(Québec) Des organismes qui défendent les droits des personnes trans ou qui leur offrent du soutien reçoivent un volume d’appels en croissance depuis que le gouvernement Legault a déposé un projet de loi qui ferait à nouveau dépendre le changement de sexe à l’état civil d’une intervention chirurgicale génitale.

En entrevue avec La Presse, le directeur général de l’organisme Interligne (anciennement Gai Écoute), Pascal Vaillancourt, confirme que la vaste majorité des appels reçus depuis quelques jours à sa ligne d’écoute proviennent de personnes trans et de membres de leur famille en détresse. Selon lui, le projet de loi 2 déposé la semaine dernière par le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, est « violent » pour ces personnes, qui ont l’impression qu’« on invalide leur identité ».

« Ce n’est pas à l’État de décider qu’est-ce qu’une personne trans. On contribue vraiment à leur détresse avec ce projet de loi », dénonce-t-il.

« Ce qui est désolant, même [s’il s’agissait] d’une maladresse, ce sont les répercussions et les impacts du projet de loi qui sont très graves. J’espère qu’il y aura des excuses profondes », ajoute M. Vaillancourt.

La mobilisation prend de l’ampleur

Dans son projet de loi, le ministre Jolin-Barrette modifie les conditions requises pour obtenir un changement de la mention de sexe sur les documents de l’état civil, comme le certificat de naissance. Ce document prouve l’identité d’une personne et le suit toute sa vie. Il est exigé dans différents contextes, notamment pour obtenir un passeport.

Québec prévoit ainsi exiger à nouveau qu’une personne subisse (et prouve avoir subi) une intervention chirurgicale génitale permanente pour changer la mention de sexe, ce qui n’était plus requis depuis 2015.

Le gouvernement propose en échange que les personnes trans puissent modifier leurs documents pour ajouter une nouvelle information, soit l’identité de genre, qu’ils pourront autodéterminer entre féminine, masculine ou non binaire.

Depuis son dépôt, ces éléments du projet de loi, qui fera l’objet d’une audition publique en commission parlementaire, ont été étiquetés de transphobes par de nombreux groupes de défenses des droits des personnes trans. Le Conseil québécois LGBT, de concert avec d’autres organismes, met en ligne ce mardi une pétition pour interpeller les députés.

« Le projet de loi veut nous ramener dans le passé, en exigeant à nouveau de ces personnes qu’elles subissent une chirurgie pour obtenir le droit d’être respectées pour qui elles sont. Celles-ci devront alors conserver l’assignation de naissance qui ne correspond pas à leur identité, ce qui les stigmatise et les rend sujettes à de nombreuses violences et discriminations, en plus de causer de grandes souffrances et de la détresse », peut-on lire.

Les partis de l’opposition ont unanimement dénoncé lundi le projet de loi déposé par Québec. Le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, n’était pas disponible pour répondre aux questions de La Presse.

« Je me suis sentie menacée »

Quand elle a pris connaissance des propositions du projet de loi 2, l’actrice, autrice et poète Gabrielle Boulianne-Tremblay – qui se confie ce mardi à notre chroniqueuse Rima Elkouri – a cru à un malentendu. Puis, en prenant connaissance de la proposition du gouvernement, elle s’est sentie « menacée intérieurement ».

Lisez « Une avancée nommée recul », la chronique de Rima Elkouri

Mme Boulianne-Tremblay a cosigné lundi une lettre ouverte publiée par Elle Québec initiée par la scénariste et réalisatrice Alice Bédard, qui se dit porteuse d’une « grande frustration, mais surtout d’une grande tristesse ». Cette dernière a inclus dans sa lettre l’autrice Chris Bergeron et le créateur de contenu et conférencier Henri-June Pilote. Il et elles exigent que le gouvernement consulte la communauté trans à l’avenir avant de proposer une législation « discriminatoire » qui la concerne.

C’est mieux d’unir nos forces, nos influences, d’unir nos [voix] et surtout nos cœurs pour sensibiliser et alarmer la population avec cette lettre.

Gabrielle Boulianne-Tremblay, actrice, autrice et poète

« Même si on a connu des progrès dans les dernières années, la communauté trans reste marginalisée. On reste avec ce sentiment qu’il faut faire attention. On a toujours un petit peu peur de quelque chose. Quand la menace vient de l’État, c’est comme si le sol se dérobait sous nos pieds », ajoute Chris Bergeron.

« Ça m’attriste beaucoup. Dans la société, c’est difficile d’être une personne trans et d’en venir à accepter soi-même qu’on n’a pas assigné le bon genre à la naissance », poursuit Henri-June Pilote.

Des inquiétudes pour les personnes intersexuées

En plus de ses effets sur les personnes trans, le Conseil québécois LGBT affirme que le projet de loi 2 du gouvernement Legault pourrait avoir des conséquences graves sur les personnes intersexuées, qui sont définies comme les personnes dont « les caractères sexuels [à la naissance] ne permettent pas de définir le sexe ». Dans sa pétition en ligne, l’organisme déplore que Québec prévoie que « celles-ci seront désignées comme ‟personnes de sexe indéterminé”, jusqu’à ce qu’elles subissent des interventions chirurgicales cosmétiques les obligeant à être identifiées par la suite comme homme ou femme ». « L’obligation de déclarer, dès que possible, le sexe des enfants intersexués pousse à des [interventions] sur les organes génitaux des enfants qui sont non essentielles. Ces interventions apportent aux patients plusieurs complications de santé qui dureront toute leur vie, telles que des douleurs chroniques, des [opérations] subséquentes, la stérilité, la perte de sensation, des traumas psychologiques importants », écrit le Conseil québécois LGBT.