Les stations de radio commerciale n’ont plus les moyens de répondre aux besoins de leurs auditeurs tout en satisfaisant les attentes de leurs annonceurs, ont tranché mardi des dirigeants de Cogeco Média, qui préviennent que si le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) ne change pas les règles du jeu rapidement, ils pourraient devoir procéder à des restructurations majeures comme celles qui ont affecté d’autres médias d’information.

Témoignant lors d’une audience du CRTC, la présidente de Cogeco Média, Caroline Paquet, a lancé sans détour que « la radio suffoque » actuellement en raison du cadre réglementaire sévère auquel elle est soumise, pendant que des entreprises de diffusion en continu, comme Spotify ou Apple Music, échappent à toute contrainte.

« Les entreprises en ligne et les stations de radio se battent pour les mêmes revenus publicitaires, le même auditoire et la même main-d’œuvre. Cependant, les radios commerciales ne se battent malheureusement pas à armes égales avec les plateformes en ligne, pour la simple et mauvaise raison que celles-ci n’ont aucune obligation réglementaire », a-t-elle déploré.

« Ces plateformes n’ont aucune contribution à verser, n’ont aucune exigence de dépenses en contenu canadien, n’ont aucune obligation de programmation locale et n’ont aucun quota à respecter. »

Cette situation fait en sorte que les stations de radio sont soumises à des exigences qui sont « déconnectées des habitudes d’écoute des auditeurs », a plaidé Mme Paquet. Conséquemment, les revenus publicitaires des stations qui diffusent en français ont chuté de 20 % en cinq ans, a-t-elle dit.

Jusqu’à présent, Cogeco n’a pas procédé à une restructuration majeure dans ses 21 stations de radio comme certains autres médias l’ont fait dans les derniers mois – le Groupe TVA a notamment aboli 547 postes plus tôt cet automne.

Mais si le CRTC ne change pas le cadre réglementaire pour offrir plus de soutien financier aux stations de radio et durcir le cadre législatif pour les plateformes de diffusion en continu, elle pourrait être forcée de le faire. Et le cas échéant, c’est l’information locale qui serait touchée la première.

« Malheureusement, on remarque que certains de nos pairs dans l’industrie ont déjà commencé à prendre des décisions extrêmement difficiles », a observé le vice-président aux affaires réglementaires et gouvernementales de Cogeco, Paul Beaudry.

« On ne l’a pas fait – encore. Mais, on ne veut pas avoir à prendre ces décisions-là. Et compte tenu que la production de nouvelles est un des chefs de dépenses les plus onéreux pour des stations comme les nôtres, on se dit qu’agir rapidement […] en établissant sans plus tarder un fonds qui pourrait aider à financer les nouvelles, et notamment aider les radiodiffuseurs, serait extrêmement avisé. »

Mme Paquet, quant à elle, a averti que « sans l’instauration de règles équitables pour les radiodiffuseurs traditionnels, des centaines de stations vont fermer et des milliers d’emplois vont disparaître ».

« Nous assisterons à la création de déserts médiatiques d’un océan à l’autre. L’avenir des radios commerciales et de tout ce qu’elles représentent est donc entre vos mains aujourd’hui », a-t-elle lancé aux commissaires du CRTC.

Rogers tient des propos similaires

La présentation des dirigeants de Cogeco a eu lieu au cours de la deuxième semaine des consultations publiques du CRTC en réponse à la Loi sur la diffusion continue en ligne, qui a reçu la sanction royale en avril.

Cette loi vise à moderniser la législation fédérale afin d’obliger les plateformes numériques telles que Netflix, YouTube et TikTok à contribuer au contenu canadien et à en faire la promotion.

Le CRTC, qui est responsable de régir le secteur de la radiodiffusion au pays, étudie la possibilité de demander aux services de diffusion en continu d’apporter une contribution initiale au système de contenu canadien et de les mettre sur un pied d’égalité avec les entreprises locales, qui sont déjà tenues de soutenir le contenu canadien.

Lors de la même audience, des dirigeants de Rogers Communications ont fait valoir que les géants de la diffusion en ligne devraient être contraints de verser 2 % de leurs revenus annuels au Canada pour soutenir le contenu canadien et autochtone.

L’entreprise torontoise a souligné que ses concurrents et elle sont freinés par une structure réglementaire « oppressive » qui n’applique pas les mêmes règles aux entreprises numériques qui ont perturbé l’industrie.

À court terme, Rogers a demandé au CRTC de créer un fonds d’information temporaire pour aider à subventionner les chaînes de télévision et les stations de radio privées en utilisant 30 % des contributions qu’il demande à ces services en ligne de verser.

« Nous opérons dans un environnement réglementaire lourd en matière d’information », a rappelé Colette Watson, présidente de Rogers Sports and Media.

« Il est vraiment difficile de continuer à planifier l’avenir lorsque nous sommes coincés en 1995 avec un système. »

Perte d’abonnés

Dean Shaikh, premier vice-président des affaires réglementaires de Rogers, a expliqué que l’entreprise perdait des abonnés et des spectateurs au profit de concurrents en ligne.

« Le résultat que nous recherchons ici est que nous puissions rivaliser avec les diffuseurs en ligne », a-t-il déclaré aux membres du CRTC.

« Nous ne cherchons pas à obtenir des protections, mais à bénéficier de la même souplesse que celle qui pourrait être accordée aux diffuseurs en ligne. »

Selon lui, l’adoption par Ottawa de la Loi sur la diffusion continue en ligne et sa mise en œuvre par l’autorité de régulation « constitue un moyen de moderniser le cadre réglementaire de la radiodiffusion au Canada, qui aurait dû être mis en place depuis longtemps ».

« Notre proposition repose sur l’attente claire que le conseil prenne des mesures significatives pour alléger les obligations financières directes des groupes de propriété canadienne », a déclaré M. Shaikh.

« Il n’est plus juste ni viable que l’industrie canadienne de la radiodiffusion soit la principale source de financement de toutes les parties prenantes du système. »

La contribution de 2 % proposée par Rogers s’appliquerait aux « entreprises en ligne étrangères et canadiennes non affiliées qui ont un impact important sur le système de radiodiffusion canadien ». Ces entreprises sont définies comme des diffuseurs de contenus vidéo et audio en ligne dont les revenus annuels au Canada s’élèvent respectivement à au moins 50 millions et 25 millions.

La société a précisé qu’elle ne souhaitait pas que la contribution obligatoire s’applique aux créateurs de contenu sur les médias sociaux, mais plutôt aux plateformes qui les hébergent.

Le mois dernier, Rogers a fermé sa station de radio CityNews Ottawa et a licencié le personnel de la salle de rédaction, invoquant la baisse de l’audience et les défis réglementaires.

Des entreprises comme Spotify, Netflix et Amazon doivent venir témoigner devant le CRTC dans les prochains jours.