C’est possiblement le meilleur investisseur dont vous n’avez jamais entendu parler. Il supervise 60 milliards de dollars d’actifs sous gestion. Ses rendements annualisés frôlent les 20 % sur 10 ans. Il nous révèle certains secrets ayant contribué à son succès… et ses plus récentes transactions.

« Je me souviens des bombes qui tombaient fréquemment quand j’étais enfant. Il fallait courir se mettre à l’abri. Parfois, on se cachait dans le sous-sol de l’école où j’ai déjà passé la nuit parce que c’était plus sécuritaire qu’à la maison. »

Né à Beyrouth, Nadim Rizk a grandi au Liban où il a été témoin des atrocités de la guerre.

« J’ai vu des corps éclatés par les bombes. C’est malheureux, mais ça met les choses en perspective. Ça te donne un amour de la vie et une perception différente de quelqu’un qui a eu la vie “facile”. Ce n’est pas une critique, c’est la réalité », dit-il.

Cet investisseur étoile soutient que l’adversité surmontée durant son enfance fait de lui un meilleur gestionnaire. « Quand les marchés bougent, ce n’est pas la fin du monde », lance-t-il.

L’homme de 48 ans aujourd’hui père de trois enfants a quitté le Liban pour Montréal dans les années 1990 afin d’étudier à l’Université McGill.

Après un premier emploi à la division des investissements du CN, il a ensuite travaillé chez Montrusco avant de passer chez Fiera Capital durant la crise financière en mars 2009, au moment précis où le marché boursier touchait son creux.

Il a quitté Fiera il y a deux ans pour fonder Gestion d’actifs PineStone. En 12 ans chez Fiera, l’actif sous gestion dont il était responsable est passé de 300 millions à 60 milliards de dollars.

« On a eu beaucoup de succès à décrocher des mandats de gestion, mais l’essentiel de la croissance de l’actif est venu des rendements générés. Les deux tiers de la valeur créée provient des rendements », dit-il.

Les gens qui ont placé de l’argent avec nous il y a 15 ans ont fait 5 à 10 fois leur mise initiale.

Nadim Rizk

Le rendement annualisé sur 10 ans de sa stratégie d’investissement en actions américaines atteint 19 %, ce qui se compare à 15,5 % pour l’indice S&P 500 pour la même période. L’autre produit qu’il a développé est une stratégie d’investissement en actions internationales. Le rendement annualisé sur 10 ans de cette stratégie s’élève à 16 %, ce qui se compare à 12 % pour l’indice boursier mondial MSCI.

Ce qui est particulièrement intéressant, c’est que la performance est générée avec un style de gestion très traditionnel d’achat à long terme (buy and hold) à la Warren Buffett.

Nadim Rizk dit être toujours pleinement investi dans le marché, mais avec peu de titres, entre 20 et 30, qui sont généralement conservés de 10 à 20 ans.

Rien de très « sexy »

Sa philosophie consiste à identifier des sociétés qu’il qualifie de grande qualité – des multinationales – sur le plan de la gouvernance, de l’éthique et de la transparence et à y investir. Il dit entretenir des échanges réguliers avec les dirigeants de chacune des entreprises en portefeuille. Il est primordial, à ses yeux, que les membres du conseil d’administration de ces entreprises soient irréprochables. « Pas de Mickey Mouse, ni de politique de rémunération discutable ou de structure d’actions à droit de vote multiple », dit-il.

Les titres détenus aujourd’hui en portefeuille n’ont rien de très « sexy ». On retrouve notamment Moody’s (acheté en 2001), Diageo, TJX (Winners, Marshalls, Home Sense, etc.), Taiwan Semiconductors (TSMC), Graco (acheté en 2004), Home Depot, Lowe’s, Mastercard (acheté en 2009), Nike (acheté en 2004), Air Liquide (acheté en 2019), ASML (acheté cette année), Adobe (acheté en 2022), Microsoft (acheté en 2019), LVMH et d’autres.

Nadim Rizk souligne qu’environ 75 % des titres détenus le sont depuis une quinzaine d’années. Il dit pouvoir passer une année et même deux sans effectuer une seule transaction pour l’une ou l’autre de ses deux stratégies d’investissement (américaine et internationale).

Lui et son équipe (ils sont une trentaine d’employés chez PineStone) passent donc l’essentiel de leur temps à produire de l’analyse et de la recherche. « Tout est fait à l’interne : 50 % de notre recherche se fait sur des titres qu’on détient déjà pour s’assurer qu’on est à jour. Le reste s’effectue sur des idées qui nous semblent intéressantes. On connaît peu de compagnies sur l’ensemble du marché, mais celles qu’on connaît, on les connaît très bien », explique Nadim Rizk.

L’an passé, PineStone a acheté des actions d’Adobe après avoir vendu le titre de U.S. Bancorp à la suite de la poussée des titres bancaires propulsée par les premières hausses de taux d’intérêt au début de 2022.

« On voulait acheter du Adobe avant ça, mais on trouvait le titre trop cher. Lorsque les titres de technologies ont commencé à baisser avec les hausses de taux, on a eu l’occasion d’“échanger” U.S. Bancorp pour Adobe et ainsi acheter à un meilleur prix le titre d’une entreprise assez dominante dans son secteur. »

Il soutient ne pas encore avoir effectué un seul changement jusqu’ici cette année dans sa stratégie américaine. « Dans le fonds mondial, on fait en moyenne un ou deux changements par année parce que le bassin de titres est plus grand. »

Son meilleur coup

S’il affirme que son meilleur coup en carrière a été de venir étudier et vivre à Montréal, il estime que son meilleur coup en Bourse est d’avoir acheté massivement l’action de Mastercard en 2009 durant la crise financière. « Ce fut tout un coup de circuit », dit-il.

À l’opposé, il affirme avoir fait plusieurs mauvais coups, mais jamais de désastre majeur. « C’est ce qui aide aussi notre performance. »

Pour illustrer un placement qui a foiré, il cite en exemple l’achat d’actions de Li-Ning, une entreprise concurrente à Nike en Chine qui tient son nom d’un ex-athlète olympique asiatique. « L’entreprise a atteint une certaine taille, mais la distribution, l’inventaire et le pricing n’ont pas été gérés efficacement pendant que nous étions actionnaires », dit-il.

« Il ne faut pas être gêné de dire qu’on a fait des mauvais coups. Investir, c’est prendre une chance sur une entreprise sans connaître l’avenir. L’important est de minimiser les pertes quand survient un mauvais coup et de maximiser les gains avec les bons coups. »

L’ajustement de la pondération des titres dans le temps est un élément tactique important à ne pas négliger. « J’appelle ça le dating, dit-il. On se fréquente, on déménage ensemble, on se marie, et ensuite on fait des enfants ensemble. Un titre, il faut l’étudier, l’acheter et le détenir pendant plusieurs années pour mieux le connaître et développer une belle conviction. »

À propos de Fiera Capital

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Les bureaux de Fiera Capital, avenue McGill College, à Montréal

Bay Street a reçu une onde de choc, il y a deux ans, lorsque Fiera Capital a annoncé le départ de son gestionnaire vedette Nadim Rizk. Il était chef de l’équipe Actions mondiales chez Fiera Capital. « J’avais envie d’être entrepreneur. J’avais le goût de prouver que j’étais capable de me lancer en affaires. » Il soutient être encore très proche du grand patron de Fiera, Jean-Guy Desjardins. « J’avais ça en moi et en tant qu’entrepreneur lui-même, Jean-Guy comprend ça. Il le savait, et l’entente qu’on avait était que je ne partirais jamais en le laissant tomber du jour au lendemain. » Nadim Rizk est donc parti en signant un accord faisant de Fiera un de ses clients chez PineStone. « On l’a fait de la façon la plus amicale possible. On ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs, mais l’objectif est d’être en affaires ensemble longtemps », dit Nadim Rizk.

Fiera est de loin le plus gros client de PineStone en fournissant approximativement 50 des 60 milliards de dollars en actifs sous gestion de la firme (les autres clients de PineStone sont Banque Nationale Investissements, des caisses de retraite, des fondations, des familles fortunées, etc.), L’entente permet aux clients de Fiera de continuer à bénéficier des services de gestion de placement de Nadim Rizk et empêche notamment PineStone de solliciter des clients de Fiera pour transférer des actifs en dehors des stratégies prévues par l’accord. Nadim Rizk avait la responsabilité d’environ le tiers des actifs sous gestion chez Fiera avant son départ en 2021.