dans 32 pays. Avant même de devenir une vedette ici, il était reconnu comme l’un des « 10 talents en humour à suivre » par le Hollywood Reporter.
  • Au Québec, il a fait le pari d’un spectacle bilingue, You’re gonna rire, qui est devenu la tournée la plus lucrative d’un artiste canadien au pays en 2013 selon Billboard. Dans la foulée, il a remporté l’Olivier de l’année deux fois de suite.
  • Il a déjà vendu 75 000 billets de sa tournée pancanadienne You’re gonna rire 2. Vingt nouvelles dates viennent d’être mises en vente, dont dix à Montréal, deux à Sherbrooke et deux à Trois-Rivières.
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