Raymond Lévesque, l’homme par qui nous est venu l’immense chanson Quand les hommes vivront d’amour, n’est plus.

M. Lévesque, qui était âgé de 92 ans, a été emporté par la COVID-19, a confirmé sa famille lundi.

« J’étais avec lui jusqu’à la dernière minute », a dit à La Presse son fils François Lévesque.

Raymond Lévesque a été déclaré positif à la COVID-19 le 1er février dernier. « La première semaine à l’hôpital s’est bien passée », a indiqué François Lévesque. Certaines journées, son père avait très peu de symptômes. « Mais après une semaine, ça s’est gâté graduellement jusqu’à il y a quelques heures. »

« Toutes mes condoléances à la famille et aux proches du grand Québécois Raymond Lévesque, auteur d’une des plus belles chansons de tous les temps Quand les hommes vivront d’amour », a écrit le premier ministre du Québec, François Legault, sur Twitter lundi soir.

Atteint de surdité totale depuis le milieu des années 1980, le chansonnier et poète s’était retiré dans le silence et l’écriture depuis longtemps. Faisant de rares apparitions publiques, il demeurait actif à travers ses publications et quelques sorties musclées pour défendre la question, lui tenant tant à cœur, de l’indépendance du Québec.

Sa chanson Quand les hommes vivront d’amour, composée en 1956, lui a valu l’immense succès populaire et d’estime que l’on sait, et est devenue l’un des plus grands classiques du répertoire québécois.

« Chaque fois qu’on fait un sondage pour savoir quelle est la plus grande chanson québécoise de tous les temps, Quand les hommes vivront d’amour arrive toujours en première position », nous a dit l’animatrice Monique Giroux au téléphone.

A-t-elle compris pourquoi ? « Cette chanson, c’est un peu comme une prière. Son texte est écrit dans des mots simples, et elle a un côté presque traditionnel. Et elle est tellement touchante, avec son infinie tristesse. »

Quand les hommes vivront d’amour est connue dans toute la francophonie. Elle a été traduite, interprétée et réinterprétée ici comme en France, rappelle Monique Giroux. Mais Raymond Lévesque, qui était un être « gentil comme tout, fin et élégant », c’était aussi bien plus qu’une chanson.

  • Spectacle de la fête de la Saint-Jean-Baptiste au mont Royal avec, entre autres, Pauline Julien, Claude Gauthier et Raymond Lévesque.

    PHOTO JEAN GOUPIL, LA PRESSE

    Spectacle de la fête de la Saint-Jean-Baptiste au mont Royal avec, entre autres, Pauline Julien, Claude Gauthier et Raymond Lévesque.

  • Pauline Julien et Raymond Lévesque le 13 juin 1994.

    PHOTO ROBERT MAILLOUX, ARCHIVES LA PRESSE

    Pauline Julien et Raymond Lévesque le 13 juin 1994.

  • Hommage à Raymond Lévesque en 2006 au Théâtre Maisonneuve dans le cadre des Francofolies. Raymond Lévesque avec ici avec sa fille Marie-Marine.

    PHOTO ROBERT SKINNER/LA PRESSE

    Hommage à Raymond Lévesque en 2006 au Théâtre Maisonneuve dans le cadre des Francofolies. Raymond Lévesque avec ici avec sa fille Marie-Marine.

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C’était un grand humaniste, sensible, poète, patriote contre vents et marées. Un homme engagé qui, d’une certaine manière, a été le successeur de La Bolduc, capable de parler du quotidien des gens ordinaires et de chanter pour eux. Il n’a jamais fait de compromis. Il a toujours été droit dans ses bottes.

Monique Giroux, animatrice

Sa carrière a été faite de mille et un engagements et de réalisations dans plusieurs domaines artistiques. Raymond Lévesque était sans conteste un artiste polyvalent.

Tour à tour pianiste, auteur-compositeur-interprète, animateur et acteur, il sera aussi homme de théâtre et de revues musicales, auteur et poète. Un homme de mots, en somme. D’ailleurs, en 2011, la Ville de Longueuil a attribué son nom à l’une de ses huit bibliothèques, celle sise boulevard Cousineau, dans l’arrondissement de Saint-Hubert.

Né à Montréal le 7 octobre 1928, M. Lévesque, fils d’éditeur, grandit dans le quartier du parc La Fontaine. Adolescent, il abandonne les études. Il apprend le piano et compose, inspiré par le travail de Charles Trenet, ses premières chansons tout en travaillant dans des cabarets. C’est dans l’un d’eux, vers 1947, que sa route croise celle de Fernand Robidoux, de huit ans son aîné. Lui-même chanteur et animateur de radio, M. Robidoux (1920-1998) est aussi reconnu comme un pionnier en matière de promotion de la chanson québécoise.

C’est ce qu’il fait avec le jeune Raymond Lévesque, qu’il invite à son émission La boîte à chansons, diffusée sur les ondes de CKAC.

Suivre les traces de Félix... jusqu'à Paris

Après quelques années à chanter, à jouer (il interprète le personnage de Moineau dans la pièce Zone, de Marcel Dubé) et à animer des émissions à la radio (Grand’maman Marie, etc.) comme à la télévision (Mes jeunes années) à Montréal, Raymond Lévesque décide de tenter sa chance à Paris. Il suit ainsi les traces de Félix Leclerc, qui y a triomphé depuis le début de la décennie.

Arrivé dans la Ville Lumière en 1954, Lévesque a la chance de croiser des gens d’influence dans le milieu de la chanson, parmi lesquels le producteur Eddie Barclay et le chanteur américain et francophile Eddie Constantine. Ce dernier enregistre une première chanson signée Lévesque : Les trottoirs.

Le jeune auteur-compositeur-interprète québécois sait aussi donner au suivant. Ainsi, il écrit une chanson, Une petite Canadienne, pour une jeune vedette québécoise elle aussi débarquée à Paris. Son nom : Dominique Michel.

Lévesque demeure cinq ans à Paris. Il chante entre autres au cabaret Au Port du Salut, sur la Rive gauche. Il mène une vie de bohème et fréquente d’autres expatriés québécois, dont le futur journaliste et animateur Pierre Nadeau, étudiant dans la capitale française.

Durant ce séjour, en 1956, il écrit la chanson Quand les hommes vivront d’amour, qu’enregistrera Eddie Constantine. La pièce, inspirée par les atrocités de la guerre d’Algérie, fera époque. Depuis, elle a fait l’objet de nombreuses reprises et sera même désignée « Chanson du siècle » à la suite d’un sondage mené en 1992 dans la foulée de la réouverture du théâtre Le Capitole, à Québec.

Dans un article publié sur l’Encyclopédie du patrimoine culturel de l’Amérique française (en ligne), l’historien et sociologue Yves Laberge souligne qu’à l’époque, l’emploi du futur simple (comme dans le passage « Les soldats seront troubadours ») était chose rare. « Il servait, dans ce cas-ci, à souligner le caractère utopique du message », écrit M. Laberge.

Quant au passage « Mais nous, nous serons morts, mon frère », il « démontre le caractère éminemment lointain et presque impossible de ce monde idéal », ajoute l’historien.

Retour à Montréal

Peu après son retour, Raymond Lévesque se joint à un collectif de chansonniers en début de carrière qui fondent, en mai 1959, rue Crescent, la boîte à chansons Chez Bozo, en hommage à une pièce de Félix Leclerc. Outre Lévesque s’y retrouvent Jacques Blanchet, Hervé Brousseau, Clémence DesRochers, Jean-Pierre Ferland, André Gagnon et Claude Léveillée. L’expérience dure peu de temps, mais permet de lancer de grands talents.

Dans les années subséquentes, Raymond Lévesque continue d’écrire des chansons (on lui en attribue quelque 500 en carrière), de faire de la télévision et d’écrire.

À compter de 1961 et pour une douzaine d’années, il est associé à La butte à Mathieu, boîte à chansons de Val-David dans les Laurentides, où il monte de nombreuses revues musicales.

Le Québec d’alors bouillonne d’idéaux et de projets créés dans le sillon de la Révolution tranquille. Mais en parallèle surgit le mouvement révolutionnaire du Front de libération du Québec. Raymond Lévesque consacre une chanson à ces jeunes gens qui posent des bombes : Bozo-les-culottes.

Deux des couplets disent :

« Il a volé de la dynamite / Puis dans un quartier plein d’hypocrites / Bozo-les-culottes »

« Il a fait sauter un monument / À la mémoire des conquérants / Bozo-les-culottes. »

Dans les années 1970, il ajoute un autre volet à une carrière déjà bien remplie : il devient acteur de cinéma. On le voit incarner des rôles dans une douzaine de productions, dont Deux femmes en or, de Claude Fournier, Après-ski, de Roger Cardinal, Bulldozer, de Pierre Harel, ou encore Panique, de Jean-Claude Lord.

Arrive 1980 et le premier référendum (20 mai) sur la souveraineté du Québec. Le Oui est battu. Lévesque, souverainiste avant l’heure, est déçu. Quelques mois plus tard, au deuxième gala de l’ADISQ, il reçoit le trophée Félix hommage des mains de Félix Leclerc lui-même.

En retrait

Au milieu des années 1980, la perte complète de l’ouïe force Raymond Lévesque à cesser de chanter. Déjà écrivain, il se consacre davantage à cet art, publiant tout autant des recueils de poésie que des récits, des chansons, des ouvrages politiques, etc. Il publie chez plusieurs éditeurs : VLB, L’Hexagone, Stanké, Leméac, Lanctôt et Les éditions du Québécois.

Durant cette période, quelques-unes de ses sorties font du bruit.

Ainsi, quelques mois avant le référendum de 1995, il déclare que seuls les immigrants installés au Québec depuis plusieurs années devraient avoir droit de vote « parce qu’ils savent ce qui se passe ».

Au tournant des années 2000, il s’en prend aux leaders du mouvement souverainistes, notamment au premier ministre Lucien Bouchard et à René Lévesque, qu’il dit avoir trahi les Québécois.

« S’il n’était pas capable de faire la job, il avait juste à ne pas être là », dit-il de Lévesque dans une entrevue avec Michaëlle Jean (RDI à l’écoute) en août 2000.

En octobre 2005, lorsqu’on annonce qu’il recevra le Prix du Gouverneur général du Canada pour les arts de la scène, il commence par accepter, puis le refuse. Il invoque alors ses convictions politiques et le fait que, dans son discours inaugural, la nouvelle titulaire du poste, Michaëlle Jean, n’a pas reconnu l’idée de deux nations au Canada. « C’est grave. Toute notre histoire est là », écrit-il dans une lettre au journal Le Devoir.

Des prix prestigieux, justement, Raymond Lévesque en recevra beaucoup au fil de sa carrière. Lauréat de la Médaille Jacques-Blanchet, remis à des auteurs-compositeurs-interprètes, en 1996, il est fait Chevalier de l’Ordre national du Québec en 1997. La même année, il reçoit le prix Denise-Pelletier (l’un des Prix du Québec) pour les arts de la scène. Lui et sa chanson Quand les hommes vivront d’amour sont introduits au Panthéon des auteurs et compositeurs canadiens en 2005.

En 2010, la comédienne Marie-Josée Longchamps a créé un spectacle-hommage à M. Lévesque qu’elle a présenté de nombreuses fois au Québec. En octobre 2018, lors de son 90e anniversaire, il avait confié au Journal de Montréal continuer à écrire tous les jours. Le 15 novembre 2019, il lançait d’ailleurs un recueil, Mensonges et conditionnements, aux éditions La pruche et le pin.

Réactions de toutes parts

Le milieu culturel et politique a exprimé sa grande tristesse à la suite de l’annonce de la mort de Raymond Lévesque.

Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, a qualifié Raymond Lévesque d’« un de nos plus grands chansonniers », ajoutant que « sa voix et ses mots seront toujours avec nous ».

C’est « un géant de la scène artistique québécoise » qui s’est éteint, a affirmé le ministre du Patrimoine canadien, Steven Guilbeault. « Raymond Lévesque nous quitte, mais son hymne à la paix continuera d’éveiller ce qu’il y a de plus beau dans le cœur de chacun », a déclaré M. Guilbeault.

« Un homme fier », a dit l’ancienne mairesse de Longueuil Caroline Saint-Hilaire. « Fier du Québec. Fier de son pays. Sa patrie. Et de Longueuil. Sa ville. Il rêvait de voir les humains vivre d’amour… Merci Raymond Lévesque. »

« Le Québec est en deuil », a affirmé sans détour Christine St-Pierre, porte-parole libérale en matière de culture et de communications.

« Je me souviens du très beau moment au cours duquel nous avions inauguré la magnifique bibliothèque de Saint-Hubert qui porte son nom. Mes plus sincères condoléances à toute sa famille et ses nombreux ami(e)s », a-t-elle ajouté dans une publication Facebook.

Le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre-Plamondon, a parlé d’une « bien triste nouvelle dans des moments où nous avons plus que jamais besoin de vivre d’amour ».

« Nous perdons un amoureux de son Québec », a-t-il écrit sur Twitter.

« Bon repos mon ami », a écrit sur Facebook la chanteuse Marie-Élaine Thibert, accompagnant sa publication de plusieurs clichés où elle se trouve en compagnie du célèbre chansonnier.

Joint en fin de soirée, l’auteur-compositeur-interprète Jean-Pierre Ferland a d’abord lâché qu’« on ne peut pas faire autrement que de détester la COVID-19 » avant de témoigner que Raymond Lévesque lui a enseigné à écrire alors qu’il était « petit cul » et qu’il « ne savait même pas écrire un refrain de chanson ».

Le président et chef de la direction de Québecor et ancien chef du Parti québécois, Pierre Karl Péladeau, a salué le départ d’« un grand » qui « par sa plume et par sa voix […] a été un pionnier de notre culture ».

Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, a pour sa part indiqué que M. Lévesque « n’a pas vu le pays dont il rêvait, mais on le lui chantera le jour venu ».

Raymond Lévesque « a chanté son pays » et est « un des premiers artistes à avoir milité pour l’indépendance », a déclaré à La Presse Canadienne Marie-Anne Alepin, présidente de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal.

— Avec Alice Girard-Bossé, La Presse, et La Presse Canadienne