(Ottawa) Le PDG de Meta, Mark Zuckerberg, est convoqué par un comité des Communes pour la troisième fois en quatre ans – cette fois à cause de la menace de l’entreprise technologique de bloquer les nouvelles des Canadiens sur ses plateformes de médias sociaux.

Cette décision a été prise lundi, après que Meta, qui possède Facebook et Instagram, a annoncé, la semaine dernière, son intention de bloquer les nouvelles sur ses plateformes de réseaux sociaux si les libéraux persistent à faire adopter la Loi sur les nouvelles en ligne dans sa forme actuelle.

Le projet de loi C-18 obligerait les géants du numérique à payer les médias canadiens pour les liens qui mènent à leur contenu journalistique, ou pour toute autre utilisation de leurs nouvelles en ligne.

Le Comité du patrimoine a convenu lundi de convoquer à comparaître, lors d’une prochaine réunion, Mark Zuckerberg ainsi que le président des affaires mondiales de la société, Nick Clegg, et le dirigeant de Meta Canada, Chris Saniga.

Le comité parlementaire a aussi accepté de demander le dépôt de documents internes et externes de Meta et de Google, qui a récemment bloqué l’accès aux nouvelles pour certains utilisateurs canadiens afin de tester une réponse possible au projet de loi C-18. Certains critiques qualifient cette demande de violation de la vie privée et de « chantage ».

Meta n’a pas voulu répondre aux questions, lundi, indiquant que l’entreprise voulait s’adresser directement au comité.

« Comme l’a déjà dit le ministre du Patrimoine canadien, la façon dont nous choisissons de nous conformer à la Loi sur les nouvelles en ligne est une décision commerciale que nous devons prendre », a simplement indiqué la porte-parole, Lisa Laventure, dans un communiqué.

Elle faisait référence à la réponse du ministre Pablo Rodriguez, l’automne dernier, aux questions de savoir si le gouvernement essayait d’empêcher les entreprises de bloquer le contenu des nouvelles. « Il s’agit d’une décision commerciale qui doit être prise par la plateforme », déclarait M. Rodriguez en octobre.

M. Zuckerberg a ignoré à deux reprises auparavant les convocations d’Ottawa : d’abord en 2019, lorsque le Comité de l’éthique se penchait sur la vie privée des utilisateurs de plateformes, puis en 2021, lorsque le même Comité du patrimoine étudiait une loi australienne similaire au projet de loi C-18.

La Chambre des communes n’a pas le pouvoir de convoquer des personnes qui vivent à l’extérieur du Canada, mais elle peut faire exécuter la convocation si ces personnes mettent les pieds au pays – une décision qui serait considérée comme extrêmement rare.

Une demande antidémocratique ?

La Chambre de commerce du Canada s’inquiète par ailleurs de la décision du comité de demander des documents internes, qu’elle qualifie d’« antidémocratique ». L’organisme craint notamment que les communications de tierces parties ne soient ainsi transmises au comité, par la bande.

« Exiger et obliger que ces informations soient partagées avec eux dans un forum public ne respecte même pas les propres normes du gouvernement en matière d’accès aux informations qu’ils doivent fournir au public », a soutenu Matthew Holmes, vice-président principal de la Chambre de commerce du Canada pour les relations gouvernementales.

Un député libéral membre du comité rejette ces craintes. « Les communications externes que nous demandons maintenant n’incluent pas de correspondance avec des individus et concernent uniquement des échanges sur les gestes que l’entreprise envisageait de poser ou sur les options qu’elle envisageait », a indiqué lundi le député libéral Anthony Housefather dans une déclaration écrite.

« Que ce soit entre collaborateurs internes ou avec des conseillers externes, les communications demandées sont ciblées et raisonnables. »

Le PDG de la Chambre de commerce du Canada, Perrin Beatty, a également écrit une lettre au comité, dimanche, affirmant que cette décision constituait une grave menace pour la vie privée des Canadiens, en particulier ceux qui s’opposent au projet de loi sur les nouvelles en ligne.

« Chaque individu et chaque organisation au Canada a le droit de décider s’il appuie le projet de loi C-18 ou toute autre mesure législative présentée au Parlement. Ils devraient être libres de le faire sans crainte de représailles pour leurs opinions », a écrit M. Beatty.

Scotty Greenwood, PDG du Canadian American Business Council, s’est également dite préoccupée par cette demande d’Ottawa d’obtenir des documents internes. « Ça ressemble à du chantage gratuit visant les États-Unis. »

Elle a également critiqué le moment choisi pour cette résolution, qui a été adoptée trois jours avant que le président américain, Joe Biden, ne rencontre des parlementaires canadiens.

« Si les rôles étaient inversés et que la législature américaine ciblait des entreprises canadiennes, il y aurait un scandale au Canada », a déclaré Mme Greenwood.

Son organisme a tenu vendredi des tables rondes avec de hauts responsables du gouvernement américain sur la prochaine visite de M. Biden et son programme, a-t-elle déclaré. « Dans l’ensemble, nos membres sont préoccupés par le ciblage des entreprises américaines. »

Un nouvel examen

Pourtant, le comité a également accepté lundi d’entreprendre un examen encore plus approfondi sur ce qu’il considère être un abus de pouvoir des géants de la technologie du monde entier.

C’est le député libéral Housefather qui a présenté lundi au Comité du patrimoine la motion pour ce nouvel examen. Il a été appuyé par les autres membres libéraux du comité, ainsi que par les néo-démocrates et les bloquistes ; les membres conservateurs se sont abstenus.

« Il ne s’agit pas seulement de C-18 », a expliqué M. Housefather. Ce nouvel examen du comité abordera « des questions plus larges sur la façon dont les très grandes entreprises utilisent des tactiques anti-[concurrentielles] et monopolistiques pour chercher à influencer les parlements afin qu’ils répondent à leurs désirs ».

« Il ne s’agit pas de savoir si C-18 est la bonne ou la mauvaise approche, mais de savoir comment les entreprises technologiques répliquent à ce projet de loi et à d’autres lois similaires dans le monde. »

Meta finance quelques bourses pour soutenir les journalistes émergents à La Presse Canadienne.