Coup sur coup, lundi et mardi, deux articles sont venus nous rappeler à quel point l’école québécoise fabrique de la médiocrité.

Avant d’aller plus loin, un mot pour les enseignantes et tout le personnel des écoles : le premier paragraphe de cette chronique ne vous vise pas. Vous savez à quel point je vous ai en haute estime. Je l’ai dit mille fois.

C’est le système que je vise. Et le politique.

Lundi, donc, c’est Marie-Eve Morasse qui écrit sur l’épreuve ministérielle de français écrit de 5e secondaire (1), édition 2022. En 2020 et 2021, cet examen n’a pas eu lieu, pandémie oblige.

Le mot qui s’impose : « catastrophe », car les taux de réussite sont en chute libre. Dans certains centres de services scolaires, près de la moitié des jeunes ont échoué. Entre 2019 et 2022, tous les CSS – sauf six – ont enregistré des baisses des taux de réussite.

On apprend dans ce texte que l’examen ministériel comptait historiquement pour 50 % de la note finale… 

Mais pas en 2022.

En 2022, l’examen ministériel comptait seulement pour 20 %.

Traduction : le système a (encore) diplômé plein de Québécois qui ne savent pas écrire.

Mardi, c’est Louise Leduc qui a exhumé cette perle (2) : pas de 6e année pour des enfants en difficulté. Des écoliers qui ont peiné depuis la 1re année « sautent » la 6e et passent directement au secondaire, dans des classes d’adaptation.

Le scandale, c’est bien sûr l’incompétence transversale du système qui peine à aider les écoliers dès qu’ils montrent des difficultés, dès leurs premiers pas au primaire. Égide Royer dénonce ce scandale depuis toujours, il le fait encore dans cet article. Notre système scolaire en forme de Lada fait plutôt progresser ses élèves d’un niveau à l’autre : ce qui est un échec de vie pour ces enfants devient une réussite statistique artificielle pour le système.

Une école publique digne de ce nom aurait les moyens de se mobiliser pour que les enfants en difficulté soient vraiment épaulés, dès les premières années du primaire.

Ce n’est à peu près jamais le cas : on les fourgue plutôt dans les classes ordinaires (dites « régulières ») où on espère que des enseignantes non formées en adaptation scolaire pourront gérer 15 élèves réguliers, 6 élèves en difficulté (hyperactivité, trouble de l’attention, dyslexie) et 3 élèves qui ont des problèmes de comportement.

La réforme de l’enseignement d’il y a plus de 20 ans avait promis d’intégrer les élèves en difficulté dans les classes ordinaires à grand renfort de soutien pédagogique.

C’est quoi, le « soutien pédagogique » ?

Des exemples : des TES (techniciennes en éducation spécialisée), des orthopédagogues, des orthophonistes et des psychologues qui seraient dans les écoles, en abondance, en appui aux profs.

Ce n’est jamais arrivé. Ce n’est jamais arrivé parce que chaque fois que les gouvernements péquistes et libéraux ont coupé les vivres aux commissions scolaires – austérité, déficit zéro, etc. –, celles-ci ont coupé les salariées du soutien pédagogique.

Dans le réel, ça veut dire que Julie, enseignante de 4e dans une classe « régulière », gère seule six élèves TDAH et deux élèves non diagnostiquées qui donnent tous les signes d’être sur le spectre de l’autisme.

Et il y a Kevin-Gilles qui, lui, lance souvent sa collation à travers la classe sans raison. Lui, on ne sait pas trop ce qu’il a…

Résultat numéro 1 de cette classe dysfonctionnelle : ni les élèves réguliers ni les élèves en difficulté ne reçoivent un enseignement optimal.

Résultat numéro 2 : après quelques années, Julie, épuisée, finit par décrocher et aller travailler dans l’entreprise de stores verticaux de sa belle-sœur.

Résultat numéro 3 : les élèves de la classe de Julie, huit ans plus tard, se retrouvent au cégep où les profs découvrent qu’ils peinent à trouver le verbe dans une phrase (3) !

Résultat numéro 4 : certains des parents des élèves de la classe de Julie, décontenancés, inscrivent leur enfant à l’école privée, au secondaire.

J’ai commencé à écrire ponctuellement sur l’école en 2015. Je lis les textes de lundi et mardi publiés dans La Presse et je constate que rien n’a changé en huit ans.

Malgré les promesses et les réformes, le système scolaire chapeauté par le ministère de l’Éducation excelle dans deux disciplines :

Un, maquiller les stats pour cacher ses échecs systémiques ;

Deux, baisser la barre pour décerner des diplômes au plus grand nombre d’adolescents possible, quitte à diplômer des analphabètes fonctionnels.

Cette image – « diplômer des analphabètes fonctionnels » – n’est pas la mienne, c’est celle d’une prof de cégep en mai 2021, citée dans un article du Devoir (4) à propos de la consternation de plusieurs enseignants face aux lacunes en français chez leurs élèves qui arrivent du secondaire.

Donc, désolé, quand le ministère de l’Éducation dit que le taux de diplomation est passé de 70,4 % (1998) à 82 % (2014) : je ne le crois tout simplement pas. Tout le système baisse la barre et arrange les notes avec le gars des vues (5), ça fait des années que c’est connu.

Baisser la barre, arranger les notes ? Message reçu d’une prof de cégep, récemment, qui me rappelle qu’elle ne peut enlever plus de 10 points de pourcentage pour des fautes de français.

Ça donne quoi, dans le réel ?

Ça donne 18 élèves sur 28 qui ont récemment perdu l’entièreté de ces 10 points de pourcentage, à raison de 0,5 point par faute, 20 fautes. On parle d’un texte de 500 mots, une page et demie. Après 20 fautes, on cesse de les pénaliser.

Ça donne des phrases comme celle que j’ai pu lire l’an dernier, une phrase écrite par quelqu’un qui est inscrit au cégep : « Maintenant ont peux voire énormément de série et de film avec au moins une personne d’origine ethnique. »

Dix-sept mots, cinq fautes de base (qui ne devraient même pas être compliquées pour quelqu’un qui a obtenu son diplôme de 5e secondaire) et une formule sans queue ni tête (une personne d’origine ethnique).

PHOTO ARCHIVES LE SOLEIL

Bernard Drainville, ministre de l’Éducation

Salut, Bernard, j’imagine que tes fonctionnaires ont mis cette chronique dans ta revue de presse… 

Oui, permets que je t’appelle encore simplement « Bernard », cher Bernard Drainville, puisque nous nous sommes si longtemps côtoyés dans les médias.

Bravo pour ta nomination au ministère de l’Éducation. Mais attention, ils vont te remplir comme ils ont rempli de bullshit tous tes prédécesseurs.

Je sais, je sais, ils vont te dire que j’exagère. Ils vont te dire que tout va bien, Monsieur le Ministre !

Mais je vais te donner un indice de la médiocrité de ton ministère, cher Bernard. C’est une phrase tirée du texte de Louise Leduc sur les élèves en difficulté qu’on catapulte directement de la 5e année à la 1re secondaire : Il est impossible de quantifier le nombre d’élèves au Québec qui sont dispensés de faire leur 6e année. Le ministère de l’Éducation nous a répondu ne pas avoir de données à nous transmettre sur le sujet…

Tu vois, Bernard : pas de données, pas de problèmes.

Et quand il y a des données, ben, on les maquille. On leur met une belle perruque, on leur applique un filtre comme sur Instagram pis là, les données, Bernard, ont peux les voire autrement.

(1) Lisez « Épreuve de 2022 : dégringolade en français écrit » (2) Lisez « Pas de 6année pour des enfants en difficulté » (3) Écoutez « Est-ce que le Québec donne des diplômes à des analphabètes fonctionnels ? » (4) Lisez « Les lacunes des cégépiens en français soulèvent l’inquiétude des enseignants » (5) Lisez « Pour chaque achat effectuez (sic)… »