Poutine ou ne pas poutine… Le débat peut paraître futile, alors que le président de la Russie Vladimir Poutine poursuit sa guerre en Ukraine, mais y a-t-il un risque que le nom de notre mets national devienne toxique ? Les avis sont partagés.

Jean-Jacques Stréliski estime qu’il y a un problème avec le nom du mets national du Québec. « Ce serait anecdotique si “poutine” n’était que le nom d’un mets, mais c’est le plat national du Québec, dit le professeur associé de gestion en communication-marketing et marque de HEC Montréal. Notre image est en cause. Il y a un malaise. De plus en plus, on m’interpelle pour savoir ce qu’il adviendra du nom. »

Il y a deux semaines, le cas de la direction de La Maison de la Poutine en France, qui s’est sentie obligée d’expliquer dans un communiqué ce qu’était le plat et d’affirmer son soutien à l’Ukraine après avoir reçu des menaces et des insultes, a frappé l’imagination. « Même le New York Times en a parlé », note Jean-Jacques Stréliski.

Le professeur, anciennement publicitaire, pense qu’un débat ou un concours doit avoir lieu.

PHOTO FOURNIE PAR HEC MONTRÉAL

Jean-Jacques Stréliski, professeur associé de gestion en communication-marketing et marque de HEC Montréal

Si la poutine se nommait Hitler ou Pol Pot, elle aurait disparu du marché depuis longtemps ! “Poutine” est maintenant associé à “dictature”. Il nous faut imaginer le pire. Aujourd’hui, Poutine bombarde un hôpital pour enfant et sa maternité et… demain ? Il est, nous le savons, capable du pire.

Jean-Jacques Stréliski, professeur associé de gestion en communication-marketing et marque de HEC Montréal

Des restaurateurs consultés par La Presse ne sont pas du même avis. « Rien ne va changer sur le menu, confirme Rafael Bordignon, gérant de La Banquise, à Montréal. Les gens savent faire la différence. Personne n’a appelé pour se plaindre. »

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Olivier David, copropriétaire et directeur marketing de Poutine & co

« Les gens savent bien ce qu’est la poutine », affirme Olivier David, copropriétaire et directeur marketing de Poutine & co, qui a ouvert son premier restaurant à Brossard au début de 2022. « Nous sommes pro-Ukraine. On travaille des patates et du fromage ! On ne pense pas que la réputation du plat soit ternie. »

Mêmes arguments du côté d’Ashton. « Pour les Québécois, la poutine, c’est réconfortant, c’est signe de bonheur, estime la copropriétaire Émily Adam. Il ne faut pas mélanger l’aspect politique avec le réconfort. »

Pas si simple

Même les restaurateurs victimes de commentaires négatifs optent pour le statu quo, ou presque. C’est le cas de Frite Alors ! qui a huit poutines à son menu, dont la populaire Vladimir. Rapidement après le déclenchement des hostilités, ce nom a toutefois changé pour celui de Volodymyr, prénom du président de l’Ukraine.

« Changer le nom de la poutine, c’est comme changer un nom de famille, estime Yannick De Groote, coassocié en recherche et développement de produit de Frite Alors !. Ce n’est pas évident. Qui suis-je en tant que restaurateur belge pour changer le nom de ce plat ? On a au moins modifié Vladimir pour Volodymyr sur nos réseaux sociaux. Pour ne pas obliger les franchisés à réimprimer leur menu, on a posé un X sur le nom de Vladimir, il y a deux semaines. »

Je ne pense pas qu’on devrait rebaptiser le plat. C’est le nom générique d’un plat, un nom commun, pas un nom propre. Plusieurs mots ont deux sens en français. Je pense à pamphlet, par exemple.

Sarto Blouin, avocat et actionnaire de Frite Alors !

Mais que dire de la réaction des Ukrainiens en choc qui se réfugieront au pays ? « En se renseignant, les gens comprennent que le nom n’a rien à avoir avec Poutine, estime Myriam Brouard, professeure adjointe en marketing à l’Université d’Ottawa. Si demain tu nommes quelque chose Hitler, l’intention est évidemment là. Dans le cas de la poutine, il y a un historique dans l’imaginaire québécois, dans notre culture. Par ailleurs, on n’en est pas encore au niveau de Hitler, même si la situation en Ukraine est dramatique. »

Des exemples d’associations néfastes

Myriam Brouard conçoit que des associations déplorables existent et que des marques en pâtissent.

PHOTO FOURNIE PAR L’UNIVERSITÉ D’OTTAWA

Myriam Brouard, professeure adjointe de l’Université d’Ottawa

Quand la COVID-19 a commencé à se propager en Amérique du Nord, des recherches sur Google ont démontré que bien des gens cherchaient à savoir s’il y avait un lien entre le coronavirus et la bière mexicaine Corona. « Mais à long terme, le côté rationnel embarque », juge-t-elle.

À l’inverse, des noms sans consonance négative peuvent devenir toxiques à la longue aux yeux des gens. « La ville Asbestos a quand même changé de nom récemment [pour celui de Val-des-Sources], note Stéphane Mailhiot, coprésident de l’agence de publicité Havas Montréal. Est-ce qu’on changerait le nom du pâté chinois s’il y avait une invasion de la Chine ? Le sens qu’on donne aux mots et aux choses peut évoluer avec le temps. Dans le cas de la poutine, c’est prématuré de penser à un changement. »

Les membres des Trois Accords, organisateurs du Festival de la poutine de Drummondville, n’ont pu s’entretenir sur le sujet avec La Presse, étant en studio pour l’enregistrement de leur prochain album.

Avec Nathaëlle Morissette, La Presse

Appel à tous

Devrions-nous changer le nom de la poutine et pourquoi ? Si oui, quel nom donneriez-vous à la poutine ?

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  • La chronologie…
    Vladimir Poutine est né en 1952. L’origine de la poutine – que rappelle ici La Presse à ses risques et périls – remonte à 1964 à Drummondville, une création du restaurateur Jean-Paul Roy. Certains situent, par contre, la naissance du plat à Warwick en 1957.