La veuve de l’ex-premier ministre Robert Bourassa s’est fait refuser des soins palliatifs durant trois interminables journées à l’hôpital de St. Mary

Depuis la fin novembre, Michelle Bourassa ne décolère pas. Sa mère, Andrée Simard, la veuve de l’ex-premier ministre Robert Bourassa, est morte au Centre hospitalier de St. Mary, au terme de trois jours de souffrances indicibles et de profonde détresse. On l’a privée de soins palliatifs, la sédation continue, prévue normalement pour les patients en fin de vie. Un cauchemar inutile.

Inutile en apparence. Car informé de la démarche de Mme Bourassa auprès de La Presse, le CIUSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal, dont relève St. Mary, a annoncé juste avant sa publication, jeudi, qu’il allait « revoir cette pratique ».

« Si j’en parle aujourd’hui, je ne le fais ni pour elle ni pour moi. Notre histoire est terminée. Il ne nous reste qu’à digérer cette horreur que nous avons vécue et panser nos blessures », avait écrit Mme Bourassa dans une lettre qu’elle a fait parvenir à La Presse. « Si je parle, c’est pour tous ceux qui n’ont pas droit de parole dans un milieu intimidant où règne le chaos organisé. Ç’a été un cauchemar, et c’est comme ça que nous allons finir ? », poursuit-elle en entrevue cette semaine. D’une extrême discrétion, Mme Simard avait tenu à ce qu’on ne mentionne pas à son admission au Centre hospitalier de St. Mary qu’elle avait été l’épouse du premier ministre, décédé en 1996.

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Andrée Simard et Robert Bourassa lors de la réélection de ce dernier, en septembre 1989

« Je ne veux pas m’embarquer dans un processus de plainte, je veux simplement agiter un drapeau pour qu’on sache ce qui se passe », souligne Michelle Bourassa. « Je ne veux pas entrer dans les détails, mais ses derniers jours ont été extrêmement difficiles », résume-t-elle. Malade, Andrée Simard avait été admise aux urgences où elle devait contracter de surcroît la COVID-19. Après un passage aux soins intensifs, on l’a envoyée au secteur médical, où son état s’est dégradé très rapidement. Pourtant, à son 90e anniversaire, quelques jours avant cet épisode dramatique, « elle dansait sur les Rolling Stones dans le salon ».

Alors qu’elle était au plus mal, en dépit des demandes réitérées de la famille et des vœux exprimés par la principale intéressée, l’équipe médicale ne lui a pas administré la « sédation continue » prévue pour accompagner les patients en fin de vie.

Ils ne l’ont jamais traitée pour des soins palliatifs, ils ne lui donnaient pas les doses nécessaires pour qu’elle reste calme, or elle était en détresse !

Michelle Bourassa, fille d’Andrée Simard

Ce n’est qu’au quatrième jour, après une prise de bec avec le médecin de garde, après avoir aussi souligné que sa mère était la veuve de Robert Bourassa, qu’on lui a accordé un niveau de sédation plus important. Si la sédation a fait son œuvre, reste qu’« on avait perdu un temps précieux à se battre. Elle est décédée quelques heures plus tard… dans le calme ».

Le CIUSSS fera « les suivis nécessaires »

Interpellé par La Presse, le CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal promet de « faire les suivis nécessaires pour revoir cette pratique et faire en sorte que les patients qui nécessitent ces soins [palliatifs] puissent les recevoir à même l’unité où ils se trouvent ». Mme Simard avait la COVID-19 et ne pouvait donc être transférée à l’unité de soins palliatifs, pour ne pas exposer des patients vulnérables au virus. Cette unité était proche du département d’oncologie, ce qui constituait un risque. Jusqu’à maintenant, « la sédation continue était offerte uniquement sur l’unité de soins palliatifs », conformément aux directives du département de pharmacie, explique la porte-parole du CIUSSS Hélène Bergeron-Gamache. Un mécanisme est aussi prévu pour recevoir les plaintes des patients et des familles éventuellement, rappelle-t-elle.

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Michelle Bourassa, Andrée Simard et François Bourassa, en 1999

En ce moment, j’ai infiniment honte de mon système de santé et je suis très inquiète pour la suite. Mon père n’aurait jamais pu imaginer un jour que son épouse se retrouverait dans une telle situation, lui qui a fondé l’assurance maladie pour tous, avec comme pierre angulaire et fondement le respect et la dignité des individus.

Michelle Bourassa, fille d’Andrée Simard

La Loi concernant les soins de fin de vie précise d’ailleurs que le patient « doit en tout temps être traité avec compréhension, compassion, courtoisie et équité, dans le respect de sa dignité », souligne Mme Bourassa, citant la loi.

Des situations « plus familières aux oncologues »

Amie de la famille, la Dre Anna Towers, ex-responsable des soins palliatifs au Centre universitaire de santé McGill, s’était rendue au chevet de Mme Simard. Bien des questions soulevées par Mme Bourassa devraient être soumises à l’ombudsman du Centre hospitalier de St. Mary, selon elle. Mais son drame met en relief une situation inacceptable. « Ce n’est pas seulement elle. Il y a un problème en soins palliatifs partout au Canada. Les personnes mourantes, si elles ne sont pas atteintes du cancer, n’ont pas accès aux lits de soins palliatifs, avec le personnel formé en conséquence. Cancer ou non, mourir n’est pas facile. Ces situations sont plus familières aux oncologues. Les autres médecins ont moins tendance à appeler les équipes, ils sont déjà débordés. »

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De droite à gauche, Andrée Simard, le maire de Montréal Denis Coderre, Michelle Bourassa et François Bourassa, à l'annonce officielle de la création du boulevard Robert-Bourassa, en 2014

La Dre Towers convient volontiers que Mme Simard aurait dû avoir des doses plus fortes de sédation, mais, explique-t-elle, « les médecins qui ne s’occupent pas de personnes mourantes régulièrement manquent de connaissances. Leur réflexe est de ne pas administrer de fortes doses ». « La famille a souffert », elle n’a pas eu le soutien approprié, « parce que sur les étages médicaux non palliatifs, on ne s’occupe pas des familles ». Comme elle est spécialiste de ce domaine, elle avait suggéré d’augmenter les doses de morphine, en vain. L’établissement n’est pas à blâmer, selon elle, il compte quelques lits, c’est déjà davantage de ressources que d’autres hôpitaux.

Proche depuis 35 ans d’Andrée Simard, le DAndré Levasseur déplore sans réserve le traitement réservé à son amie. Lui aussi était allé à son chevet « jusqu’à la fin ».

Ça n’est pas un manque de ressources, ce que j’ai vu, c’est un manque d’empathie. Je n’aurais jamais accepté un tel comportement, je n’aurais pas voulu que ma mère soit traitée ainsi.

Le DAndré Levasseur, proche d’Andrée Simard

« C’était impossible de joindre un médecin, du vendredi au dimanche. Ils étaient aux abonnés absents ! », déplore l’ex-responsable de la médecine nucléaire de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont. En dépit de l’état de Mme Simard, on continuait de lui administrer des doses de sédatif manifestement insuffisantes pour lui procurer le confort nécessaire, observe le médecin, aujourd’hui retraité.

Spécialiste des soins aux personnes âgées, le DDavid Lussier abonde dans le même sens. « C’est souvent difficile d’avoir accès aux soins palliatifs quand ce n’est pas un cas de cancer. Ce que vous me racontez ne me surprend pas. Ces patients qui sont en fin de vie mais n’ont pas le cancer, c’est difficile parfois de les passer aux soins palliatifs. Ce n’est pas rare, il y a encore beaucoup de travail à faire. Parfois, c’est l’inverse : c’est la famille qui s’y oppose. » Il n’est pas nécessaire d’avoir accès à une unité palliative pour avoir ces soins, explique le DLussier.

« Si c’est arrivé à l’épouse de M. Bourassa, imaginez pour l’ensemble de la population ! » Dans son cas, on peut penser que les objectifs de soins n’ont pas été bien identifiés par l’équipe traitante. La solution, selon lui, « passe par la formation. [Il faut] sensibiliser les médecins au fait qu’on peut être en fin de vie sans avoir le cancer », conclut le DLussier, médecin à l’Institut de gériatrie de l’Université de Montréal.

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