Un premier bilan du marché du carbone montre que le système de plafonnement et d’échange fonctionne bien, mais qu’il ne réussit pas à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) au Québec et en Californie.

C’est un bilan contrasté qu’ont tracé jeudi Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal, et Stéphane Legros, du ministère de l’Environnement.

Le système de plafonnement et d’échange de droits d’émission (SPEDE) est l’outil sur lequel ont misé les gouvernements du Québec et de la Californie pour atteindre leurs objectifs à long terme de réduction des émissions de GES. L’Ontario en a fait partie pendant quelques mois avant de s’en retirer après l’élection de Doug Ford.

Sept ans après sa création, on peut dire que le marché sur lequel s’échangent les droits et les crédits d’émission fonctionne bien, ont affirmé les deux spécialistes. Les principaux émetteurs de gaz à effet de serre, qui sont obligés d’y participer, ont été rejoints par des institutions financières et d’autres intermédiaires qui y participent sur une base volontaire et donnent plus de profondeur au marché.

« C’est un signe que le système est bien reçu par le marché et que les investisseurs croient qu’il est là pour de bon », estime Pierre-Olivier Pineau.

Depuis sa création, le plafond imposé aux émetteurs pour les forcer et à réduire leurs émissions a été abaissé chaque année, comme prévu, et le prix des crédits d’émission a augmenté, comme c’était prévu également.

Depuis 2013, le SPEDE a tenu 25 enchères de droits d’émission, qui ont rapporté 4,5 milliards de dollars. Cet argent doit servir à financer des initiatives pour contrer les changements climatiques, comme celles que le gouvernement du Québec vient d’annoncer dans son Plan pour une économie verte.

Un choc à prévoir

Après de premières années encourageantes, le total des émissions de GES au Québec et en Californie stagne et il s’est même remis à augmenter, constate le bilan réalisé par la Chaire de gestion du secteur de l’énergie.

Comme les émissions augmentent et que le plafond d’émissions baisse chaque année, le prix des crédits va forcément augmenter, selon Pierre-Olivier Pineau, et il pourrait même exploser au cours des prochaines années.

Les automobilistes, par exemple, pourraient subir un rappel brutal de l’existence du SPEDE, auquel sont assujettis les distributeurs de carburants. Le coût d’achat des crédits d’émission est incorporé dans les prix à la pompe, si bien que les consommateurs ne le voient pas. On l’estime actuellement à 5 cents par litre.

Cela pourrait ajouter jusqu’à 20 cents au litre d’essence si le prix des crédits augmente comme prévu, parce que les émissions ne baissent pas. Cela va faire mal et risque d’augmenter la pression sur le gouvernement pour éliminer le SPEDE ou changer le système.

C’est justement ce qui inquiète le professeur Pineau. « Le marché du carbone jouera son rôle en faisant augmenter le prix d’un produit qui se fait plus rare [celui des crédits d’émission], mais il faudra accepter que ça fasse mal si on veut atteindre nos objectifs de réduction des GES », dit-il.

Les signaux envoyés par le gouvernement du Québec ne sont pas rassurants à cet égard, selon lui. Au moment de l’annonce du Plan pour une économie verte à la mi-novembre, tant le premier ministre François Legault que son ministre de l’Environnement, Benoit Charrette, ont écarté catégoriquement l’idée d’imposer des contraintes additionnelles aux Québécois.

« On ne mobilise pas les gens à travers des tapes sur les doigts », a affirmé M. Charrette dans une entrevue avec La Presse.