(Ottawa) Le coût de la nouvelle flotte d’avions de chasse F-35 a déjà augmenté de plus de 45 % depuis la conclusion en 2022 d’un nouvel accord par le gouvernement fédéral pour en faire l’acquisition. La facture est passée de 19 milliards à 27,7 milliards, constate la vérificatrice générale, Karen Hogan, dans l’un de ses quatre rapports déposés mardi.
« Il y a des éléments qui étaient dans le contrôle du Ministère et d’autres qui étaient imprévus qui exigent une meilleure gestion des risques et un meilleur suivi par la Défense nationale », a-t-elle affirmé en conférence de presse mardi.
D’abord, le premier devis rendu public par le gouvernement en 2023 était fondé sur des prix déjà périmés. Ensuite, le taux d’inflation, les fluctuations dans les devises étrangères et la demande à la hausse pour les munitions ont aussi eu un impact. Et la facture risque d’être encore plus salée puisque cette prévision n’inclut pas la mise à niveau des infrastructures requises et l’armement perfectionné ajouté aux appareils, ce qui coûterait au moins 5,5 milliards.

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La vérificatrice générale du Canada, Karen Hogan
La construction de ces infrastructures à Bagotville, au Québec, et à Cold Lake, en Alberta, accuse « un retard de plus de trois ans » et ne devrait être terminée qu’en 2031. Entre-temps, il faudra aménager des installations temporaires pour les nouveaux avions, dont les coûts « ne sont pas encore inclus dans les estimés », note la vérificatrice générale.
Le gouvernement Trudeau avait annoncé l’achat de 88 avions furtifs F-35 au début de 2023 pour remplacer la flotte vieillissante des CF-18. Quatre nouveaux appareils devaient alors être livrés en 2026. Le Canada disposera finalement de huit avions cette année-là pour commencer la formation des pilotes. La livraison doit s’échelonner jusqu’en 2032.
Or, peu de temps après son arrivée en poste à la mi-mars, le premier ministre Mark Carney a lancé une révision de l’accord conclu avec le gouvernement des États-Unis et les constructeurs Lockheed Martin/Pratt & Whitney en raison des tensions avec l’administration Trump. L’argent a déjà été versé pour 16 avions, mais Ottawa pourrait par la suite se tourner vers des constructeurs européens.
L’évaluation de la vérificatrice générale s’est déroulée bien avant que cette décision ne soit prise, soit du 1er janvier 2023 au 30 septembre 2024.
Les oppositions réagissent
Le chef conservateur, Pierre Poilievre, attend le rapport qui doit être rendu public durant l’été avant de prendre position. « Évidemment, on a besoin des avions de chasse, c’est sûr, a-t-il reconnu en point de presse. On ne peut pas avoir d’autres délais. On ne peut pas avoir d’autres coûts supplémentaires. »
Le Bloc québécois est peu favorable à un changement de constructeur.
De retirer nos billes à ce moment-ci aurait un coût énorme, mais minimalement on pourrait le chiffrer, par contre, et c’est ce qu’on demande pour la suite, qu’il y ait de la transparence, qu’il y ait de l’imputabilité.
Christine Normandin, leader parlementaire du Bloc québécois
Seul le Nouveau Parti démocratique presse le gouvernement de déchirer l’accord signé avec les Américains. « Il faut abandonner ce programme-là, qui est trop coûteux et qui met en cause notre souveraineté », a tranché son leader parlementaire, Alexandre Boulerice.

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Le ministre de la Défense nationale, David McGuinty
Le ministre de la Défense nationale, David McGuinty, attend lui aussi les conclusions de son ministère avant de prendre position. « Nous allons commencer avec 16 et nous allons voir où nous en sommes », a-t-il déclaré en mêlée de presse à sa sortie de la réunion du Cabinet.
Longue saga
L’acquisition des F-35 est une véritable saga qui dure depuis 15 ans. Un processus avait été lancé par les conservateurs sous Stephen Harper, puis annulé par le premier ministre libéral Justin Trudeau après son élection en 2015.
Le gouvernement Carney a annoncé lundi une augmentation des dépenses militaires de 9 milliards dans le but d’atteindre la cible de 2 % du produit intérieur brut fixée par l’OTAN dès 2025-2026.
Par ailleurs, la pénurie de pilotes qualifiés est toujours aussi criante six ans après le dernier rapport de la vérificatrice générale sur la force aérienne de combat du Canada. Il s’agit, selon Karen Hogan, de « l’un des plus grands défis à relever pour la Défense nationale ».
Le Ministère « n’aura pas suffisamment de pilotes formés lorsque tous les F-35 arriveront au Canada », a-t-elle signalé sans révéler le chiffre, qui est confidentiel.
Mme Hogan émet quatre recommandations, dont celle d’inclure « tous les éléments requis pour atteindre la pleine capacité opérationnelle » lorsque le Ministère rend publique l’estimation des coûts de la mise en service des F-35.
Le ministre McGuinty a indiqué dans un communiqué qu’il veillerait à ce que « les recommandations de la vérificatrice générale soient entièrement intégrées ». Il a ajouté que la hausse du budget comprend « des fonds de prévoyance supplémentaires ».