Déjà impliquée dans une poursuite au civil et dans deux griefs contre Radio-Canada à la suite de son départ houleux à l’été 2021, Pascale Nadeau est aussi en litige avec son syndicat, a appris La Presse.

L’ex-cheffe d’antenne du Téléjournal reproche au Syndicat des travailleuses et travailleurs de Radio-Canada (STTRC) d’avoir manqué à son devoir de « représentation juste » en agissant de « manière arbitraire » et de « mauvaise foi ».

La plainte de Mme Nadeau a été déposée le 20 avril 2022 auprès du Conseil canadien des relations industrielles, tribunal quasi judiciaire spécialisé en relations de travail au fédéral.

Plus précisément, l’ancienne journaliste accuse le syndicat d’avoir été de mauvais conseil et d’avoir tardé à déposer deux griefs. L’un concerne ce qu’elle considère comme un « congédiement déguisé ».

L’ancienne tête d’affiche en avait fait la demande le 16 mars 2021, les 7 et 8 juillet 2021 ainsi que le 24 août 2021, selon un dossier de près de 800 pages que La Presse a pu consulter.

C’est finalement le 25 août 2021 que le syndicat a amendé un grief existant pour y inscrire la question du « congédiement déguisé ». Or, un tribunal d’arbitrage a conclu le 27 janvier 2022 que ce motif aurait dû faire l’objet d’une plainte distincte. Un deuxième grief a donc été déposé le 16 février 2022, mais le délai de prescription de 30 jours prévu par la convention collective était échu.

« Non seulement le syndicat a omis de faire part [à Pascale Nadeau] des délais prévus à la convention collective pour contester un congédiement déguisé, mais [il] a également omis de lui donner l’heure juste en lui faisant croire qu’il n’était pas nécessaire de déposer une allégation spécifique concernant le congédiement déguisé », argue l’avocate de Mme Nadeau, Sophie Cloutier, du cabinet Poudrier Bradet, dans la plainte.

Réplique

Dans sa réplique, le syndicat affilié à la CSN reconnaît avoir commis une erreur à l’été 2021, mais celle-ci « n’est pas de nature à entraîner sa responsabilité » en vertu de l’article 37 du Code canadien du travail, argue-t-il.

Selon la plainte de Mme Nadeau, le syndicat a non seulement donné un avis mal appuyé, mais il a aussi cherché à « camoufler son erreur » après coup, notamment en faisant pression pour que la décision de l’arbitre rendue le 27 janvier 2022 ne soit pas médiatisée.

Dans un échange courriel daté du 2 février 2022, MJulien Boucher Carrier, avocat du syndicat, suggère « fortement » à Mme Nadeau de ne pas répondre aux questions d’un journaliste de La Presse. « Ça ne ferait que mettre le spotlight sur une nouvelle peu intéressante, en plus des risques pour l’arbitrage », écrit-il.

Grief pour diffamation

Petit rappel des faits : le 17 février 2021, la tête d’affiche de Radio-Canada a été suspendue pendant 30 jours à la suite d’une dénonciation anonyme pour « comportement déplacé » et d’une enquête interne. C’est cette suspension qui a mené au dépôt d’un premier grief, le 25 février.

Le 5 août 2021, Radio-Canada a annoncé dans un communiqué le « départ à la retraite » de sa cheffe d’antenne, alors en congé de maladie depuis plusieurs mois. « L’équipe de direction de l’Information souhaitait vivement son retour à l’antenne cet automne », écrira Michel Bissonnette, vice-président principal de Radio-Canada, dans un communiqué. Cette version est contredite par Pascale Nadeau, qui soutient avoir été poussée vers la sortie.

En plus de ses requêtes de grief pour « congédiement déguisé », Pascale Nadeau a aussi demandé à son syndicat, le 24 août 2021, de déposer une plainte contre son employeur pour diffamation et atteinte à la réputation.

Cette demande visait les déclarations de la direction de Radio-Canada ainsi que des tweets publiés le 19 août 2021 qui faisaient état de « plusieurs victimes et témoins » liés à sa suspension. « Ce qui était en complète contradiction avec les conclusions du rapport d’enquête » du diffuseur public, lit-on dans la plainte.

Mme Nadeau soutient que le syndicat a mis trop de temps à déposer un grief vis-à-vis ses allégations d’atteinte à la réputation et de diffamation. Dans un premier temps, un conseiller de la CSN avait erronément indiqué à la cheffe d’antenne que seule la Cour supérieure avait compétence pour trancher ces questions. Celles-ci ont finalement été ajoutées au grief pour « congédiement déguisé » du 16 février, au-delà du délai de prescription.

Le syndicat prétend que le cabinet Woods, mandaté par Mme Nadeau, a mis plus de cinq mois à déterminer si l’arbitre avait compétence en la matière. La question « est suffisamment complexe pour qu’on ne puisse reprocher au Syndicat un avis contraire et non remis en question par la plaignante pendant plusieurs mois », fait-il valoir.

Il reste à savoir si l’arbitre de griefs acceptera de prolonger les délais normaux prévus par la convention, ce que souhaitent les deux parties.

Honoraires et dommages

Pascale Nadeau demande au Conseil canadien des relations industrielles que le grief « contestant son congédiement déguisé, la diffamation et le harcèlement psychologique dont elle a été victime » soit entendu en arbitrage avec l’avocat de son choix, aux frais du syndicat.

L’ancienne présentatrice réclame aussi des dommages-intérêts à déterminer « en raison du stress, des inconvénients et des pertes découlant des fautes du syndicat ».

Aucun jugement n’a encore été rendu.

Les deux parties ont refusé de commenter le dossier puisque les procédures sont toujours en cours.

Les audiences sur le fond du premier grief, qui concerne la suspension, se poursuivent cet hiver.