Malgré l’urgence climatique, les mesures de relance post-pandémie se traduiront par un nouveau record d’émissions de gaz à effet de serre (GES) à l’échelle planétaire en 2023, émissions qui continueront d’augmenter par la suite, prévient l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Une tendance alarmante qui pourrait sérieusement plomber l’objectif d’atteindre la neutralité carbone en 2050, si les gouvernements ne corrigent pas le tir rapidement.

Une relance vert pâle

Comme le rappelle l’AIE, l’argent sera le nerf de la guerre pour faire face à l’urgence climatique. Selon l’agence, à l’échelle mondiale, seulement 380 milliards US vont à des projets d’énergies « vertes » sur les quelque 2300 milliards engagés dans la relance économique post-pandémie. De plus, les investissements récurrents annoncés pour les trois prochaines années totalisent 350 milliards, soit à peine plus du tiers des dépenses requises chaque année pour respecter la cible de l’Accord de Paris de limiter le réchauffement à 2 °C, selon le Fonds monétaire international (FMI). Des sommes nettement insuffisantes pour réduire les émissions de GES, conclut donc l’AIE dans un rapport rendu public mardi. Les émissions de carbone connaîtront un nouveau record en 2023 et continueront d’augmenter par la suite, estime-t-on.

« Un retard considérable »

L’agence rappelle que de nombreux gouvernements ont revu à la hausse leurs ambitions climatiques, « mais les mesures concrètes et globales pour mettre en œuvre ces ambitions accusent un retard considérable ». C’est le cas notamment du Canada, qui a adopté une nouvelle cible de réduction des GES, soit une diminution de 40 % à 45 % sous le niveau de 2005, et ce, d’ici 2030. Le directeur parlementaire du budget au Canada a d’ailleurs indiqué en juin dernier qu’Ottawa devrait faire plus, soulignant au passage que la moitié des véhicules vendus dès 2022 au pays ne devraient produire aucune émission, dans l’espoir d’atteindre cette nouvelle cible. Soulignons que le Canada fait partie de la liste des 50 nations qui sont suivies de près par l’AIE. Dans son rapport, l’agence comptabilise des dépenses « vertes » de 40 milliards par l’entremise de diverses politiques au pays, particulièrement dans le secteur des transports et de l’habitation.

Les énergies renouvelables ne suffiront pas

« C’est un peu ce que tout le monde craignait », souligne Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal. « Le problème, c’est que si on veut véritablement réduire les émissions, il faut introduire des contraintes sur la pollution. Mais les gouvernements ne veulent pas faire ça pour des raisons électorales. » La transition vers des sources d’énergie renouvelables permettra de réduire les émissions de GES, mais à court terme, il faut une approche plus coercitive, croit M. Pineau, qui est également membre du comité consultatif sur les changements climatiques pour le gouvernement du Québec. Il donne l’exemple de la cigarette, où des politiques mettant l’accent sur les taxes et des campagnes de sensibilisation ont donné de bons résultats. « On peut bien compter sur la bonne volonté, mais c’est comme arrêter de fumer. Parfois, ça ne suffit pas. »

Un écart entre pays riches et pays pauvres

L’Agence internationale de l’énergie met également en lumière dans son rapport les disparités importantes entre les pays riches et les nations les plus pauvres dans la lutte contre les changements climatiques. Dans les pays du G20, dont le Canada est membre, les investissements pour une relance verte représentent 60 % des sommes requises, selon l’agence, pour atteindre l’objectif de limiter le réchauffement sous les 2 °C. Or, les pays en développement sont à 20 % en moyenne des investissements nécessaires pour atteindre la neutralité carbone. Bien que les pays riches se soient engagés à fournir 100 milliards de dollars annuellement pour aider les nations les plus pauvres, cet objectif n’a toujours pas été rempli, ce qui hypothèque les efforts internationaux pour réduire les émissions mondiales de GES.

La courbe de plus en plus difficile à aplatir

Plus les décisions sont reportées, plus elles seront difficiles à prendre en matière de climat. C’est l’essence du message lancé récemment par Zeke Hausfather sur Twitter. Ce scientifique spécialiste du climat et directeur de l’institut de recherche Breakthrough indiquait que « si le monde avait commencé à réduire ses émissions dès l’an 2000, limiter le réchauffement sous les 2 °C serait comme descendre en ski une pente pour débutant. Mais 21 ans plus tard, c’est plutôt comme descendre une pente pour expert qui devient de plus en plus difficile à mesure que nous retardons ces réductions ». Une infographie percutante accompagnait son message, montrant combien chaque année de retard rendait plus difficile l’objectif de maintenir le réchauffement planétaire sous les 2 °C.

Consultez le tweet de Zeke Hausfather

Avec Reuters et l’Agence France-Presse

75 % de voitures « propres » en 2030

L’Institut C.D. Howe a indiqué mardi que 75 % des voitures vendues en 2030 devraient être propulsées par un moteur zéro émission pour permettre au Canada d’atteindre sa cible climatique. En 2020, les véhicules « propres » ne constituaient que 3,5 % des ventes au pays. « Ce rapport de C.D. Howe, c’est un exercice super intéressant, lance Pierre-Olivier Pineau, professeur à HEC Montréal. Même si c’est très ambitieux, je pense que c’est réalisable. » M. Pineau croit néanmoins que cet objectif pourrait être atteint plus facilement si le parc automobile cessait de croître chaque année, surtout que ce sont les VUS qui ont de plus en plus la faveur des consommateurs au Québec.

16 000 milliards

Somme totale destinée aux mesures prises par les différents gouvernements pour faire face à la pandémie

2300 milliards

Somme totale engagée pour la relance économique post-pandémie

2 %

Proportion de la somme engagée dans une relance « verte », soit 380 milliards, comparativement aux 16 000 milliards pour faire face à la pandémie.

Source : Agence internationale de l’énergie