Les réseaux sociaux, que Stéphan Bureau ne fréquente pas, bouillonnaient et grésillaient vendredi soir pendant l’entrevue controversée de l’humoriste Julien Lacroix au Monde à l’envers de TVA.

En gros, les téléspectateurs reprochaient à l’intervieweur son approche inquisitrice, son ton moralisateur et ses nombreuses interruptions de parole, qui suintaient l’arrogance, selon eux.

Stéphan Bureau a lu plusieurs de ces commentaires acides, qui ont sévèrement déchiqueté son travail exécuté en direct des studios de TVA. Et dimanche midi, 36 heures après la diffusion de son émission, l’animateur a fait ce que peu de têtes couronnées du showbiz font : il a offert des excuses senties, avant même que les commentateurs des journaux lui tombent sur la tomate.

Comme Stéphan Bureau ne s’affiche ni sur Twitter, ni sur Facebook, ni sur Instagram, il a publié son mea culpa sur LinkedIn, un réseau social utilisé principalement par les gens d’affaires. Personne ne l’a forcé à se dénuder ainsi, me dit-on. Aucune pression de ses patrons à TVA, aucune incitation de son équipe du Monde à l’envers, il a plongé sans tester la température de l’eau.

Voyez l'entrevue avec Julien Lacroix

« Impossible de nier ce qui s’impose maintenant comme une évidence à mes yeux, je n’ai pas donné le meilleur de moi-même lors de cet entretien », a écrit Stéphan Bureau sur LinkedIn, en ajoutant qu’il ne s’est pas aimé en regardant de nouveau l’entrevue.

Lisez le message de Stéphan Bureau

Le capitaine du Monde à l’envers note qu’il a « probablement eu l’air d’un procureur, c’est là une posture que je dénonce chez mes collègues et qui trouble mon sommeil depuis ». Il poursuit : « Je n’aspire pas à être un directeur de conscience, la mienne n’étant pas immaculée non plus. »

Ce geste d’introspection, extrêmement rare dans le milieu médiatique, honore Stéphan Bureau, je trouve. Avez-vous déjà vu une personnalité connue s’insérer elle-même dans le tordeur, sans grogne populaire ni scandale à juguler ? Pas moi. Règle générale, une vedette s’excuse quand elle n’a plus le choix, quand sa réputation coule ou quand ses commanditaires l’acculent au mur après plusieurs jours de violente tempête. Une vedette ne se jette jamais en pâture aux trolls du web de son plein gré.

Reconnaître ses maladresses ou dévoiler certaines faiblesses, c’est déjà ardu dans la sphère privée, imaginez en public. C’est un exercice louable de la part d’un animateur que l’on n’associe pas d’emblée, à tort ou à raison, au mot « humilité ».

Joint lundi, Stéphan Bureau m’a paru serein et sincère après ce week-end houleux. « Je ne regrette pas du tout d’avoir fait l’entrevue. Est-ce que ç’aurait pu être calibré autrement ? Oui, certainement. Le ton aurait pu et aurait dû être différent. Toutefois, il était hors de question d’avoir l’air complaisant, il fallait faire le boulot difficile avant de passer au ressenti », m’explique-t-il.

Avec le recul, Stéphan Bureau conçoit qu’« empathie aurait pu rimer avec rigueur » dans son entretien avec Julien Lacroix. Et est-ce nouveau pour lui de s’adonner à cette forme d’autocritique publique ? Pas du tout, tranche-t-il. « Je le faisais tous les vendredis matin à mon émission radiophonique Bien entendu à Radio-Canada », rappelle-t-il.

Maintenant, la rencontre télévisuelle entre Stéphan Bureau et Julien Lacroix a-t-elle été à ce point catastrophique ? Oui et non. La première portion a été malaisante et hachurée, c’est vrai. En partant, Stéphan Bureau a paru hautain en interrompant régulièrement son invité, en recadrant ses réponses et en lui montrant qui était le boss sur le plateau (« as-tu peur ? »).

Les deux hommes ne dansaient visiblement pas sur le même rythme, alternant entre le vouvoiement imposé par l’animateur et le tutoiement, plus naturel dans ce type de segment confession.

En même temps, Stéphan Bureau n’avait pas le choix de soumettre Julien Lacroix à ce « mur du feu ». La réaction aurait été mille fois pire s’il avait cajolé ou présenté l’humoriste de 30 ans comme une pauvre victime. Ç’aurait été l’apocalypse sur Twitter.

La deuxième partie a été plus fluide, avec toujours cette tension palpable dans l’air. Asseoir Julien Lacroix sur le plateau d’un talk-show, ce que tous les producteurs de Montréal ont essayé de faire, crée automatiquement un climat clivant. Les détracteurs de Julien Lacroix poussent pour l’évincer de la sphère publique. Ses défenseurs jugent qu’il n’a pas à avoir un procès devant le tribunal populaire. Et tout ce beau monde s’asperge d’insultes sur Facebook.

Trop gentil, trop exigeant, pas assez chaleureux ou pas assez strict, Stéphan Bureau aurait été poivré et taillé en pièces, peu importe la façon dont il aurait mené l’entretien.

Selon la firme Numeris, Le monde à l’envers a été regardé vendredi par 678 000 curieux, soit un chouïa de plus que les 665 000 téléspectateurs qui ont visionné Les petits tannants à Radio-Canada.

Julien Lacroix n’a posé aucune condition avant son entrevue à TVA. Il est venu à visière levée, rappelle Stéphan Bureau. « Mais j’aurais pu le laisser respirer davantage », admet-il.

Invité après Julien Lacroix, le scénariste François Avard, qui ne consomme plus depuis février 1995, a habilement déposé le couvercle sur cette marmite explosive en affirmant : « On peut changer, on a le droit à une deuxième chance. »

C’est ce que je pense aussi.