(Edmonton) Quatre jours après avoir annoncé qu’elle ne répondrait pas aux questions sur son enquête éthique, la première ministre de l’Alberta, Danielle Smith, a déclaré qu’elle limiterait les questions sur tous les autres sujets.

Mme Smith a annoncé vendredi à Calgary qu’elle n’autoriserait les journalistes à poser qu’une seule question lors des conférences de presse et qu’elle ne leur permettrait pas de poser la traditionnelle question de suivi.

Interrogée sur les raisons de cette décision, elle a répondu : « Il s’agit d’une élection, voilà pourquoi ».

« Nous sommes en quelque sorte en mode électoral, nous avons donc beaucoup de monde et nous voulons répondre à beaucoup de questions. »

L’élection ne doit pas commencer officiellement avant deux semaines, et Mme Smith a invoqué la nouvelle règle, non pas lors d’un évènement organisé par le Parti conservateur uni de l’Alberta (UCP), mais lors d’un point de presse financé par le gouvernement pour dévoiler un nouveau groupe d’experts chargé d’aborder les questions multiculturelles.

L’opposition néo-démocrate a réagi rapidement, promettant de répondre à toutes les questions qui lui seraient posées, y compris les questions de suivi.

« Les leaders acceptent les questions — cela fait partie de leur travail », a déclaré la chef du NPD, Rachel Notley, sur les médias sociaux.

Si Danielle Smith n’est pas prête à s’expliquer avec les Albertains, elle ne devrait pas être première ministre. Les Albertains méritent mieux.

Rachel Notley, ex-première ministre et cheffe du NPD

L’ancien maire de Calgary, Naheed Nenshi, s’est également exprimé sur les médias sociaux.

« Ce n’est vraiment pas correct, a souligné M. Nenshi. Il s’agissait d’une annonce du gouvernement, pas d’une annonce électorale. »

« Cela fait partie du travail de répondre aux questions, même si elles sont difficiles — c’est pourquoi j’ai participé à des séances de questions presque tous les jours. Ne pas répondre signifie que vous cachez quelque chose ou que votre personnel a peur de ce que vous allez dire ».

Certains politologues estiment que Mme Smith fait ce changement pour éviter d’avoir à rendre des comptes, compte tenu notamment de la récente controverse suscitée par son appel téléphonique avec Art Pawlowski, un pasteur de rue de Calgary, au sujet de son procès à venir.

L’importance de la question de suivi

Selon eux, les questions de suivi adressées aux personnalités politiques sont cruciales, car elles servent généralement à clarifier des lacunes ou des hypothèses, ou à remettre en question, le cas échéant, le contenu de la première réponse.

« La question de suivi permet aux journalistes de faire deux choses. Elle leur permet soit de répéter (la question initiale), soit, dans certains cas, d’interpeller le premier ministre ou le politicien sur des inexactitudes ou pour clarifier des faits », a expliqué le politologue Jared Wesley, de l’Université de l’Alberta.

Selon M. Wesley, il appartiendra aux électeurs de décider s’ils sont préoccupés par la politique de la question unique de Mme Smith. Selon lui, il s’agit d’une stratégie électorale discutable pour Mme Smith et son parti, l’UCP, étant donné que les sondages indiquent une course serrée avant le scrutin du 29 mai et que les électeurs s’interrogent sur la fiabilité de Mme Smith.

« Si vous avez un problème de responsabilité, la solution n’est pas de vous rendre moins responsable. La réponse est de se rendre plus transparent. Et cette nouvelle politique va à l’encontre de cela », a continué M. Wesley.

D’après lui, cette décision ouvre également la porte à ce que Mme Notley réponde à toutes les questions des médias afin de redorer son image de leader fiable et confiant, tout en étant en mesure de dépeindre M. Smith comme étant évasive.

« Cela alimente les éléments négatifs de l’image de marque de Mme Smith, qui est celle d’une personne qui évite de rendre des comptes », a dit M. Wesley.

Selon la politologue Lori Williams, les questions de suivi sont essentielles pour obtenir les réponses dont les électeurs ont besoin, et la nouvelle règle s’inscrit dans un schéma d’évitement de la part de Mme Smith.

« Nous assistons ici à la dernière d’une série de tentatives de la part de la première ministre pour éviter de répondre aux questions », a déclaré Lori Williams, de l’Université Mount Royal de Calgary.

Elle a cité l’annonce faite par Mme Smith en début de semaine, selon laquelle la première ministre ne répondrait pas aux questions concernant l’enquête sur son appel téléphonique avec le pasteur Pawlowski. Dans cet appel, on entend Mme Smith partager des informations internes, tout en offrant de faire des demandes en son nom avant son procès lié à une manifestation pendant la pandémie de COVID-19 au poste frontalier de Coutts, en Alberta.

« Cela devient une habitude associée à ce gouvernement et à cette première ministre, qui ont toutes sortes de raisons de ne pas répondre aux questions, et qui disent ensuite, paradoxalement, que c’est le cas parce qu’il s’agit d’une élection », a déclaré Mme Williams.

« Cela ne fait qu’accroître les doutes sur la confiance, au lieu de renforcer la confiance dans le leader. »

Des experts juridiques ont déclaré que Mme Smith avait enfreint le garde-fou démocratique qui empêche les élus d’interférer dans des affaires judiciaires spécifiques comme lors de l’appel avec Art Pawlowski.

Mme Smith a affirmé qu’elle n’avait rien fait de mal parce que c’est son travail de politicienne de s’adresser à ses électeurs.

Le bureau de Mme Smith a annoncé lundi que la commissaire à l’éthique Marguerite Trussler enquêtait pour savoir si l’appel avait interféré avec l’administration de la justice.