J’avoue que celle-là, je ne l’ai pas vue venir. Peut-être parce que je ne souhaitais pas la voir venir. À la fin de son émission, dimanche midi, sur Ici Première, Michel Désautels a annoncé qu’il prenait sa retraite à la fin de la présente saison, c’est-à-dire le 18 juin.

Paf !

Il a fait cette déclaration d’une façon qui est totalement fidèle à son image : avec élégance et humilité.

Il l’a fait en rendant d’abord hommage à cette radio qu’il aime depuis qu’elle a pris la forme d’une « petite boîte en bakélite beige » dans son enfance de la rue Bélair. Après avoir dit à ses fidèles auditeurs que les studios, les micros et les consoles ont bien changé au fil du temps, il a camouflé son émotion et leur a confié :

« Ce qui n’a pas changé, c’est le bonheur que j’ai à faire de la radio. Je ressens aujourd’hui le même frisson qu’au moment où j’ouvrais mon micro les premières fois à CJBC, la radio française de Toronto […]. Je ne suis jamais entré au bureau à reculons. Et laissez-moi vous dire que j’en sors le sourire aux lèvres. »

Michel Désautels pratique ce métier depuis 50 ans, mais il a senti le besoin de tirer sa révérence cette année.

« À part viser 75 ans, je ne vois pas grand-chose d’autre, m’a-t-il dit à la blague lorsque je l’ai joint chez lui. J’aime beaucoup ce que je fais, mais il vient un temps où il faut que ça s’arrête. »

On a assisté l’an dernier à une vague de départs (ou de mutations) à la radio et à la télé : Joël Le Bigot, Paul Houde, Pierre Bruneau, Denis Lévesque, Michel Lacombe, Denis Gagné, Pierre Therrien et Jacques Fabi ont fait partie de ce mouvement. Certains de ces départs sont encore difficiles à accepter. Vous me l’écrivez régulièrement.

Mais j’avoue que dimanche après-midi, j’ai poussé un : « Ah non, pas Désautels ! » bien senti !

Michel Désautels m’a assuré qu’il n’a pas mis sa décision en attente l’an dernier pour ne pas aggraver la situation.

Je crois qu’on assiste à une vague générationnelle. Nous sommes plusieurs à atteindre l’âge de la retraite en même temps. Il y a eu des périodes à Radio-Canada où on embauchait peu. Ce n’est pas le cas en ce moment. Bref, tout cela est normal.

Michel Désautels

La radio publique perd un pilier, il n’y a pas de doute. La directrice générale de l’information, Luce Julien, a qualifié Michel Désautels de « géant ». Sa collègue Manon Globensky a cité sur Facebook le titre d’un célèbre poème de Walt Whitman : « O Captain ! My captain ! ».

Son extrême rigueur, sa façon de mener des entrevues sur des sujets extrêmement pointus sans jamais nous lâcher la main et, surtout, sa grande maîtrise de la langue française, tout cela va terriblement nous manquer.

Parlant de la langue et des mots, Michel Désautels a l’habitude de commencer ses émissions en abordant un sujet de son choix qui ne fait pas partie du menu des deux heures. Je lui ai demandé un jour si ces billets étaient rédigés à la virgule près. Il m’a dit qu’il se préparait mentalement, mais qu’une fois le micro ouvert, il s’en remettait à ceux qui sont à l’écoute.

Michel Désautels en est à sa dixième saison de Désautels le dimanche, un rendez-vous hebdomadaire qui laisse une place de choix à l’actualité internationale, mais aussi à plein d’autres sujets. L’érudition de cet animateur favorise cela. Il a toujours beaucoup aimé le monde de la culture et il n’a jamais pu s’empêcher de réunir des créateurs autour de lui.

Il laisse la maison bien en ordre. Les cotes d’écoute de Désautels le dimanche n’ont jamais été aussi bonnes.

« À un moment donné, une direction décide qu’elle n’aime plus ta face ou le créneau, et ça s’arrête là. Ce n’est pas ça qui se passe. Au contraire, elle ne nous a jamais aimés comme elle nous aime maintenant. »

À la télévision de Radio-Canada, Michel Désautels a été l’un des animateurs-reporters du magazine Le Point. Il a aussi été le formidable animateur de La course autour du monde, La course des Amériques, La course Amérique-Afrique et La course Europe-Asie. Certains se souviendront de son talk-show quotidien et audacieux, Studio libre.

Dans les années 1980, sa réputation d’animateur de radio a pris du galon avec l’émission du retour à la maison Montréal Express. À l’automne 2013, il a créé Désautels le dimanche. Depuis quatre ans, il présente également des billets à l’émission matinale Tout un matin.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Michel Désautels en 2016

Michel Désautels a publié trois livres : Pierre Gauvreau – Les trois temps d’une paix (1997), ainsi que les romans Smiley (1998) et La semaine prochaine, je veux mourir (2000). Il entend d’ailleurs profiter de sa retraite pour renouer avec l’écriture.

Le départ de Michel Désautels ne signifie pas pour autant la fin d’un grand rendez-vous dominical qui jette un regard privilégié sur les grands sujets d’actualité de la semaine. « On ne m’a rien dit, mais je suis convaincu qu’une autre émission avec le même mandat va remplacer la nôtre. »

Michel Désautels emporte avec lui une émission qui portait son nom. Mais aussi et surtout un savoir-faire inégalable. Quant à sa présence rassurante, elle sera de l’ordre du deuil.