La PDG de CBC/Radio-Canada, Catherine Tait, a fait les manchettes deux fois plutôt qu’une cette semaine dans l’autre solitude.

Mme Tait a répliqué aux attaques du chef conservateur Pierre Poilievre, qui veut mettre fin au financement public de CBC/Radio-Canada. Nous sommes en total désaccord avec cette proposition des conservateurs : alors que la désinformation prend du galon, un diffuseur public fort est indispensable pour notre société.

Cela dit, la réplique de Mme Tait, qui disait que la proposition des conservateurs était destinée à séduire un certain électorat pour mousser les dons au parti, était malhabile et inopportune. La PDG de CBC/Radio-Canada doit défendre l’intégrité journalistique du diffuseur public. Mais ce n’est pas son rôle de réfléchir à voix haute sur les stratégies de financement électoral des partis politiques.

Cet imbroglio inutile avec M. Poilievre n’était toutefois pas sa déclaration la plus importante de la semaine.

Selon Mme Tait, Radio-Canada se prépare à passer en mode complètement numérique, mais vraisemblablement pas avant 10 ans, a-t-elle dit au Globe and Mail. Devant le tollé qu’ils ont suscité, Mme Tait a dû préciser ses propos le lendemain : le diffuseur public n’abandonnera pas ses auditeurs sur les plateformes traditionnelles.

Que CBC/Radio-Canada consacre de plus en plus d’énergie à la programmation numérique, ça se comprend. C’est vers là que migrent les auditoires. En même temps, il ne faut pas délaisser les plateformes traditionnelles, encore très populaires. Radio-Canada doit être capable de rejoindre les Canadiens sur ces deux types de plateformes.

Il y a toutefois un gros problème avec la stratégie numérique de Radio-Canada. Un problème dont on parle peu : dans le numérique, le diffuseur public se comporte de plus en plus comme un diffuseur privé sur le plan commercial, en oubliant l’aspect gratuit de son mandat.

L’exemple le plus frappant : l’Extra d’ICI Tou.TV, la version payante à 6,99 $ par mois qui vous donne accès à la plupart des meilleures séries de Radio-Canada en primeur.

Que Radio-Canada veuille avoir une offre payante sur sa plateforme numérique, ça peut certainement se discuter.

Le problème, c’est que durant le mandat de Mme Tait (qui se termine en juillet), Radio-Canada a tout fait pour vous inciter à payer pour l’Extra d’ICI Tou.TV. On y présente en primeur plusieurs des meilleures séries de Radio-Canada, qu’on verra plus tard gratuitement à la télé. Parfois des mois plus tard.

CBC ne fait pourtant pas payer pour visionner ses meilleures séries. La BBC non plus au Royaume-Uni.

Par le truchement de leurs impôts, les Canadiens paient déjà une première fois pour financer les émissions de télé de Radio-Canada. On n’a pas à payer une deuxième fois. Il y a toujours bien des limites à étirer l’élastique !

En plus, la stratégie numérique de Radio-Canada n’a pas l’air de fonctionner très fort. L’Extra d’ICI Tou.TV est le service numérique le moins populaire au Québec. Seulement 8 % des internautes y sont abonnés, comparativement à 51 % pour Netflix, 34 % pour Amazon Prime Video, 24 % pour Disney+, et 14 % pour le Club illico et Crave1.

Radio-Canada a beaucoup plus de succès sur les plateformes traditionnelles : en 2021-2022, ICI Télé a obtenu 25 % des cotes d’écoute en heures de grande écoute, et ses deux chaînes de radio ont obtenu des parts d’écoute de 22 % (journée complète). Ce sont d’excellents chiffres.

On comprend que Radio-Canada veuille offrir un volet payant à son offre numérique. Mais il y a un problème de dosage. Une solution raisonnable : faire comme CBC Gem et offrir un forfait de 4,99 $/mois sans publicité et avec RDI. Le citoyen a alors le choix : ou bien il regarde les émissions gratuitement avec la pub, ou bien il les regarde sans pub, mais paie pour compenser la perte des revenus publicitaires.

Il faut redresser la barre tout de suite, car le diffuseur public est en train de prendre d’autres mauvaises habitudes commerciales dans le numérique. On diffuse de la pub sur OHdio alors qu’il n’y a pas de pub à la radio traditionnelle. On fait du contenu publicitaire (textes, balados, émissions de télé) avec Tandem. Tout ça ne respecte pas l’esprit du mandat.

En échange de quelques dollars publicitaires, Radio-Canada est en train de perdre dans le numérique une partie importante de son identité : la gratuité de ses contenus. Ça doit cesser.

1. Académie de la transformation numérique, Portrait numérique des foyers québécois, janvier 2023

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  • 1,24 milliard
    En 2021-2022, CBC/Radio-Canada a reçu 1,24 milliard en financement public fédéral, soit 66 % de son budget. Le reste du budget provient de revenus commerciaux (notamment la publicité).