Ça sonne. C’est Marie-Pier, mon ex et ma grande amie : « Salut ! Je t’ai apporté ton cadeau de Noël ! » Dans ses bras, il y a un chat. Ou plutôt une chatte. Toute petite. Trois mois à peine. Marie-Pier me la donne. Je souris. Elle est jolie. Avec ses grands yeux qui se demandent « où suis-je ? », « c’est qui, lui ? »

Bécaud, vous le savez, mon compagnon des 16 dernières années, est mort. Bien des amis m’ont dit : « Tu devrais adopter un autre chat. » Ça ne me tentait pas. Je n’étais pas là. Bécaud, c’était Bécaud. Je ne me voyais pas le remplacer à toute vitesse, comme on remplace un réfrigérateur ou un lave-vaisselle. Par nécessité. On verra bien. On verra, si la vie en vient à ça. Ça me prenait un signe. Un hasard orchestré. Je l’ai.

« Es-tu content ? Je ne te force pas. Si tu ne la veux pas, je la garde avec moi. »

Je souris encore. C’est sûr qu’elle ne repartira pas d’ici, puisque la vie en veut ainsi. S’il y a des chats dans cette maison, c’est à cause de Marie-Pier. C’est elle qui en voulait. Je n’avais rien contre. Au contraire. J’aime bien les félins. On avait eu Fétiche, chez mes parents, durant 20 ans. Mais pour aller au-devant d’un animal, ça prend l’élan. C’est Marie-Pier qui l’avait eu. Et c’est elle qui l’a encore, faut croire. Même si on n’est plus ensemble. Ça me touche. Cette chatte, c’est le symbole de notre lien qui se prolonge. Malgré la distance. Se séparer, ça ne veut pas toujours dire se détacher. Parfois, avec le temps, c’est s’aimer différemment. Même après avoir cassé, il reste des petits bouts toujours collés.

La chatte a déjà une médaille au cou. Elle s’appelle Binette. Le nom de la mère de Bécaud. Toutte est dans toutte. Le cycle de la vie, comme dit le Roi lion.

Ça fait une semaine que je cherche mon cadeau de Noël. Depuis qu’elle est arrivée, Binette vit cachée. J’ai beau virer la maison à l’envers, je ne la trouve pas. Faut dire que la maison n’est pas si petite, et elle, elle l’est beaucoup, beaucoup. Elle entre dans le moindre trou. Une doublure de la-z-boy, un racoin de sous-sol, un dessous de divan, un derrière de meuble.

J’ai acheté des jouets pour tenter de l’apprivoiser. C’est la canne à pêche avec une plume rose au bout qui a le plus de succès. Elle peut courir après durant une demi-heure. Mais dès que je cesse de l’activer, Binette retourne se terrer. On se fait donc des séances de jeux, matin et soir. Entre les deux, elle disparaît. Peut-être fait-elle du télétravail, qui sait ?

Quand elle revient, elle me jase un peu. Pas fort. Ses miaulements ressemblent au grincement d’une roue défectueuse de panier d’épicerie. Je pense qu’elle me dit qu’elle commence à aimer ça, être ici. Je lui réponds que je suis content qu’elle y soit.

Voilà maintenant un mois que Binette vit chez moi. Elle ne me quitte plus d’un pas ni d’un doigt. Tellement que j’ai dû taper cette dernière phrase deux fois, parce que ses pattes l’ont effacée, en pianotant sur mon clavier. Juré craché. Elle ronronne comme un petit moteur d’avion. Un avion qui ne décolle pas, mais qui se colle dans mes bras. Elle s’inclut dans toutes les activités : les dîners, les soupers, les Zoom, et tente d’attraper la rondelle durant les matchs de hockey. Bref, bientôt, ce ne sera plus chez moi, ce sera chez elle. Je crois même que ce l’est déjà.

Et Bécaud, dans tout ça ? Oui, je sais, on pourrait dire, vite oublié. Mais ce n’est pas ça. Pas du tout.

Le souvenir de quelqu’un n’empêche pas la présence de quelqu’un d’autre. Et vice-versa. Même que ça y prédispose. J’aime encore plus les chats à cause de Bécaud, alors, tant mieux pour Binette.

Binette ne remplace pas Bécaud. Binette prend sa place. Et de plus en plus, de jour en jour. Comme la vie le fait toujours, en repoussant la fin.

Merci, Marie-Pier, pour le beau cadeau.

Et toi, Binette, laisse-moi mettre un point.