Le métier, les médias, la salle de rédaction de La Presse, et vous.

Il y a eu le séisme qui a frappé la Turquie et la Syrie. Plus de 28 000 morts.

Il y a eu le drame à Laval. Deux jeunes enfants tués.

Il y a eu l’incendie dans Lanaudière. Une famille de six personnes a péri.

Et je ne vous parle ici que de la dernière semaine : sept jours, et un nombre effarant de morts en manchette.

Il est assez évident que les nouvelles sont lourdes ces temps-ci. Mais à vous lire, chers lecteurs, les nouvelles rapportées par les médias seraient lourdes… tout le temps !

Vous avez été nombreux à réagir à mon texte du 29 janvier dernier sur « l’évitement actif1 », cette distance que certains semblent prendre avec les nouvelles négatives.

Sur les quelque 800 courriels, plusieurs ont affirmé ne pas avoir changé leurs habitudes avec la pandémie. Ils continuent de lire beaucoup, et sont très fiers de dire qu’ils sont informés (et qu’ils s’abreuvent à La Presse !).

« J’aime lire les nouvelles pour comprendre le monde, et pour pouvoir le changer », note Christian Laplace.

D’autres mentionnent qu’ils butinent davantage, qu’ils choisissent avec plus d’attention les sujets qui méritent leur temps.

« Je suis de plus en plus écœurée de la race humaine, de ses méfaits et incuries, écrit Suzanne Larocque. On dirait que mon bouclier protecteur ne fonctionne plus. »

Tandis que plusieurs autres lecteurs ont reconnu avoir carrément diminué leur consommation d’info en général, soit pour ménager leur santé mentale (« actuanxiété »), soit parce qu’ils se sentent impuissants ou qu’ils cherchent en vain des nouvelles positives2.

La critique revient souvent, je le sais bien : on nous accuse, nous les médias, de sensationnalisme, de n’en avoir que pour le sang et les morts, de nous complaire dans le négatif pour accroître les clics.

Michel Serres parlait d’une « société de mise en scène de la peur ». Luc Ferry a évoqué un « audimat de l’indignation ».

Tout n’est pas faux là-dedans. Mais vous me permettez un autre son de cloche ?

On ne met pas l’accent sur les nouvelles négatives pour « vendre de la copie », comme le veut l’expression (et je ne dis pas ça juste parce qu’on ne vend plus de copies !).

On met l’accent sur les nouvelles négatives parce que ce sont ces nouvelles-là qui vous intéressent, qui nous intéressent collectivement. Non par fascination morbide, mais parce qu’elles nous interpellent pour toutes sortes de raisons. Parce qu’elles nous touchent, nous indignent, nous bouleversent. Et parce qu’on veut savoir ce qui se passe dans le monde et dans notre monde.

C’est parce qu’on sait qu’il y a une guerre qui se prolonge en Ukraine et qu’on est confrontés quotidiennement à cette horreur qu’on transfère de l’argent à l’UNICEF ou qu’on appuie l’envoi de chars d’assaut par le gouvernement.

C’est parce qu’on sait que de terribles séismes ont secoué la Turquie en plein hiver qu’on apporte des manteaux au Centre communautaire turc de Montréal ou qu’on donne à la Croix-Rouge.

Et de la même manière, c’est parce que l’on connaît les détails du drame survenu à Sainte-Rose mercredi dernier qu’on est mieux outillés pour en parler à nos enfants… qui ne peuvent échapper aux nouvelles, pas plus que nous autres d’ailleurs.

Car avant d’être des nouvelles, ce sont des tragédies qui ne disparaissent pas simplement parce qu’on les zappe.

Je pourrais vous citer plusieurs théories justifiant notre intérêt collectif pour les nouvelles négatives.

Certains vous diront que c’est la théorie de la sélection naturelle : on est bâti pour apprendre à partir du mal et des expériences funestes afin de les éviter, d’où une attention portée à ce qui nous aide à survivre.

D’autres vous diront que le négatif s’imprime davantage dans le cerveau que le positif : si vous recevez 10 commentaires sur votre travail dont un seul qui pique, c’est celui qui vous hantera pendant des jours. « Notre cerveau fonctionne comme du velcro avec le mal et du téflon avec le bien », ai-je lu dans le Psychology Today.

Mais peu importent les théories. De manière plus prosaïque, nous voulons savoir quand des drames se produisent parce qu’ils viennent nous chercher de toutes sortes de façons.

Ils nous concernent (COVID-19), ils nous choquent (Ukraine), ils nous attristent (la mort de Karim Ouellet), ils nous bouleversent (Laval), ils nous indignent (attaque du Capitole), ils nous incitent à porter assistance (Turquie), ils nous poussent à exiger des changements (la jeune Mariia happée par une auto).

Autant de sujets qui ont fait grimper les taux de lecture, je ne vous le cache pas. C’est ainsi que vous avez été plus nombreux à nous lire sur notre application mobile mercredi dernier, à la suite du drame de Laval, qu’à n’importe quel autre moment depuis près d’un an. Même s’il s’agissait d’une nouvelle négative dans un cycle de nouvelles fort négatives.

La dernière fois que vous aviez été aussi nombreux ? Je vous le donne en mille : au déclenchement de l’offensive russe en Ukraine, en février 2022.

Deux évènements pour lesquels nous avons déployé de grands efforts à La Presse pour que vous en sachiez le plus possible.

Non pas parce que ça attire les clics. Mais parce que ça nous concerne tous.

1. Lisez le calepin sur l’évitement actif

2. Pour les lecteurs qui cherchent des nouvelles positives, rendez-vous tous les jours dans la section La sélection de La Presse mobile, où vous trouverez les textes avec angle positif. Ou encore, abonnez-vous à notre infolettre L’angle positif.

Abonnez-vous à notre infolettre L’angle positif Écrivez à François Cardinal