Si quelqu’un, quelque part, en doutait encore, c’est assez clair maintenant que Google a trop de pouvoir… et a été laissé trop longtemps sans contre-pouvoirs.

Le géant incontesté de la recherche web a décidé ces derniers jours de couper unilatéralement l’accès aux nouvelles à 4 % de ses usagers au Canada. On doit facilement parler, ici, d’un million de personnes.

Peut-être en faites-vous d’ailleurs partie sans le savoir, car Google n’a pas envoyé de mémo aux internautes concernés : l’entreprise a simplement fait disparaître en douce la fenêtre dans laquelle apparaissent habituellement les articles des grands médias d’information liés à votre recherche.

Vous prenez votre cellulaire, vous tapez « Justin Trudeau ingérence Chine » dans le moteur de recherche Google, et si vous avez été sélectionnés, la fenêtre « À la une » qui montre les articles de La Presse, du Devoir, du Journal de Montréal n’est tout simplement plus là.

C’est la façon qu’a trouvée Google de « rouler des mécaniques » et d’intimider le gouvernement fédéral, qui s’apprête à adopter un projet de loi que l’entreprise n’aime pas… Facebook a lancé la même menace l’an dernier, mais ne l’a pas encore mise en application.

Ce que confirme Google du coup, c’est non seulement qu’il était justifié d’éliminer son ancienne devise (Don’t be evil), mais qu’elle a aujourd’hui bien trop de pouvoir : elle agit comme ça simplement parce qu’elle peut agir comme bon lui semble.

Et elle prouve par le fait même qu’elle n’a pas assez de contre-pouvoir : on n’y peut rien, collectivement, personne ne peut l’en empêcher.

Et ce, même si la quasi-totalité de toutes les requêtes web des Canadiens est faite sur Google1.

Le projet de loi C-18 qui suscite l’ire du géant de la Silicon Valley porte sur le financement des nouvelles en ligne. Il vise à forcer certains joueurs à s’asseoir et à négocier des ententes équitables avec les entreprises médiatiques, sous forme de redevance pour l’utilisation de contenu pour lequel ils ne payent pas un sou.

Mais dans le fond, le problème auquel s’attaque indirectement le fédéral avec C-18, c’est exactement le problème que Google fait ressortir avec ses méthodes de matamore : son monopole.

Un monopole aux nombreux tentacules, qui lui permet de faire ce que bon lui semble, peu importent les conséquences. Un monopole qui a des impacts sur des entreprises, mais aussi sur les usagers, qui ont peu de recours en cas de problème. Un monopole qu’on tolère collectivement depuis trop longtemps, malgré les lois antimonopole censées assurer une saine concurrence.

Il est ici question de l’impact de cette domination sur les éditeurs de journaux. Mais ce pourrait tout aussi bien être son impact sur le marché de la publicité numérique, dont il contrôle la chaîne de valeur de A à Z, ce qui le rend à toutes fins utiles incontournable.

Car c’est au monopole dont jouit Google que le gouvernement Trudeau s’en prend sans le dire, en rappelant à l’entreprise qu’elle n’est pas seule au monde.

La décision de Google de couper l’accès aux nouvelles à une partie de ses usagers, c’est un peu comme si Bell Canada avait coupé l’accès aux interurbains à 4 % de ses abonnés… à l’époque où Bell était à peu près seule à offrir des interurbains au pays !

Car il fut une époque où Bell trônait en roi et maître sur le marché des communications interurbaines, jusqu’à ce que le CRTC casse son monopole en 1992. Tout comme les autorités américaines ont brisé le monopole de Microsoft quelques années plus tard, pour l’empêcher de forcer les fabricants d’ordinateurs à intégrer ses logiciels à Windows.

Mais curieusement, depuis les années 1990, on fait comme si les lois antitrust n’existaient pas. On laisse les géants acheter leurs rivales sans ciller (Facebook qui avale WhatsApp et Instagram, par exemple). On les laisse devenir des monopoles sans broncher (Google et les moteurs de recherche, Apple et l’App Store, Amazon et le commerce électronique, etc.).

Voilà pourquoi aujourd’hui, sur le tard il faut le dire, on doit agir par la porte de derrière, en les attaquant à coups de poursuites, d’amendes et de mesures gouvernementales.

On porte plainte, comme l’a récemment fait le département américain de la Justice contre le « monopole » de Google dans le marché de la publicité en ligne.

On s’attaque au fait que les fusions et acquisitions passent sous les radars réglementaires, comme l’ont fait les autorités américaines.

On impose des amendes salées de plusieurs milliards, comme l’a fait l’Union européenne en rappelant que « refuser à ses rivaux la chance d’innover et d’affronter à égalité la concurrence est illégal en vertu des règles antitrust ».

Et pour cette même raison, on force les géants à s’asseoir avec les entreprises médiatiques d’ici afin de mettre un prix sur les nouvelles qu’ils raclent gratuitement sur le web pour augmenter le trafic dans leur écosystème et nourrir encore plus la bête, comme le veut C-18. Une initiative du gouvernement Trudeau qu’il faut saluer.

Donc quand Google bloque l’accès aux nouvelles en guise d’opposition à une mesure gouvernementale, elle prouve par le fait même la pertinence de cette dernière. Et de tous les efforts visant à les encadrer, voire à les recadrer.

Bref, Google s’est nui à elle-même. Ou, pour reprendre l’expression de Jacques Parizeau, elle s’est auto-pelure-de-bananisée.

1 Consultez Le graphique du site web Statista sur les parts des requêtes de Google en 2022-2023