La PDG de CBC/Radio-Canada a créé la surprise en début de semaine lorsqu’elle a affirmé que la télévision et la radio traditionnelles de la société d’État allaient plonger dans un univers 100 % numérique d’ici à 10 ans.

Quelques heures après la publication de cette déclaration dans le Globe and Mail, elle a corrigé le tir. Il n’est pas question d’emprunter un tel virage aussi longtemps que tous les Canadiens n’auront pas accès à un système internet haute vitesse.

Catherine Tait parle maintenant d’une mutation étalée sur 20 ans. C’est moins audacieux que l’échéance de 2030 annoncée par les patrons de la BBC, en Angleterre.

Dix ou vingt ans… Il est tout de même étonnant que la PDG fasse de tels pronostics alors que son mandat vient à échéance, en principe, dans six mois. Elle devrait plutôt laisser cela à la personne qui va lui succéder. À moins que Catherine Tait désire imiter Hubert Lacroix et prolonger son mandat.

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Catherine Tait, PDG de Radio-Canada

Quand on entend parler de virage numérique dans le monde de la télévision, on se dit tout de suite que ce changement signifiera la disparition de la télé traditionnelle ou, si vous préférez, de la télévision linéaire avec des émissions programmées à heure fixe.

Je suis loin d’être convaincu que la révolution du numérique, qui passe notamment par l’avènement de la télévision en continu (streaming), va éliminer la télévision traditionnelle. En tout cas, j’ai passé la semaine à me demander si je pourrais vivre sans ce modèle qui m’accompagne depuis la naissance.

Et vous, le pourriez-vous ?

Moi, c’est simple, je veux les deux. Je veux pouvoir choisir à la carte et je veux d’une télé qui va me faire vivre des moments d’émotion en même temps que des centaines de milliers d’autres personnes. Cet aspect est d’ailleurs le plus souvent montré du doigt par les spécialistes du monde des médias.

Bien sûr, il y a le live streaming qui est de plus en plus populaire, mais il est surtout réservé à de grands évènements.

Est-ce que la folie de la diffusion en continu va tuer cet état absolument unique qui est celui de vivre collectivement un évènement télévisuel ? Est-ce qu’il nous empêchera, nous les Québécois, si friands de télévision, de nous rassembler pour assister à la naissance d’une émission ou à la finale d’une série ?

La montée en puissance de la télévision en continu me fait craindre un autre phénomène que personne ne semble voir pour le moment : l’équilibre des genres. Si je vous demande ce que vous regardez sur ces plateformes, je suis sûr que vous allez me dire que ce sont des séries.

Est-ce que ces plateformes vont finir par faire de l’ombre aux autres types d’émissions (information, variétés, jeux-questionnaires, émissions jeunesse, documentaires) ? Allons-nous entrer dans une ère de fiction ?

Un autre effet du modèle « à la carte » touche notre relation avec les œuvres télévisuelles. Les plateformes en continu nous ont fait découvrir le phénomène du « gavage d’écoute » (binge-watching ou marathon viking), cette façon que nous avons de regarder plusieurs épisodes en rafale.

Fini la période de sept jours avant de découvrir ce qui va se produire dans le prochain épisode, fini les hypothèses devant la machine à café, fini l’attente d’une suite. Aujourd’hui, c’est à qui engloutira le plus vite les dix épisodes d’une série afin de pouvoir aller directement au but. Et épater la galerie.

Je me demande pourquoi les scénaristes se cassent le bicycle à trouver des punchs pour clore leur épisode. Le générique de la fin d’un épisode n’est pas encore terminé qu’on enchaîne avec le suivant.

Et cela a des séquelles sur notre humeur. Depuis la fois où j’ai regardé six épisodes d’affilée de Six Feet Under et que j’en suis ressorti plus déprimé que Jacques Brel en peine d’amour au lendemain d’une cuite, j’ai décidé que je ne ferais plus jamais cela.

La diffusion en continu n’a rien de nouveau. À partir du moment où les magnétoscopes nous ont offert la possibilité d’enregistrer, on a mis le bras dans le tordeur. Ce fut le début de l’écoute personnalisée.

Je suis mal placé pour résister à cette révolution, moi qui travaille pour un quotidien qui a pris un sérieux virage numérique il y a quelques années. Pour moi, la télévision se consomme de mille façons. Les écrans de ma tablette, de mon ordi ou de mon téléphone sont des écrans de télévision.

Mais emportés par ce grisant tourbillon, ne perdons toutefois pas de vue le contenu qui doit apparaître sur ces écrans. Quand j’entends des gens dire que la télévision passe pour eux par des vidéos courtes sur YouTube ou sur Facebook, j’avoue que je suis inquiet. Ce n’est pas avec des images de chiens à trois pattes ou des balados insignifiantes qu’une société grandit.

Ce serait bien de réfléchir davantage à ces questions plutôt que de balancer des dates de péremption à des technologies.

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C’est un début d’année difficile pour certaines plateformes. Pour contrer la baisse d’abonnés et de revenus, Netflix veut empêcher le partage des mots de passe et Disney+va licencier 7000 employés.

La concurrence est féroce. On se bat pour nous avoir. Et comme une seule plateforme ne peut combler tous nos besoins, nous déboursons une jolie somme chaque mois pour avoir accès à plusieurs.

Nous commençons à réaliser que cela coûte cher.

Parlant de sous et de plateformes, l’occasion est belle de rappeler que notre industrie de la télévision repose sur un système de financement public. Les émissions produites pour les plateformes canadiennes (ou québécoises) bénéficient du même soutien, c’est-à-dire du Fonds des médias (fédéral) et de la SODEC (provincial). À cela s’ajoutent des crédits d’impôt d’Ottawa et de Québec.

L’argent que nous déboursons pour un abonnement à une plateforme canadienne devrait remplacer (en principe) les revenus des annonceurs qu’on retrouve sur les chaînes traditionnelles.

Mais une question me turlupine au sujet de Tou. tv Extra. Pourquoi imposer une somme de 6,99 $ par mois pour offrir des émissions produites par les organismes ci-dessus mentionnés, alors que nous finançons en plus CBC/Radio-Canada à hauteur de 1,2 milliard de dollars par année ?

Pour regarder des émissions offertes « en primeur », nous devons payer plusieurs fois.

C’est beaucoup d’aide de notre part, vous ne trouvez pas ?