Des délais pour obtenir une certification médicale empêchent des apprentis pilotes et retraités de prendre les airs

Les apprentis pilotes, écoles de formation et retraités qui souhaitent reprendre du service sont cloués au sol par la bureaucratie chez Transports Canada, qui met des mois à traiter des dossiers médicaux. Une situation qui exacerbe les difficultés de recrutement au moment où l’industrie aérienne redécolle.

Il est sur le point de souffler sa 68e bougie, mais l’envie est trop forte : Jean-Pierre Avoine veut retrouver les cabines de pilotage. À son âge, ce retraité d’Air Canada n’a plus le droit d’effectuer des liaisons internationales, mais un emploi chez un transporteur régional l’attend. Le hic : il lui manque le certificat médical des autorités fédérales – souvent la dernière étape du renouvellement d’une licence.

« Mon examen médical (avec un examinateur médical de l’aviation civile) s’est passé en août dernier et je n’ai plus de nouvelles, raconte à La Presse l’ancien pilote. Si on me dit que je ne peux plus voler, je vais faire mon petit bout de chemin après ça, mais si c’est l’inaction de Transports Canada, ça me dérange. C’est de l’incompétence bureaucratique. »

Le délai de traitement d’un dossier était auparavant d’environ 40 jours. Depuis l’arrivée de la COVID-19, cet échéancier ne tient vraisemblablement plus et la situation, déjà dénoncée dans le passé, ne s’améliore guère.

Cela s’ajoute à la disponibilité restreinte des simulateurs et des autres exigences réglementaires qui complexifient le recrutement. Selon les données préliminaires compilées par l’équipe de Mehran Ebrahimi, professeur à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et directeur de l’Observatoire de l’aviation civile, il manquerait entre 1400 et 1900 pilotes à l’échelle nationale.

« Nous étions parmi les derniers pays à venir en aide à l’industrie aérienne pendant la pandémie et nous n’avons pas vraiment épaulé les aéroports », souligne l’expert.

Ce n’est pas surprenant avec la certification médicale. Comme avec la crise des passeports, on dirait qu’il faut atteindre l’extrême limite avant que les choses changent.

Mehran Ebrahimi, professeur à l’UQAM et directeur de l’Observatoire de l’aviation civile

Silence radio

M. Avoine est loin d’être seul à taper du pied. La Presse a recueilli de nombreux témoignages auprès de pilotes, d’écoles de formation et d’aspirants pilotes. Les contrôleurs aériens sont également touchés par ces délais bureaucratiques. Une publication effectuée dans un groupe de discussion en ligne sur le sujet a permis de recevoir une dizaine de témoignages en quelques minutes seulement. Ils concernaient les certificats médicaux de catégorie 1 pour les pilotes détenteurs d’une licence commerciale.

Hugues Lavigne fait partie du groupe. Après un refus en 2018, ce trentenaire tente de nouveau sa chance dans le but de pouvoir obtenir les autorisations qui lui permettront de suivre une formation afin de devenir pilote commercial. Il dit avoir déboursé 2100 $ afin d’obtenir des rapports chez un neuropsychiatre ainsi qu’un ophtalmologiste pour prouver qu’il répond aux exigences de Transports Canada.

« J’ai envoyé tout cela en novembre 2020, dit-il. J’ai reçu une lettre en septembre 2021 pour me dire qu’il manquait un document. Après l’avoir envoyé, je n’ai plus de nouvelles. Rien. C’est mort. J’appelle de temps en temps. J’envoie des courriels, mais je n’ai jamais de réponse. J’ai mis tout ça de côté. J’attends que ça dégèle. »

L’Air Line Pilots Association (ALPA), qui se targue d’être le plus grand syndicat de pilotes de ligne au monde et qui compte des pilotes d’Air Transat et de WestJet parmi ses membres, affirme que les « arriérés de certificats médicaux demeurent préoccupants » chez Transports Canada même si une amélioration a été observée depuis un an.

Le portrait n’est pas plus rose du côté des écoles de formation, où des élèves attendent parfois jusqu’à un an avant d’obtenir leur certification médicale, raconte Thierry Dugrippe, directeur des opérations chez Air Richelieu, établie à l’aéroport Montréal Saint-Hubert, en banlieue sud de la métropole.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Thierry Dugrippe est directeur des opérations chez Air Richelieu.

Celui-ci a constaté une « légère amélioration » ces derniers temps, mais il estime que « l’offre de service » est toujours « inadéquate et inacceptable » dans la fonction publique fédérale.

Il y a des étudiants qui avaient commencé leur formation et qui ont été contraints d’arrêter parce qu’ils n’avaient pas de réponse.

Thierry Dugrippe, directeur des opérations chez Air Richelieu

« Comment se fait-il que ça prenne toujours autant de temps ? Il y a l’air d’avoir un problème de gestion. On est impuissants. C’est extrêmement dur et complexe à gérer », déplore M. Dugrippe.

Redressement attendu

Dans un courriel, Transports Canada dit traiter annuellement 60 000 demandes de certificat médical. Le ministère fédéral justifie certains retards par une « forte demande de services et la complexité de certains dossiers ».

« Les nouvelles demandes […] ou celles de nature plus complexe nécessitent plus de temps pour être évaluées afin d’assurer la sécurité du public, écrit Hicham Ayoun, porte-parole du ministère. Transports Canada continue d’évaluer les besoins en matière de ressources humaines, de formation du personnel médical et de soutien administratif. »

Le portrait pour 2020 et 2021 comporte des inexactitudes sur le nombre de licences valides en vigueur, précise Statistique Canada. L’agence attribue la situation à des exemptions médicales délivrées pendant la pandémie. Le système de Statistique Canada ne comptabilise que les pilotes qui détiennent un certificat valide.

Les questions supplémentaires de La Presse visant à faire le point sur la taille de l’effectif actuel par rapport à celui d’avant la pandémie sont demeurées sans réponse. Aucun échéancier n’a été fourni quant au moment où les choses pourraient rentrer dans l’ordre.

Signe que les choses se replacent dans l’industrie, Air Transat est à la recherche d’environ 100 pilotes d’ici le mois d’août puisque quatre appareils s’ajouteront à sa flotte cette année. Le transporteur affirme que le recrutement se déroule bien, mais cela témoigne que la demande est appelée à croître après les turbulences pandémiques.