DERNIÈRE HEURE : C’est la guerre civile en France !

Non, attendez, ne stoppez pas les presses. Ne tuez pas la une. Je me suis emballée trop vite : la guerre ne vient pas tout juste d’éclater dans l’Hexagone. En fait, si l’on en croit Éric Zemmour, le presque prétendant à L’Élysée, elle fait rage… depuis des années.

« La guerre civile est déjà là », a soutenu le polémiste d’extrême droite, lundi, sur les ondes de la chaîne française BFMTV. Déjà, le pays est envahi par des hordes de migrants. Déjà, des banlieues s’islamisent. Déjà, des Français sont massacrés, des têtes roulent sur la chaussée.

Zemmour prétend être l’« oiseau de malheur » qui prévient la France de la menace existentielle qui plane sur elle comme une ombre noire. Il prétend ne pas être alarmiste, mais sonner l’alarme : si rien n’est fait, les Français auront bientôt perdu la guerre. Ils seront remplacés par d’autres. Des musulmans.

Ce n’est « ni un mythe, ni un complot, c’est un processus implacable », prévient-il dans son nouveau bouquin.

Il appelle ça le « Grand Remplacement ».

On pourrait s’en moquer. On pourrait l’ignorer en espérant le voir disparaître. En France, ses adversaires ont essayé tout ça. Ils ont échoué. À six mois de l’élection présidentielle, Éric Zemmour, en campagne sans être encore officiellement candidat, est plus populaire que jamais.

L’ancien chroniqueur au Figaro talonne Marine Le Pen dans les sondages. Parfois, il la double même – sur la droite, bien sûr. Le dernier coup de sonde, diffusé vendredi par Le Monde, le place à 16 % des intentions de vote au premier tour, contre 15 % pour sa rivale. Zemmour pourrait donc se qualifier pour le second tour, contre Emmanuel Macron.

Depuis des semaines, il sillonne la France pour servir son obsession du Grand Remplacement au plus grand nombre. Et ses partisans en redemandent. Même Jean-Marie Le Pen se dit prêt à voter pour lui plutôt que pour sa propre fille. Son discours est « rafraîchissant », a confié le fondateur du Front national (aujourd’hui le Rassemblement national) au Monde. « Il dit ce que je pense, mais avec une audience supérieure. »

Voilà qui ne devait rassurer personne. Jean-Marie Le Pen, rappelez-vous, aimait dire que les chambres à gaz étaient un détail de l’Histoire. À l’époque, ses propos ont été universellement condamnés.

Éric Zemmour, lui, laisse entendre que le régime de Vichy n’était pas si mal, après tout. D’accord, le maréchal Pétain a déporté des Juifs étrangers, mais c’était pour sauver des Juifs français ! Cette thèse est complètement fausse, protestent les historiens. Cette fois, pourtant, il s’en trouve assez peu pour dénoncer haut et fort le révisionnisme de Zemmour.

Pourquoi un tel silence ? Jean-Marie Le Pen croit le savoir. « La seule différence entre Éric et moi, c’est qu’il est juif, a-t-il expliqué au Monde. Il est difficile de le qualifier de nazi ou de fasciste. Cela lui donne une plus grande liberté. »

Le 7 octobre, Éric Zemmour a comparé le ministre de l’Éducation, Jean-Michel Blanquer, à Josef Mengele, ce médecin d’Auschwitz qui faisait des expérimentations médicales sur les détenus.

Le crime du ministre ? S’être soumis aux « injonctions abominables des militants LGBT » en demandant aux enseignants de veiller à la bonne intégration des élèves transgenres dans leurs classes…

La Seconde Guerre mondiale, encore. Le sujet est gravissime, et les comparaisons, trop souvent grossières et scandaleuses. En général, on s’abstient. Même Marine Le Pen, déterminée à rendre le Rassemblement national plus fréquentable, interdit à ses troupes ces envolées polémiques nauséabondes.

Arrive Éric Zemmour, qui ne s’en prive pas. Et qui cartonne.

Ancien secrétaire général de Jacques Chirac, Frédéric Salat-Baroux est l’un des rares à oser une autre comparaison. Dans une récente tribune au Monde (1), il constate que Zemmour lui-même « emprunte aux années 1930 les stratégies de conquête du pouvoir ».

[Zemmour] offre une réponse unique à tous les problèmes : l’immigré, le musulman. Comme hier avec le juif, tout devient simple : il faut éliminer celui qui nous submergerait et nous pervertirait.

Frédéric Salat-Baroux, dans une tribune au Monde

Zemmour va plus loin qu’un Jean-Marie Le Pen au racisme ordinaire, écrit l’ancien mandarin. « En ramenant l’homme à sa seule religion, on efface ce que l’humanité a de commun. À partir de là, le pire devient possible. Le risque de guerre civile, Zemmour n’y répond pas : il le crée. »

Mercredi, Éric Zemmour a pointé « à la blague » une arme vers des journalistes, dans un salon de la sécurité. Une ministre s’est indignée ; il l’a traitée d’imbécile. Les médias se sont déchaînés. Une fois de plus, Zemmour venait de dicter l’agenda politique et médiatique de la journée.

PHOTO BARDOS FLORENT, TIRÉE DU SITE PARISMATCH.COM

Éric Zemmour, lors de sa visite au salon Milipol de Paris, mercredi

Tout à coup, une autre comparaison vient en tête. Avec Donald Trump.

D’accord, l’un possède une certaine éloquence, l’autre pas. Mais la recette populiste est très semblable. Presque du copié-collé.

Avant que Zemmour, deux fois condamné pour incitation à la haine raciale, ne traite les migrants mineurs de « voleurs » et de « violeurs », Trump avait traité les migrants mexicains de « criminels » et de « violeurs ». Les mêmes mots. La même haine.

Le slogan de Trump : Make America Great Again. Le titre du plus récent bouquin de Zemmour : La France n’a pas dit son dernier mot. La même nostalgie d’un pays fantasmé.

L’ancien ambassadeur de France à Washington Gérard Araud l’a noté sur Twitter : « Zemmour suit à la lettre la stratégie qui a mené Trump à la victoire en 2016 : polariser, créer la controverse, pas de programme, fédérer les révoltes, discours catastrophiste… »

Les deux hommes sont adeptes de faits « alternatifs ». Les deux prétendent casser les codes de la politique, dire les « vraies affaires » et pourfendre l’« idéologie dominante ». Les deux sont accusés de sexisme et d’agressions sexuelles par de nombreuses femmes…

On les a traités tous deux de clowns démagos. On n’a pas voulu les prendre au sérieux. Aux États-Unis, on connaît la suite…

Dans le dernier numéro de L’Obs, Jean-Marie Le Pen revient sur son « affinité affective » avec Éric Zemmour : « La seule autre personne envers laquelle j’ai éprouvé un tel élan naturel de sympathie est Saddam Hussein. »

Comment dire…

L’homme de 93 ans n’est pas surpris de la percée de Zemmour. Il blâme sa fille, qui n’aurait jamais dû « dédiaboliser » l’ex-Front national. « Je lui avais dit de ne pas aller au-devant de la droitisation de l’opinion. Il suffisait d’attendre qu’elle vienne à nous. […] Quelle idée de vouloir dédiaboliser au moment où le diable devient populaire ! »

Lisez la tribune de Frédéric Salat-Baroux dans Le Monde