Dans le loft de François Girard, l’art est présent partout. Une partie de la demeure est réservée à la vie quotidienne, l’autre à ses activités de metteur en scène et de réalisateur. Mais dans tous les recoins, on retrouve des tableaux et des photographies d’artistes qu’il prend plaisir à nous présenter.

Le long des murs, posées au sol, d’innombrables affiches témoignent des spectacles et des films qu’il a réalisés au cours de sa carrière. Une immense bibliothèque croule sous des livres d’expositions, de peintres et de sculpteurs.

L’art est l’oxygène de cet homme de scène et de cinéma qui, au moment de notre rencontre, en janvier dernier, se préparait à s’installer pendant cinq mois à New York. Trois mises en scène, et non les moindres, l’amènent à effectuer ce long séjour.

D’abord Lohengrin et Le vaisseau fantôme, deux opéras de Wagner qui seront présentés au Metropolitan Opera. Puis Le fusil de chasse, une pièce qu’il revisite pour son plus grand plaisir et qui sera présentée au Baryshnikov Arts Center.

Notre conversation s’élance avec Lohengrin que François Girard a mis en scène l’an dernier à pareille date à Moscou, au prestigieux Théâtre Bolchoï. Ce projet, qui s’annonçait comme une formidable aventure, a toutefois traversé plusieurs tempêtes.

Des éclosions de COVID-19 sont venues compliquer les choses. « On n’a jamais eu une distribution complète pour répéter, raconte-t-il. C’est quand même 185 personnes sur scène. Il manquait toujours des gens. » À cela s’est ajoutée l’invasion de l’armée russe en Ukraine. « J’ai appris ça comme tout le monde le 24 février. Un chanteur m’est tombé dans les bras. Personne ne croyait que ça allait arriver. On pensait tous que c’était du bluff. »

Au sein de l’imposante équipe, personne n’approuvait cette guerre. Le directeur du Bolchoï, Vladimir Urin, a même signé une lettre avec une vingtaine de directeurs d’organismes culturels pour s’opposer à cette invasion. « On a cru qu’il allait perdre son emploi », dit François Girard

Il était prévu qu’après les représentations à Moscou, les éléments du décor soient envoyés au Metropolitan Opera, car il s’agit d’une coproduction. Mais le conflit a fait tomber le pont entre le Bolchoï et le Met. « Il a fallu tout reconstruire », explique François Girard, qui en est à sa quatrième mise en scène d’un opéra de Wagner.

PHOTO FOURNIE PAR LA PRODUCTION

Lohengrin, mise en scène par François Girard, au Metropolitan Opera

Après Siegfried, Parsifal et Le vaisseau fantôme, il ajoute maintenant Lohengrin. « J’ai trouvé ma niche dans l’univers de Wagner. Je ne suis pas très à l’aise avec tout le répertoire de l’opéra, mais avec ce compositeur, il y a un espace pour moi. On est dans les mythes et les légendes. »

C’est Yannick Nézet-Séguin qui sera au pupitre lors des représentations qui auront lieu du 26 février au 1er avril. C’est d’ailleurs au directeur musical artistique du Met que François Girard doit cette autre invitation. Leur relation repose visiblement sur un respect mutuel.

« J’ai vécu toutes les dynamiques possibles et imaginables avec les chefs, dit François Girard, sans entrer dans les détails. J’ai eu vent de chicanes célèbres. Ce n’est pas du tout ça avec Yannick. C’est un énorme musicien. C’est quelqu’un de très inspirant. »

Retrouver la fraîcheur

Après les représentations de Lohengrin, François Girard reprendra la mise en scène du Vaisseau fantôme qu’il a créée en 2020. Cette production, dont l’envol a été stoppé par la pandémie de COVID, sera de nouveau offerte au public du Met en mai et juin.

Plusieurs metteurs en scène n’aiment pas travailler à partir des mêmes canevas. François Girard ne voit pas les choses ainsi. « Quand on travaille avec une nouvelle équipe, ça ne peut pas être la même mise en scène. Les gens ne soupçonnent pas à quel point un spectacle, avec les mêmes décors et les mêmes éclairages, subit une grande transformation avec de nouveaux interprètes. »

Lors d’une création, les artistes voient un metteur en scène qui cherche et qui réfléchit. Mais lors d’une reprise, ils ont en face d’eux quelqu’un qui sait où il s’en va. Est-ce que cela a une influence sur la chimie avec les chanteurs ? « Ça va dans les deux sens. Je suis déjà tombé sur un chanteur qui en était à sa 27production d’un même opéra. J’aurais pu me dire la même chose à son sujet. Il faut retrouver la fraîcheur et avec le temps, j’ai développé des trucs pour retrouver ça. »

Après plusieurs incursions dans la célèbre maison d’opéra new-yorkaise, François Girard refuse de tenir les choses pour acquises. « Il y a un tel niveau d’excellence, c’est fou ! Les choristes sont les meilleurs au monde, tous les départements sont archi professionnels. C’est une grosse machine. Il faut être à la hauteur. Mais ça, c’est du travail. »

Le prince de la vélocité

Entre ces deux opéras, François Girard montera la pièce Le fusil de chasse de l’auteur japonais Yasushi Inoue. Cette production a d’abord été présentée à l’Usine C avec Marie Brassard et Rodrigue Proteau en 2010. Le metteur en scène a ensuite présenté la pièce en 2011 et en 2016 à Tokyo avec l’actrice japonaise Miki Nakatani.

François Girard a découvert le talent de cette dernière lors du tournage du film Soie. « Miki est connue comme Julia Roberts au Japon, dit-il. C’est une énorme star. Elle a fait ses débuts au théâtre avec cette pièce. Le toit du théâtre est parti au vent lorsqu’elle a joué ça. »

Cette œuvre, adaptée d’un roman, met en scène trois femmes interprétées par une même actrice. La fille, l’épouse et la maîtresse d’un homme, dont la présence sur scène est entièrement silencieuse, lisent une lettre destinée à faire triompher la vérité. À New York, c’est le légendaire Mikhaïl Baryshnikov qui va interpréter cet homme dans une salle du centre d’art qui porte son nom, du 15 mars au 16 avril.

Pendant toute la durée de la pièce, l’acteur exécute un seul mouvement d’une extrême lenteur étirée sur une heure trente. « C’est tellement lent que tu te demandes parfois s’il bouge, dit François Girard. C’est incroyable que ce prince de la vélocité, l’un des plus grands danseurs au monde, accepte de faire ça. »

François Girard passera au total cinq mois à New York. Il m’a parlé de l’organisation de son travail. Ça donne le vertige. Heureusement, il s’entoure de certains collaborateurs qui vont assurer un pont entre tous ces univers, dont le fidèle dramaturge Serge Lamothe.

« Tu me demandais tout à l’heure comment je trouvais mon plaisir à refaire mes mises en scène. Quand j’ai commencé à faire du théâtre, j’ai eu un choc à la fin d’une run. J’ai trouvé que l’aspect éphémère du travail est difficile à accepter. Là, j’ai la chance de prolonger la vie de ces œuvres. C’est merveilleux ! »

Après ce printemps new-yorkais, François Girard continuera de développer deux projets de film, un autre de documentaire sur le cerveau et une exposition immersive. À cela s’ajoutera un nouveau projet d’opéra qui devrait le « sortir de l’univers de Wagner ».

Quand je vous dis que l’art est son oxygène…

Lohengrin est présenté du 26 février au 1er avril au Metropolitan Opera de New York. Der Fliegende Holländer sera repris au même endroit du 30 mai au 10 juin. Lohengrin sera projeté dans des salles de cinéma au Québec dans le cadre du programme The Met : Live in HD.

Le fusil de chasse est présenté du 16 mars au 15 avril au Baryshnikov Arts Center.

Consultez la page de l’opéra Lohengrin Consultez la page de l’opéra Der Fliegende Holländer Consultez la page du spectacle Le fusil de chasse Consultez la page du programme The Met : Live in HD