Langue, culture, laïcité, racisme systémique, identité, souveraineté. Discussion politique entre notre chroniqueur et notre directeur invité.

J’ai critiqué ton spectacle précédent, il y a 10 ans, en disant que tu aurais pu te permettre d’aller plus loin dans tes blagues sur les Québécois parce qu’on a beaucoup d’autodérision. Mais avec toutes les controverses que tu as suscitées depuis, je me suis demandé si je ne m’étais pas trompé. Est-ce que le public est capable d’en prendre ?

Je le sens dans les salles. Les gens veulent non seulement rire, mais aussi être bousculés. Ils savent que je marche sur un terrain miné, avec des points de vue qui ne sont pas toujours dits à voix haute.

Et qui sont très clivants. Tu parles notamment de la loi 96 (qui modifie la Charte de la langue française) dans une partie improvisée de ton show bilingue, que tu as publiée dans les réseaux sociaux…

Ça s’est passé à Québec. J’ai vu ça comme une métaphore. La protection de la langue française, je suis 100 % en faveur. Je trouve que c’est ce qui nous rend uniques, ce qui nous donne notre couleur. Pour moi, c’est une richesse. Les gens qui sont bilingues ont un avantage énorme. L’anglais, c’est la langue des affaires, c’est la langue de l’internet. Ce n’est pas moi qui ai décidé ça ni un monsieur de Westmount.

C’est la lingua franca de notre époque…

Quand on diabolise l’anglais, on dessert les gens, en particulier les jeunes. René Lévesque était parfaitement bilingue. Jacques Parizeau et Pierre Karl Péladeau aussi. Être bilingue, c’est un outil d’adaptation. La raison pour laquelle je suis capable de m’adapter dans autant de pays, c’est parce que je parle plusieurs langues. Des études démontrent que les gens multilingues sont capables de s’adapter beaucoup plus vite que des personnes unilingues à n’importe quelle culture.

Il y a une tendance chez certains Québécois à voir l’anglais comme une menace, mais pas comme une richesse. Il faut faire la distinction entre le bilinguisme individuel et le bilinguisme institutionnel. C’est important au Québec que notre langue officielle soit le français et qu’on ne baisse pas la garde. J’ai grandi dans l’Ouest-de-l’Île. Je sais ce qu’est la menace de l’assimilation. Mais parler plusieurs langues, c’est être plus riche de toutes ces langues. C’est un statement – excusez mon franglais – de faire un spectacle bilingue partout au Québec ?

Ce n’est pas pour faire un statement. On dit souvent que les artistes influencent la société. On n’influence pas la société. On représente la société telle qu’elle est. J’ai fait ce spectacle bilingue à guichets fermés à Montréal, à Québec, à Gatineau, à Magog, à Trois-Rivières. Les gens sont rendus là. Non seulement ils communiquent dans les deux langues, mais ils consomment aussi de la culture dans les deux langues. On dessert les gens quand on prétend qu’il faut éviter l’anglais pour protéger le français. Je suis d’accord qu’il faut qu’on protège la langue française, qu’on la fasse rayonner. Mais souvent, c’est fait maladroitement. Il y a de meilleures façons de le faire. En célébrant par exemple un humoriste qui a un point de vue différent de la majorité et qui le fait en français…

Et qui est l’archétype de l’enfant de la loi 101. Cela dit, est-ce qu’on ne minimise pas parfois la menace que court la langue française dans un contexte où bien des jeunes préfèrent Netflix ou Amazon à ce qui se fait à la télévision québécoise ?

La question qu’il faut se poser, c’est : pourquoi ils vont chez Netflix ou Amazon ? Pourquoi leurs besoins ne sont pas comblés par la télévision québécoise ? Tu vas leur dire de regarder Deux filles le matin plutôt que The Mandalorian ? Ce n’est pas une question de langue. Ils ne se reconnaissent pas dans la télévision québécoise.

Il n’y a pas que les jeunes qui ne se reconnaissent pas dans la télévision québécoise, mais la moitié de la population de Montréal issue de l’immigration récente qui se demande : « Nous, on est où ? » Peut-être dans une pub de banque ou de téléphone.

On n’a pas le droit d’être dans vos histoires, mais on a le droit d’être des consommateurs ! [Rires] Si [l’émission coréenne] Squid Game peut marcher partout dans le monde, un gars qui écrit à propos de comment il a grandi à Côte-des-Neiges peut plaire à une dame de Belœil.

On sous-estime le public.

Absolument ! Avant de faire ma dernière tournée en région, il y a des gens qui m’ont dit : « Toi, ton show, ça marche à Montréal, mais, en région, laisse tomber. » Si je peux m’adapter en Arabie saoudite, je peux m’adapter à Saint-Jérôme ! Je vais dire quelque chose de peut-être controversé. Il y a des chroniqueurs qui disent que c’est grâce à la loi 101 et au fait que j’ai appris le français au Québec que j’ai réussi en France. La raison pour laquelle j’ai réussi en France, c’est parce que j’ai appris l’anglais, que je parle trois langues et que mon cerveau s’est adapté. Au Québec, il y a eu dans l’histoire quelques milliers d’humoristes. Il y en a trois qui ont réussi en France. Qu’est-ce qu’on a en commun, Rousseau, Kavanagh et moi ? On parle tous l’anglais.

J’allais dire que vous êtes des beaux gars…

[Rires] On vieillit ! Grandir à Côte-des-Neiges, cette vitrine multilingue et multiculturelle sur la planète, est ce qui a fait que mon humour québécois a pu s’exporter et que j’ai pu le pousser plus loin. Quand j’étais en France, mon spectacle était une critique honnête et sévère de la société. Aux États-Unis, c’était pareil. Je me suis dit : pourquoi ne pas le faire ici, à la maison ?

Donc il sera question de la loi 21 [sur la laïcité] dans ton nouveau spectacle ?

Tout ce dont personne ne parle dans la communauté artistique : la loi 21, la loi 96, Joyce Echaquan…

Est-ce qu’on doit s’attendre à ce qu’il suscite la controverse ?

Absolument ! Ça fait 15 ans que je me magasine une mise en demeure. [Rires]

Au Québec, pour certains, il y a le « bon immigrant ». Celui qui adhère à toutes ces valeurs québécoises dictées par les partis nationalistes. Le bon immigrant est favorable à la loi 21. Au Québec, on aime dire qu’on accepte tout le monde. Mais ne t’avise pas, si tu es un immigrant ou un enfant d’immigrant, de critiquer la société dans laquelle tu vis.

Connais ta place ! Tu n’as pas le droit de participer à la société ou aux décisions de la même manière que les autres, mais paye tes impôts ! Comment veux-tu que les gens se sentent chez eux s’ils n’ont pas le même droit de parole ni les mêmes opportunités que les autres à cause de leur identité ? Où est l’égalité ? À long terme, ça va créer des problèmes encore plus grands.

Tu ne seras pas d’accord, mais je pense que le rempart le plus efficace à la sauvegarde de la langue et de la culture québécoise, ce serait l’indépendance du Québec.

Est-ce que ce serait correct pour les souverainistes si on disait que le Québec est un pays, à condition que son chef soit Sugar Sammy ? [Rires] C’est ça, l’enjeu. Je ne parle pas de moi nécessairement, mais de quelqu’un comme moi. Est-ce que ça se peut ?

Tu t’es toujours clairement affiché comme fédéraliste, contrairement à François Legault ou à Bernard Drainville, d’anciens ministres péquistes à qui on reproche rarement d’avoir reviré leur veste.

Si je fais une joke sur la CAQ, je suis un raciste antiquébécois. Si un autre humoriste québécois, mais blanc, fait une joke sur la CAQ, on dit que c’est un humoriste engagé…

Aussitôt qu’un immigrant, qu’un enfant d’immigrant ou quiconque avec un nom à consonance étrangère ose critiquer sa société, certains crient au Québec bashing.

Ce qui est rassurant, d’une certaine façon, c’est que je suscite ce même genre de haine autant en France qu’au Québec. La différence, c’est qu’en France, l’orthographe et la grammaire sont parfaites ! [Rires]

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