« Pas d’chicane dans ma cabane ! » Cette expression bien de chez nous résume l’état d’esprit de nombreux Québécois lorsqu’ils écoutent la période des questions. Pourtant, le débat est essentiel en démocratie. Pourrait-on s’inspirer de ce qui se fait mieux ailleurs pour en améliorer la qualité ? Tour d’horizon.

Le fruit est mûr

Marc-André Bodet, professeur de science politique à l’Université Laval, en est convaincu : « On est mûr au Québec pour réfléchir à la façon dont les lois et les politiques sont adoptées. »

Nos façons de faire ont été mises en place dans les années 1930, rappelle-t-il. Les moyens de communiquer ne sont plus les mêmes. Mais si on est prêt pour une réforme, vaut mieux prendre le temps d’y réfléchir. Certaines bonnes idées en apparence peuvent s’avérer de mauvais choix. Un exemple, selon lui : avoir mis fin aux applaudissements au Salon bleu.

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Marc-André Bodet, politologue et professeur à l’Université Laval

« Ça a tué l’énergie et ça diminue l’intérêt pour les débats. Ça fait de la mauvaise télé dans une ambiance mortifère. La force de la politique, c’est cette idée presque sportive qu’un groupe s’oppose à l’autre. Ça prend de la passion. On se plaint de ne plus avoir de très bons orateurs, mais c’est difficile d’être un bon orateur quand il n’y a plus de public », dit-il.

Faut du monde à messe

Grand-messe d’une journée politique à Québec, la période des questions au Salon bleu bénéficierait d’être rebrassée, tant dans la forme que sur le fond. Selon Marc-André Bodet, l’Assemblée nationale mériterait d’abord d’être plus nombreuse.

« Sur toutes sortes de dimensions, notre assemblée législative est trop petite, même quand on la compare à des populations équivalentes à travers le monde. On pourrait avoir jusqu’à 200 députés et ça ne serait pas hors norme », dit-il.

« Si on avait plus de députés, ça permettrait à des gens de se spécialiser et d’avoir des expertises. Le Parlement anglais est typique là-dessus. On y trouve des députés d’arrière-ban qui sont devenus des spécialistes de la politique sur le financement de la santé. Ils ont du temps pour se diviser les dossiers et il y a une quantité importante de députés qui se lancent dans des projets particuliers », ajoute-t-il.

Se parler dans le blanc des yeux

M. Bodet déplore également qu’il y ait une trop grande distance entre les élus au Salon bleu, comparativement à ce qu’on voit dans d’autres parlements de type britannique.

En Australie, par exemple, certains débats entre vis-à-vis se déroulent autour d’une table, placée au centre de la chambre. Les autres députés écoutent l’échange des banquettes.

À Londres, la distance entre les élus est réduite. « Crier à son opposant, c’est plus rare, parce que tu as vraiment l’air fou. Ce n’est pas très élégant. La proximité change la nature de l’échange. On est dans une logique de confrontation, mais de dialogue », explique-t-il.

Au Québec, M. Bodet éliminerait au minimum les bureaux. « Assis sur des banquettes, ça intensifie les choses. Tu rapproches les gens et tu permets aussi d’augmenter le nombre de députés. »

Tout est dans la recherche

Pour améliorer la qualité des échanges et permettre à l’opposition de fonder ses propositions sur des données fiables, Marc-André Bodet suggère de bonifier substantiellement le service de la recherche.

« Les ressources sont largement insuffisantes, surtout si on compare avec les États-Unis. Là-bas, c’est possible pour les députés qui travaillent sur des projets particuliers de faire des simulations économiques », explique-t-il.

Dans le contexte où il est compliqué de donner à l’opposition un accès à la fonction publique, il faut leur fournir « des ressources payées par l’assemblée pour faire des recherches en détail sur des sujets particuliers qui sont non partisans ».

« Les députés ont souvent des idées, mais ils ne savent pas combien ça coûte, si c’est faisable ou si ça rentre dans le cadre réglementaire. Un service de la recherche permet d’ancrer une proposition politique dans le réel », ajoute-t-il.

Et la France, elle ?

L’Australie, les États-Unis, le Royaume-Uni… mais le Québec, fier de ses origines françaises, peut-il importer quelques façons de faire de l’Hexagone ? Jean-Pierre Beaud, expert de la politique française à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), en doute.

« Est-ce qu’on veut s’en inspirer ? À moins que l’on souhaite évidemment un parlement où on s’envoie promener et où on se dit des choses qui ne sont pas très belles, je ne pense pas », tranche-t-il.

Selon lui, le parlementarisme à la britannique a bien des défauts, comme le fait de mal représenter les voix exprimées par la population, mais il produit des majorités fortes et stables. En France, le système fonctionne lui aussi bien lorsque le gouvernement a une majorité, mais « ce qui n’est plus le cas en ce moment ».

« Lorsqu’on débat, on a une forte tendance à s’invectiver, et surtout aujourd’hui. Le Parlement français est à l’image de ce qui se passe aux États-Unis entre les démocrates et les républicains. On n’est plus capable de se parler », explique M. Beaud.

« Alors, que peut-on en tirer ? Souhaitons-nous reprendre les insultes, les noms d’oiseau, comme on appelait ça ? La force même d’une assemblée dans un parlement de type britannique, c’est qu’on peut bien s’insulter, mais on est face à face. À un moment, on est obligé de se dire des choses sympathiques », ajoute-t-il.

Une réforme qui se fait attendre 

Avant les dernières élections, les principaux partis politiques ont déposé leurs propositions pour réformer le parlementarisme au Québec. Plusieurs idées avaient été soumises : augmenter le temps consacré à la période des questions, assurer un nombre minimal de questions, ou encore organiser une fois par année une période des questions destinée à interpeller le premier ministre.

Au début du deuxième mandat de la Coalition avenir Québec (CAQ), le leader du gouvernement, Simon Jolin-Barrette, a affirmé que la relance de cette réforme était une priorité. Or, mis à part quelques avancées négociées entre les partis pour encadre les travaux de la 43e législature (comme l’ajout de déclarations de députés), « nous n’avons pas de nouvelles annonces à faire pour le moment », nous a-t-on répondu.

Lisez le photoreportage « Dans les coulisses de la période des questions »