Un courant atmosphérique entourant l’Antarctique accélère la fonte de ses glaces depuis 400 ans, ont découvert cet automne des chercheurs européens. Appelé « Oscillation de l’Antarctique », ce système fait remonter les eaux chaudes des profondeurs vers le continent. Son effet pourrait être accentué par le réchauffement climatique.
Un record depuis 6200 ans
En recueillant des carottes de sédiments dans les fonds marins de la péninsule antarctique, les chercheurs sont parvenus à calculer l’influence de l’Oscillation de l’Antarctique depuis 6200 ans. « Nous avons des données instrumentales remontant à 30 ou 40 ans, mais elles ne permettent pas de bien comprendre l’influence à long terme sur les glaciers de ce système atmosphérique très important pour le continent antarctique », explique Claus-Dieter Hillenbrand, de la Commission antarctique britannique. Dans une étude publiée fin octobre dans la revue Scientific Reports, il explique que « ces vents d’ouest font remonter les eaux chaudes des profondeurs, tout autour du continent. C’est pour cela qu’on l’appelle “mode annulaire austral”, ou SAM (Southern Anular Mode). Nous avons été très surpris de voir qu’il y a 400 ans, le SAM a connu un changement sans précédent en 6200 ans, qui semble avoir accéléré la fonte des barrières glaciaires (Ice shelf). Cela a fragilisé les glaciers antarctiques, ce qui augmente l’impact des changements climatiques. » Les barrières glacières agissent comme une ceinture de protection disposée autour des glaciers qui recouvrent le continent.
Le petit âge glaciaire
Cette modification du mode annulaire austral (SAM) est survenue un peu après la fin du petit âge glaciaire, qui a refroidi l’Atlantique Nord pendant le Moyen Âge et fait geler les lacs d’Europe du Nord durant l’hiver, comme on le voit dans les peintures de Brueghel. « Pour le moment nous n’avons pas trouvé de connexion entre ces deux événements », dit le coauteur Gerhard Kuhn, de l’Institut de recherche polaire de Bremerhaven. Le SAM semble plutôt avoir un lien avec l’Oscillation australe, responsable d’El Niño et La Niña dans le Pacifique. Avec les changements climatiques, El Niño est devenu plus faible, alors l’influence du SAM est relativement plus importante. »
Le trou de la couche d’ozone
Le mode annulaire austral a toutefois un impact bien moins important que le réchauffement de la planète, selon MM. Kuhn et Hillenbrand. « Le trou dans la couche d’ozone semble accentuer l’impact des changements climatiques sur l’Antarctique », dit M. Kuhn. Des études récentes ont montré que le trou dans la couche d’ozone diminue moins vite que prévu à cause d’émissions de molécules réfrigérantes « pirates » en provenance de Chine. Pour toutes ces raisons, il est très difficile d’estimer la longueur des différents cycles du SAM, selon Hillenbrand. « Il semble y avoir un cycle court de sept ans, mais il y a évidemment un cycle plus long, qui dure des siècles. »
Des carottes de 1000 mètres
Pour estimer la durée des cycles longs du SAM, il faudrait remonter plus loin dans la paléoclimatologie. « Nos carottes font 20 mètres de long, il faudrait des carottes beaucoup plus longues, dit M. Hillenbrand. Très peu de navires en sont capables. On parle de carottes de sédiments marins de 100 à 1000 mètres. »
Le plus fort courant au monde
Outre des carottes plus longues, il faudrait affiner les modèles pour mieux comprendre l’interaction entre le SAM et les barrières de glace retenant les glaciers de l’Antarctique, dit M. Hillenbrand. « Le courant marin qui fait le tour de l’Antarctique est le plus fort au monde. Il faut comprendre l’influence du SAM sur ce courant marin. »
De plus en plus fort
Le mode annulaire austral est l’un des seuls systèmes atmosphériques de la planète qui se renforce au lieu de s’affaiblir avec les changements climatiques, selon Benjamin Bronselaer, climatologue de l’Université de l’Arizona qui publiait début janvier une étude sur l’interaction entre les vents et les icebergs au large de l’Antarctique. « Contrairement à l’Arctique, l’Antarctique se réchauffe moins vite que l’Équateur, dit M. Bronselaer. Comme la force des vents dépend de la différence de température, le SAM se renforce. Les vents du SAM se déplacent aussi vers le pôle Sud au lieu de rester sur la côte. Il faut faire des modélisations avec des mailles plus fines pour bien comprendre ce que ça va avoir comme effet. »
Des siècles et des millénaires
L’Antarctique comporte deux grandes zones de glaciers, à l’est et à l’ouest. Les glaciers de l’Ouest sont les plus fragiles, mais comportent à peine 5 % de la quantité totale de glace du continent. Jusqu’à récemment, l’Antarctique Est semblait peu affectée par les changements climatiques, un accroissement des chutes de neige augmentant même la masse de ses glaciers. Mais il y a un an, une étude publiée dans la revue PNAS ont montré que l’Antarctique Est avait contribué à la hausse du niveau de la mer depuis 40 ans.
La hausse du niveau de la mer (de 1970 à 2010)
Fonte des glaciers de l’Antarctique Est : + 4 mm
Fonte des glaciers de l’Antarctique Ouest : + 10 mm
Gain et perte de masse des glaciers (de 1992 à 2017)
Antarctique Est : + 5 milliards de tonnes par année
Antarctique Ouest : - 94 milliards de tonnes par année
Sources : Nature, PNAS
L’impact de la fonte des glaces
L’Antarctique et le Groenland ont perdu d’importantes quantités de glace au cours de la dernière décennie. Voici l’impact appréhendé de la fonte éventuelle de leurs glaciers sur le niveau de la mer, avec la statue de la Liberté, à New York, comme étalon.
+ 1,2 m : hausse maximale prévue du niveau de la mer en 2100
+ 7,5 m : fonte de tous les glaciers du Groenland
+ 3,3 m : fonte de tous les glaciers de l’Antarctique Ouest
+ 53 m : fonte de tous les glaciers de l’Antarctique Est
+ 63,8 m : fonte de tous les glaciers du Groenland et de l’Antarctique
Note : la base de la fondation est à 2,7 mètres au-dessus du niveau de la mer