Un déneigeur est parvenu à augmenter sa rémunération basée sur le volume en multipliant le nombre de chargements de neige à Montréal cet hiver. Le hic, c’est que 300 des 514 chargements effectués étaient remplis à 50% ou moins et que des photos le démontrent.

Après avoir fait enquête, le Bureau de l’inspecteur général de la Ville de Montréal (BIG) conclut qu’il s’agit d’une «manœuvre frauduleuse». Le BIG a donc décidé de résilier deux contrats totalisant 9,3 millions de l’entreprise Transport Rosemont mandatée depuis 2016 pour déneiger les rues et les trottoirs de deux secteurs de l’arrondissement Villeray-Saint-Michel-Parc Extension.

Dans un rapport déposé lundi après-midi au conseil municipal montréalais, le BIG recommande que l’entreprise soit inscrite au Registre des personnes inadmissibles. Si les élus acceptent et votent dans ce sens, Transport Rosemont ne pourra plus soumissionner des contrats publics à Montréal pendant cinq ans, ni conclure de contrats de gré à gré ou obtenir des sous-contrats. De plus, l’information sera transmise à l’Autorité des marchés publics (AMP).

Le BIG recommande également que la Ville de Montréal augmente sa surveillance des activités de chargement de la neige. Ce qui a été détecté dans le cas de Transport Rosemont, est loin de l’anecdote. Il s’agit de situations «systématiques», soutient l’inspectrice générale Me Brigitte Bishop qui signe le rapport.

Cinquième opération de déneigement

Les événements reprochés remontent à février dernier lorsque la Ville de Montréal a décrété la cinquième opération de chargement de l’hiver. Dans l’arrondissement Villeray-Saint-Michel-Parc Extension, l’opération s’est terminée cinq jours plus tard. La dénonciation auprès du BIG a été faite durant cette période: si certains camions se présentaient au lieu de déchargement pleins de neige, d’autres n’étaient remplis qu’à 75%, 50%, 25% et même 10% et moins.

Comme le prévoit la procédure, des photos des camions qui viennent décharger la neige ont été prises. Plusieurs situations irrégulières ont été détectées provenant des deux secteurs desservis par Transport Rosemont. Une vérification systématique de chaque camion a été alors été effectuée; 58% des chargements étaient incomplets.

Les photos laissent peu de place à l’interprétation. Lorsque les enquêteurs du BIG ont rencontré un des contremaîtres de Transport Rosemont, et lui ont montré des photos de chargements évalués à 10%, le contremaître a demandé «si les photos avaient été prises après que les camions aient déchargé le contenu de leur benne», relate-t-on dans le rapport.

L’équipe du BIG a procédé à la comparaison des chargements de Transport Rosemont à ceux effectués par une autre entreprise dans le même arrondissement. Seulement trois chargements sur 202 étaient irréguliers.

Lors de la sixième opération de chargement de la neige, décrétée le 11 mars, des employés de l’arrondissement ont effectué une surveillance accrue et «ils se sont assurés d’être vus par les employés de Transport Rosemont». Une baisse notable du nombre de chargements incomplets a été observée.

De façon générale, une certaine tolérance s’applique pour des bennes qui ne sont pas pleines, soit «environ 2% en raison de certains facteurs pouvant raisonnablement se produire, tels que des chargements incomplets à la fin d’un quart de travail».

Contrat au mètre cube

La Ville de Montréal paie les déneigeurs de deux façons, selon le nombre de centimètres de neige tombés ou selon le volume des bennes de camion (mètre cube). Cette dernière méthode a créé «du mécontentement parmi certains joueurs de l’industrie dont l’entreprise au centre de la présente enquête, Transport Rosemont».

Depuis l’hiver 2016-2017, le mesurage du volume des bennes s’effectue à l’aide d’un instrument laser avant que la saison hivernale ne débute. Jusque-là, le mesurage se faisait manuellement. «Cette transition ne se fait pas heurts», note-t-on dans le rapport du BIG. Des entrepreneurs estiment avoir perdu du volume par rapport à la méthode manuelle. «Transport Rosemont dit estimer ces pertes de volume à environ 10%.»

Par ailleurs, le laser utilisé par la Ville n’est pas certifié par l’instance fédérale dont c’est la responsabilité.

Dans «un contrat au centimètre tombé, […] l’entrepreneur a tout intérêt à charger en neige en effectuant le moins de voyages de camions possible». Pour la méthode au volume (contrat au mètre cube), c’est l’inverse: plus il y a de voyages de camions plus la rémunération de l’entrepreneur est élevée. Il n’y a donc plus d’entrepreneurs qui critiquent le fait que des propriétaires poussent la neige de leur entrée de cour dans la rue.

Le BIG note que les contrats au mètre cube entraînent un nouveau mode de rémunération qui crée le risque qu’un entrepreneur soit tenté d’agir comme l’a fait Transport Rosemont. «Ce risque n’est pas simplement hypothétique, il est désormais avéré.»

La Ville entend étendre ce modèle de contrats. Cela nécessitera un ajustement pour la surveillance, croit la BIG. «Le présent dossier démontre clairement l’existence d’un stratagème pouvant être mis en œuvre et démontre tout aussi clairement que la Ville a su le détecter.»