Ces derniers jours, aux audiences sur la constitutionnalité de la loi 21 en Cour d’appel, on a beaucoup parlé de droits individuels, de droits collectifs et de Constitution. Je crois qu’il faudrait aussi, sinon surtout, parler de religion. C’est le cœur de l’affaire.

L’individualisme frénétique du monde dans lequel nous vivons est le principal allié des religions aujourd’hui. Au nom de la défense de croyances personnelles, on oublie que l’État doit se tenir loin des religions pour leur bien et pour le nôtre.

Qu’est-ce que la religion ?

La religion est d’abord le lien entre une personne et son Dieu. A priori, elle relève donc de la sphère privée, l’État ne devrait pas s’en mêler. Toutefois, les religions s’incarnent aussi dans des institutions et dans des pratiques qui s’inscrivent, elles, dans la sphère publique. Examinons tout cela.

Les croyances religieuses

En philosophie, on pourrait résumer la religion de façon très générale comme une croyance en une chose dont l’existence n’est pas prouvée. C’est une explication de l’origine du monde. De l’au-delà. Du sens de la vie.

Pour cet aspect de la question, le rôle de l’État est uniquement de préserver la liberté de conscience, c’est-à-dire protéger le droit de chacun de croire en ce qu’il veut et, tout aussi important, celui de ne pas croire.

Il faut souligner un principe important : aucune religion ne peut prétendre être plus crédible, plus valable, plus vraie qu’une autre. Toutes les religions se valent. Elles se valent toutes dans le sens où aucune de leurs croyances ne peut être validée ou invalidée, justement parce qu’elles sont des croyances. La réincarnation, l’Immaculée Conception, le karma, notre création par des extraterrestres, l’existence du paradis ou de l’enfer, le nombre et les pouvoirs des dieux, etc. Tout cela est croyance, tout cela se vaut, rien de tout cela n’est démontrable ou invalidable.

Pour protéger ces croyances les unes des autres et pour protéger le droit de n’en avoir aucune, de nombreux États choisissent d’être laïques. C’est l’objectif de la loi 21.

Les pratiques religieuses

La religion est également un ensemble de pratiques. Des pratiques rituelles, alimentaires, vestimentaires, parfois incluses dans le canon religieux, parfois issues de la tradition. Il y a des pratiques auxquelles certains États, dont les nôtres, choisissent de s’opposer : mariage infantile, châtiments physiques, absence d’éducation autre que religieuse pour les enfants, autorité de l’époux, inégalités successorales, polygamie et autres pratiques que nous jugeons inacceptables.

Nous « brimons » donc souvent l’exercice de la religion. C’est à l’aide du moins mauvais des systèmes de prise de décision, la démocratie, que nous déterminons qu’une pratique que certains considèrent comme exigée par leur dieu doit être interdite.

Les institutions religieuses

La religion est aussi encadrée par des institutions qui en interprètent les textes, qui en définissent les pratiques, qui en font la promotion. Ces institutions ont des avis sur l’organisation de la société, elles véhiculent des valeurs, elles entrent parfois carrément dans l’arène politique.

Le lobby religieux, notamment aux États-Unis, fait reculer l’avortement ou encore exige le retrait des bibliothèques scolaires de livres illustrant la réalité des minorités sexuelles. Le lobby religieux fait reculer les droits des minorités sexuelles en Turquie, en Russie et ailleurs.

Partout dans le monde, les lobbys et les fanatismes religieux s’attaquent à la liberté d’expression. Les artisans de Charlie Hebdo, Samuel Paty, Salman Rushdie sont devenus des symboles de ce combat contre l’obscurantisme. Le droit de faire des affirmations parfois choquantes est au cœur du pluralisme. Pourtant, le droit de critiquer les religions, un droit acquis de haute lutte, recule.

La religion organisée est presque systématiquement sexiste. Les théocraties dans le monde sont toutes synonymes d’oppression des femmes. Toutes. Sans exception. Les trois grandes religions monothéistes (chrétienne, juive, musulmane), chacune à sa façon, traitent les hommes et les femmes différemment et ne font pas la part belle aux femmes. Comme l’affirmait récemment Pauline Marois, « la laïcité ne garantit pas à elle seule la libération et l’égalité des femmes, mais elle en est un ingrédient essentiel ».

Le lobby religieux est aussi l’adversaire de la science. Encore aujourd’hui, un peu partout dans le monde, les conclusions scientifiques sont mises sur le même pied que les dogmes religieux. Ça aussi, c’est de l’obscurantisme dont nous devons nous protéger en éloignant l’État des religions.

À cause de cet engagement politique des religions, engagement qui a existé de tout temps, l’État doit s’assurer qu’elles ne soient pas présentes en son sein, qu’elles ne puissent l’influencer que dans les forums démocratiques appropriés.

Parce que toutes les croyances se valent, parce qu’il faut encadrer certaines pratiques religieuses, parce que les religions font de la politique, il faut distinguer le citoyen du croyant. C’est cela, la laïcité : distinguer le citoyen du croyant. C’est affirmer qu’en tant que chrétienne, que raëlienne, qu’athée, que shintoïste, qu’animiste, que mormone, que juive, etc., une personne n’a aucun droit, mais qu’en tant que citoyenne, elle les a tous. C’est un choix de société valable, humaniste, qui mérite d’être défendu.

À lire dimanche : « La religion, c’est l’inverse de l’école »