Si on me demandait si je suis toujours sur les réseaux sociaux, je ne saurais trop quoi répondre. Je n’ai jamais été sur Facebook, j’ai rompu avec X, même si je n’ai pas encore fermé mon compte. Mon Instagram est en jachère, et je désespère de voir Threads lever un jour. Depuis quelques mois, je suis en voie de ghoster les réseaux sociaux.

J’ai eu ma période addictive. J’ai été sur Twitter avec passion et frénésie depuis 2010. Presque 10 ans de grâce, de réels échanges, de rencontres, d’accès facile à des personnes-ressources, du contenu pertinent, des moments d’une drôlerie sans nom, un fil de presse ultra-pertinent. Twitter me convenait.

J’y ai certes passé beaucoup de temps. Tu commences en consultant ton fil de presse et tu finis par participer à des jeux avec des titres de films où il faut ajouter le mot orgie – « Le déclin de l’orgie américaine », « Maman, j’ai raté l’orgie »… Le scénariste Daniel Thibault se reconnaîtra, lui qui a démarré tant de fous défis culminant vers 1 h 30 le matin ! Rire, mais rire ! J’ai tweeté en direct les émissions BazzoTV, discuté avec les téléspectateurs, ai été pistée vers des sujets, des invités. Twitter était un grand consommateur de temps, mais avec de solides compensations.

Peu à peu, les parages se faisaient plus rudes. Déjà, lors du printemps étudiant de 2012, on a vu les esprits s’échauffer, les camps s’opposer. Mais l’arrivée de Donald Trump en 2016 a libéré les trolls. Le bullying est devenu courant. Lorsque la pandémie est arrivée, l’enchantement avait déjà disparu. Le climat bon enfant s’était tiré.

En 2020, les antivax, les conspirationnistes, les extrémistes ont entamé un travail de sape, attaquant en groupe ceux qui ne pensaient pas comme eux. Les pirates étaient décomplexés. Et quand Elon Musk a acheté Twitter, les algorithmes sont devenus monomaniaques, faisant passer le contenu au noir inquiétant du X (X, comme dans porno des âmes ?). Les attaques sont hargneuses, la désinformation progresse. Les embuscades sont monnaie courante, à gauche comme à droite. Si les sujets banals sont devenus clivants, que dire des sujets graves…

J’ai tâté d’autres réseaux sociaux. Threads est un havre de paix. Mais, trop éloigné des enjeux sociaux, il manque de substance pour qui est habitué à Twitter. Instagram permet de voir ce que vedettes et connaissances mangent, tout y est magnifié dans le but de rendre un brin envieux les abonnés spectateurs. Quant à LinkedIn, c’est un réseau professionnel où chacun flashe ses bons coups et relaie des articles qui le font briller. Non, l’agora de Twitter n’a pas été remplacée.

Avec sa disparition, j’ai d’abord perdu un fil de presse épatant, qui est en grande partie ruiné par des algorithmes réducteurs. J’ai vu la possibilité d’interagir calmement et de manière constructive avec des inconnus s’étioler. Dorénavant, dès le troisième commentaire sous une publication, un troll intervient et pollue la discussion. Je ne diffuse plus de contenu sur X. Il y a des limites à DONNER son contenu à un multimilliardaire narcissique qui veut vous faire payer de toutes les façons pour nourrir son réseau social. Musk a rompu un genre de contrat social tacite entre la plateforme et ses usagers. Avec les changements survenus sur X, j’ai soudainement perdu tout un bassin d’abonnés avec qui j’interagissais, et ce, malgré 178 000 abonnés. L’algorithme ramenait toujours les 50 mêmes personnes.

Alors, je m’informe autrement. Press Reader est mon ami, qui me propose journaux et magazines du monde entier, où je pêche directement des contenus qui m’intéressent. Mais dans les faits, je m’informe moins. Dans un monde anxiogène, en feu, trop d’informations m’angoissent et me lassent. Je lis donc beaucoup plus : des essais, des romans qui éclairent les enjeux actuels avec le recul nécessaire pour ne pas péter au frette. J’ai aussi récupéré du temps. Du temps pour les autres, hors du virtuel, du temps pour écrire.

Je ne crois pas être la seule à avoir quitté les réseaux sociaux sans fracas, petit à petit. C’est qu’ils sont addictifs. Ils ont déjà été de véritables communautés, des lieux nourrissants se développant à la faveur d’une horizontalité entre les abonnés. Les temps sont plus sombres.

Les réseaux sont devenus le temple de l’autopromotion, des gangs qui se hurlent dessus, chacun dans son silo, encouragés par des algorithmes autoréférentiels. Les rapports sont beaucoup plus verticaux.

Et pourtant. Nous avons tellement besoin de ces outils que sont les réseaux sociaux pour travailler ensemble, faire émerger des idées fécondes, créer des liens, partager bien plus que des vidéos de chatons mignons.

Ma dépendance est guérie. Mais il reste un vide. Twitter a été tellement le fun. C’est comme si un ami m’avait trahie. Mais la maison X est comme une adresse mal tenue. Je devrais me résoudre à en résilier mon bail.

P.-S. : dorénavant, sans Twitter, mon score au quiz du dimanche de LaPresse+ oscille entre 3 et 6/10

P.-P.-S. : « Autant en emporte l’orgie »

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