Le géant PepsiCo, associé depuis toujours aux boissons sucrées remplies de calories vides, a décidé de vendre le contrôle de sa marque de jus Tropicana. Il préfère concentrer ses énergies sur le développement de « collations plus saines, de boissons sans calories et de produits comme SodaStream qui ambitionnent d’être meilleurs pour les gens et la planète ».

On croit rêver en lisant cette explication du président Ramon Laguarta qui, entre les lignes, affirme que le jus d’orange n’est pas assez santé pour mériter une place dans son vaste portefeuille de produits.

Dire qu’Olivier Bernard, alias le Pharmachien, avait enflammé le Québec en 2016 en osant affirmer à Tout le monde en parle que le jus d’orange était aussi sucré que les boissons gazeuses et à peine meilleur pour la santé. Ses propos, rappelez-vous, avaient suscité un vif débat. Les nutritionnistes qui avaient confirmé ses dires avaient reçu le même traitement que lui.

On a vite découvert qu’il y avait d’ardents défenseurs du jus d’orange au déjeuner ! Et on a tous eu droit à un cours 101 sur les types de sucres.

Cette commotion était presque surréaliste. D’autant qu’Ottawa envisageait déjà de retirer du Guide alimentaire canadien les jus de fruits, accusés depuis longtemps par les experts du milieu de la santé de provoquer l’obésité chez les enfants. Ce qui fut fait, en 2019.

Évidemment, le fabricant du Pepsi et du 7UP ne s’éloigne pas du jus d’orange uniquement pour une question d’image. Le prix du jus n’augmente presque pas, et les ventes baissent depuis plus de 15 ans. Aux États-Unis, le sommet a été atteint en 2003 (4,2 milliards de gallons). L’an dernier, la consommation n’était plus que de 2,9 milliards de gallons, a précisé Beverage Marketing Corp. au Wall Street Journal. Aucun renversement de la tendance n’est prévu.

Au Canada, la consommation est passée de 34,6 litres par année par personne en 2010 à 23,1 litres en 2020, selon Statista. Une baisse de 33 %.

« La vente [de Tropicana] reflète l’incertitude de l’industrie quant à la demande pour les jus de fruits alors que les consommateurs recherchent des options plus saines avec moins de sucre », a analysé un expert des boissons non alcoolisées chez Euromonitor International, interrogé par l’Associated Press.

C’est fascinant de voir à quel point la réputation du jus a rapidement changé. Notamment auprès des parents qui n’osent plus trop en donner à leurs enfants, alors que ça a longtemps été perçu comme une option tellement plus santé que le Tang d’une autre époque. Le jus est même interdit dans bien des écoles primaires !

Quel sera le prochain aliment à passer de la catégorie « santé » à celle de « plaisir coupable » ? Les paris sont ouverts.

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Tout ça n’est peut-être pas de bon augure pour notre plus important fabricant québécois de jus, Lassonde, qui possède les marques Oasis, Kiju et Rougemont notamment.

Le président, Jean Gattuso, n’était pas disponible ces derniers jours pour discuter de l’avenir du jus. En 2017, il avait habilement contourné la question quand je lui avais demandé s’il était inquiet en voyant l’image de son produit phare se dégrader. « On est le plus grand fournisseur de vitamine C et de potassium au Canada, […] nos produits viennent de la nature. Le sucre dans le fruit est naturel », avait-il répondu.

Depuis cinq ans, l’action de Lassonde a perdu 18 % de sa valeur (de 213 $ à 174 $). Mais à son dernier exercice, l’entreprise de Rougemont a augmenté ses ventes de 18 % et sa profitabilité s’est accrue de plus de 35 %. Il faut dire que la diversification est au rendez-vous avec les sauces Stefano et Ricardo, les seltzer et les collations Sun-Rype.

Expert du panier d’épicerie, le professeur à la faculté de management et d’agriculture de l’Université Dalhousie Sylvain Charlebois n’a pas été surpris par l’annonce de PepsiCo. Parce que la multiplication des choix de boissons rend ce secteur hautement compétitif, mais aussi parce que les collations (snacking) rapportent de meilleures marges de profit.

« C’était une question de temps avant que Pepsi commence à laisser tomber des boissons et je ne serais pas surpris qu’on en voie d’autres. Pour soutenir autant de marques, il faut dépenser beaucoup d’argent en marketing. Et il y a de moins en moins de place sur les tablettes des magasins. » À l’heure actuelle, les aliments (croustilles Lays, avoine Quaker) génèrent 55 % des ventes de Pepsi, les boissons, 45 %.

PepsiCo avait acheté Tropicana en 1998 avec l’ambition de désaltérer les consommateurs toute la journée, même au déjeuner. Mais la multinationale réalise aujourd’hui qu’il est plus rentable de les nourrir. D’ailleurs, elle a conclu un partenariat avec Beyond Meat pour développer des aliments protéinés à base de plantes. D’ici là, on peut encore se sustenter avec son fameux gruau Quaker qui, lui, résiste aux modes depuis 1877.