(Kyiv) L’armée russe poursuivait lundi son offensive tous azimuts en Ukraine, bombardant la deuxième ville du pays Kharkiv et resserrant son étau sur la capitale Kyiv, alors qu’une troisième séance de négociations russo-ukrainienne était prévue dans la journée, sans grand espoir de succès.

L’aggravation du conflit et la possibilité d’un embargo sur le pétrole russe provoquaient lundi matin une poussée de fièvre sur les marchés internationaux, avec des hausses vertigineuses du pétrole et de l’or et une lourde chute des bourses en Asie.

D’intenses bombardements aériens ont frappé dans la nuit de dimanche à lundi Kharkiv, dans le nord-est de l’Ukraine, visant notamment un complexe sportif d’une université locale et des immeubles civils, selon un journaliste de l’AFP.

Selon l’état-major ukrainien, les forces russes concentrent leurs efforts sur Kharkiv, Tcherniguiv (nord), Soumy (nord-est) et Mykolaïev (sud) et « accumulent leurs ressources pour lancer un assaut » sur Kyiv.

Dans la capitale, l’armée se tenait prête à détruire le dernier pont reliant la ville à son arrière-pays à l’ouest pour freiner la progression des chars russes.

« Si nous recevons l’ordre d’en haut, ou si nous voyons les Russes avancer, nous le ferons sauter… avec le plus grand nombre de chars ennemis possible », a déclaré le sergent « Casper », d’une unité de volontaires ukrainiens.

D’intenses combats ont eu lieu toute la journée de dimanche dans la périphérie de Kyiv, selon l’administration régionale ukrainienne, notamment autour de la route menant vers Jytomyr (150 km à l’ouest de Kyiv), ainsi qu’à Tcherniguiv (150 km au nord de la capitale).

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Les cadavres de personnes tuées par les bombardements russes gisent dans la rue de la ville d’Irpin, en Ukraine.

Dans les faubourgs ouest de Kyiv, à Irpine, « du matin au soir, tous les bâtiments voisins ont été touchés, un tank est entré. C’était effrayant, nous avons eu peur. Avant cela, nous ne pensions pas que nous allions partir », a témoigné Tetiana Vozniuchenko, 52 ans.

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Des incendies ont été déclenchés par les frappes russes à Marioupol, le 3 mars.

L’armée russe poursuivait par ailleurs son siège du port stratégique de Marioupol, sur la mer d’Azov dans le sud-est du pays, où une deuxième tentative d’évacuation humanitaire a échoué dimanche. Et le président ukrainien Volodymyr Zelensky a accusé la Russie de s’apprêter à bombarder le port d’Odessa, sur la mer Noire.

Des missiles russes tirés depuis la mer se sont abattus lundi sur le village de Touzly, dans la région d’Odessa, a indiqué un porte-parole militaire régional, Sergueï Bratchouk. Selon lui, les tirs ont visé des « sites d’infrastructures cruciales », mais n’ont pas fait de blessé.

Des responsables américains, cités par le Wall Street Journal, ont affirmé que la Russie avait recruté des mercenaires syriens ayant l’expérience de la guérilla urbaine pour aller se battre en Ukraine.

Une troisième séance de négociations entre Russes et Ukrainiens était prévue lundi. Mais les espoirs de succès sont minces, le président russe Vladimir Poutine ayant posé comme condition préalable à tout dialogue l’acceptation par Kyiv de toutes les exigences de Moscou, notamment la démilitarisation de l’Ukraine et un statut neutre pour le pays.

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Un soldat ukrainien se tient à côté d’une barrière antichar installée dans le centre de Kyiv, le 6 mars.

Les deux sessions précédentes de pourparlers, à la frontière ukraino-biélorusse puis à la frontière polono-biélorusse, avaient toutefois abouti à un accord sur la mise en place de « couloirs humanitaires » pour l’évacuation des civils.

Centrales nucléaires

Dimanche soir, lors d’un entretien téléphonique avec le président français Emmanuel Macron, M. Poutine a affirmé qu’il « atteindrait ses objectifs » en Ukraine « soit par la négociation, soit par la guerre », selon l’Élysée.

Il a cependant assuré qu’il « n’était pas dans son intention de procéder à des attaques des centrales nucléaires » et s’est dit « prêt à respecter les normes de l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique) pour la protection des centrales », a déclaré la présidence française à la presse.  

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Les restes incendiés d’un bâtiment détruit par les bombardements de l’armée russe dans la deuxième plus grande ville ukrainienne de Kharkiv.

Après le bombardement – nié par Moscou – le 4 mars de la centrale nucléaire de Zaporojie (sud), la plus grande d’Ukraine et d’Europe, qui a fait craindre une catastrophe, l’AIEA a été informée par Kyiv que la direction de la centrale était désormais sous les ordres des forces russes.

D’après les autorités ukrainiennes, seules les communications par téléphone mobile y sont encore possibles, mais de mauvaise qualité, et le chef de l’AIEA Rafael Grossi s’est dit « profondément préoccupé » par « la détérioration de la situation concernant les communications vitales entre l’autorité de régulation et la centrale ».

L’armée russe, de son côté, a accusé les Ukrainiens de chercher à provoquer une fuite radioactive à Kharkiv pour ensuite en accuser Moscou.

Au cours de son entretien avec Emmanuel Macron, Vladimir Poutine a aussi de nouveau « nié que son armée prenne des civils pour cibles », et a réaffirmé que « la responsabilité revenait aux Ukrainiens de laisser partir la population des villes encerclées », selon la présidence française.

« Nous ne pardonnerons pas »

La Cour pénale internationale a ouvert une enquête sur la situation en Ukraine, l’Organisation mondiale de la Santé a fait état d’attaques sur des installations sanitaires, et Washington a fait état d’informations « très crédibles » selon lesquelles la Russie a commis des crimes de guerre depuis le début de l’invasion le 24 février.

Dans un discours dimanche, M. Zelensky a accusé les troupes russes de « meurtres délibérés ». « Nous ne pardonnerons pas, nous n’oublierons pas, nous punirons quiconque aura commis des atrocités pendant cette guerre sur notre terre », a-t-il dit.

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Un homme aide une femme à se mettre à l’abri après des bombardements à Irpin, près de Kyiv, le 6 mars.

Le Haut Commissaire de l’ONU aux réfugiés Filippo Grandi a estimé que la guerre en Ukraine avait déclenché « la crise des réfugiés la plus rapide en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale ».

« Plus de 1,5 million de réfugiés venant d’Ukraine ont traversé (la frontière) vers les pays voisins en dix jours », a indiqué dimanche M. Grandi.

Les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande ont demandé à Interpol de suspendre la Russie, a tweeté la ministre britannique de l’Intérieur Priti Patel, selon qui « les actes de la Russie constituent une menace directe pour la sécurité des individus et la coopération internationale en matière d’application de la loi ».

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Des réfugiés ukrainiens se reposent à la garde de Cracovie, le 6 mars.

Flambée du pétrole, chute des Bourses

L’aggravation du conflit et l’arrêt quasi total des exportations russes continuent de faire flamber les prix du pétrole. Le baril de Brent de la mer du Nord a frôlé lundi matin les 140 dollars, proche du record absolu.

Dans la foulée, les Bourses de Tokyo et de Hong Kong chutaient de plus de 3 % lundi matin. Et l’or, valeur-refuge par excellence, a dépassé les 2000 dollars l’once.

L’envolée des cours du pétrole intervient après des déclarations dimanche du chef de la diplomatie américaine Antony Blinken, selon qui les États-Unis et l’Union européenne discutent « très activement » de la possibilité d’interdire les importations de pétrole russe.

La ministre allemande des Affaires étrangères Annalena Baerbock s’est toutefois déclarée opposée à un embargo sur le gaz, le pétrole et le charbon russes, estimant que les sanctions devaient pouvoir « tenir sur la durée ».

« Ca ne sert à rien si dans trois semaines on découvre que nous n’avons plus que quelques jours d’électricité en Allemagne et qu’il faut donc revenir sur ces sanctions », a déclaré Mme Baerbock à la chaîne ZDF.

« Nous sommes prêts à payer un prix économique très très élevé », mais « si demain, en Allemagne ou en Europe, les lumières s’éteignent, ça ne va pas arrêter les chars », a-t-elle ajouté.

L’Allemagne importe de Russie 55 % de son gaz, 42 % de son pétrole ainsi que du charbon, une dépendance pour laquelle Berlin a fait son autocritique depuis l’invasion de l’Ukraine mais qui va nécessiter des années pour être réduite.

Même si le pétrole est exempté pour l’instant de sanctions, les exportations russes ne trouvent plus preneur. Le britannique Shell est l’un des seuls groupes pétroliers à s’y être risqué la semaine dernière en achetant 100 000 tonnes de brut, suscitant la colère du gouvernement ukrainien.