L’usine de cellulose de Fortress située à Thurso, en Outaouais, coûte cher à Québec. En plus de s’attendre à tirer un trait sur un prêt de 100 millions de dollars consenti il y a environ une décennie, le gouvernement Legault aura prêté près de 40 millions de dollars de plus à cette entreprise – toujours à l’abri de ses créanciers – depuis 2018.

Et l’État devra probablement une fois de plus contribuer si un repreneur décidait finalement de se manifester, selon le ministre de l’Économie et de l’Innovation, Pierre Fitzgibbon. Ce dernier n’a pas encore jeté l’éponge parce qu’il se dit préoccupé de la « structure de l’industrie forestière » en Outaouais et dans les Laurentides si le site disparaissait pour de bon.

« Si c’était seulement Fortress, peut-être que nous aurions déjà pris la décision de fermer », explique-t-il au cours d’une entrevue téléphonique. « Mais c’est beaucoup plus large que ça. Il y a des implications sur l’écosystème de la récolte forestière. »

D’après un récent décret gouvernemental, le Conseil des ministres a donné son aval pour un nouveau prêt de 14,7 millions à Fortress pour notamment couvrir des frais conservatoires, comme le chauffage, de cette usine à l’arrêt depuis octobre 2019 – ce qui avait envoyé quelque 300 personnes au chômage.

Une partie de la somme servira également à payer des « études concernant les perspectives […] en vue d’une reprise potentielle ».

« Il y a un processus en place, et on regarde ceux qui sont prêts à prendre des risques », a dit M. Fitzgibbon, en ajoutant qu’il existait un scénario de « conclusion négative » si « rien n’a été trouvé dans neuf mois ».

Établie en Colombie-Britannique, Fortress Paper avait évoqué la dispute commerciale sino-américaine au moment d’annoncer l’arrêt de ses activités à Thurso. Selon l’entreprise, cette situation avait réduit l’appétit de la Chine pour les vêtements et les tissus, provoquant un recul de la demande pour la pâte dissolvante ainsi qu’une chute marquée des prix.

D’après le plus récent rapport du contrôleur Deloitte, le prix de la tonne métrique de la pâte était de 640 $ US en octobre 2019. Il oscille entre 1000 $ US et 1100 $ US.

Toujours à l’étude

Il y a trois scénarios sur la table, selon M. Fitzgibbon : fermer l’usine pour de bon, dénicher un repreneur capable de réduire les coûts de production de l’ordre de 150 $ US la tonne ou trouver une nouvelle vocation au site.

« Il est fort probable de conclure que le gouvernement restera impliqué », a dit le ministre, en convenant que le prêt de 102 millions de dollars effectué en 2010 ne valait « plus rien ».

L’État avait prêté 102 millions à Fortress en 2010 quand l’entreprise avait acquis l’usine de Thurso, qui était fermée, pour convertir sa production de la pâte kraft vers la pâte dissolvante. La facture du projet était initialement estimée à 175 millions ; elle a finalement bondi à plus de 300 millions en raison de dépassements de coûts.

Rien n’a été remboursé, a confirmé le ministère de l’Économie à La Presse.

Luc Bouthillier, du département des sciences du bois et de la forêt de l’Université Laval, reconnaît qu’il est « logique » pour le gouvernement québécois de tenter de sauver la « seule usine capable de produire des pâtes et papiers » dans la région de l’Outaouais et des Laurentides.

Toutefois, l’expert croit que Québec doit « mettre son pied à terre » et signaler aux repreneurs potentiels que l’État ne payerait pas pour la préservation des actifs indéfiniment.

« Politiquement, c’est difficile, dit M. Bouthillier. Je pense que maintenir l’usine en vie est une bonne décision, mais on devrait fixer un échéancier. De cette façon, les acteurs industriels vont réaliser que c’est dans leur intérêt d’adopter une approche plus coopérative. »

En juin 2020, le gouvernement Legault avait dit avoir cogné à la porte de plus de 115 acquéreurs potentiels dans l’espoir d’attirer un repreneur, sans succès. Depuis, le prix de la tonne métrique a repris du poil de la bête.

Selon M. Fitzgibbon, un dénouement pourrait survenir d’ici la fin de juin 2022.

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Nombre approximatif de salariés chez Fortress à Thurso au moment de l’annonce de la fermeture de l’usine