Un adolescent tué dans les rues de Montréal. Encore. Thomas Trudel, 16 ans, retournait chez lui dimanche soir après une sortie au parc. Il a été abattu à deux pas de sa maison du secteur de Saint-Michel. Les circonstances de ce meurtre « gratuit » suscitent l’angoisse du voisinage et des proches de la victime. Les motifs demeurent nébuleux et aucune arrestation n’a été rapportée au lendemain du drame.

Lundi matin. Les passants observent le triste spectacle qui se déroule à l’angle de la rue Villeray et de la 20Avenue. Trois jeunes hommes en coton ouaté noir se tiennent devant une clôture de bois trouée par une des balles tirées la veille. Le trio venu rendre hommage à Thomas Trudel repart silencieusement. L’un d’entre eux s’attarde. Il fait un signe de prière avec ses mains meurtries et s’éloigne au pas de course.

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Thomas Trudel

Le meurtre de Thomas Trudel, le 31e à survenir à Montréal, était gratuit, déplorent d’autres amis.

« On revenait du parc. On chillait. Il n’y a pas eu de chicane. Je ne comprends pas ce qui s’est passé », raconte un ami du défunt, qui a requis l’anonymat. L’adolescent endeuillé ne digère pas la mort de son acolyte côtoyé dans le quartier. « C’était gratuit. Il n’y a rien eu au parc, je vous jure. Je vous jure », répète le copain en regardant autour de lui, refusant de répondre à d’autres questions.

La victime était avec un petit groupe d’amis. Ils se trouvaient au parc François-Perrault, adjacent à l’école qu’il fréquentait, confirment deux autres amis. Le père de Thomas lui a demandé de rentrer avant 21 h. Ce qu’il a fait. Peu après avoir quitté les lieux, la jeune victime a été interpellée par un homme au moment où elle marchait sur le trottoir à l’angle de la rue Villeray et de la 20Avenue.

L’individu sorti de la pénombre aurait tiré dans sa direction après un bref échange verbal. Thomas Trudel a reçu une balle au haut du corps et s’est effondré sur le trottoir humide. À deux pas de chez lui et de son école, dans un quartier résidentiel où sont alignées de coquettes maisons déjà décorées pour Noël.

Il n’y a eu ni échange de coups ni tentative de vol entre le suspect et la victime. Un témoin de la scène a appelé le 911.

Sur place, les agents ont retrouvé le jeune homme inerte. « Des manœuvres sont alors entreprises pour le réanimer, mais le décès est malheureusement constaté sur place par les paramédicaux », a expliqué dimanche soir le porte-parole du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), Raphaël Bergeron.

Thomas Trudel n’était pas connu des policiers, souligne le SPVM. La section des Crimes majeurs a été chargée du dossier. Les motifs de l’homicide demeurent nébuleux. Aucune arrestation n’a eu lieu pour le moment.

« Il avait juste 16 ans. On allait fêter son anniversaire dans deux semaines. Je n’arrive pas à y croire », sanglote un ami de l’école Joseph-François-Perrault, où était scolarisée la victime.

La direction de l’école s’est adressée aux parents d’élèves par courriel à la suite de la mort de l’élève de cinquième secondaire, connu pour ses prouesses au hockey. De l’aide psychologique était fournie aux élèves toute la journée. « Ceux qui en ressentaient le besoin ont pu verbaliser leurs émotions aux intervenants en place. »

Des proches endeuillés

Plusieurs amis et proches se sont présentés devant les lieux du drame en fin de journée. Des amis du jeune Thomas venaient tour à tour se recueillir, les larmes aux yeux à la vue des quatre bouquets de fleurs posés au sol.

« Notre cœur saigne avec les parents. C’est un jeune normal, dans une famille normale, avec une vie normale et il est mort par balle parce qu’il marchait dans la rue », lâche Viviane Dorion, la mère d’un ami de Thomas.

« C’était gratuit, ça aurait pu arriver à n’importe qui », renchérit sa fille, Florence Gaul-Dorion.

La famille a visité les parents de Thomas pendant la journée.

Ils sont complètement démolis. Comment tu fais pour survivre à une mort violente de ton enfant qui faisait juste marcher pour retourner chez lui ?

Viviane Dorion, mère d’un ami de Thomas, à propos des parents du jeune homme

« Il était presque rendu chez lui. Il tournait la rue et il était rendu, ajoute Mme Dorion. Ce n’est pas arrivé dans un coin sombre en dessous du Métropolitain, c’est arrivé dans une rue normale, à une heure raisonnable. »

Inquiétude dans le voisinage

« Moi, je prends l’auto. Je ne marche plus à pied. C’est rendu que tu as peur de te faire confondre avec un autre gars alors que tu n’es pas impliqué dans les disputes », soupire Moncef Mejri, 18 ans, natif de Saint-Michel.

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Moncef Mejri, un jeune du quartier Saint-Michel

Il est bien au fait des conflits qui prennent naissance sur les réseaux sociaux, des armes à feu qui circulent aisément et de l’impulsivité de certains jeunes.

À quelques mètres du périmètre, Sara Berajif fixe la technicienne en identité judiciaire qui manipule un détecteur de métal à la recherche de douilles. La scène lui donne froid dans le dos.

« J’ai connu Thomas plus jeune, car il jouait avec mon fils. J’ai pensé aux parents. Ce sont de très bonnes personnes », raconte la mère de famille, bouleversée.

Ses enfants ne se baladent plus dans leur quartier une fois le soleil couché. « Moi, j’ai un jeune. Il porte un coton ouaté comme tous les ados. Il joue au parc comme tous les ados. S’il est confondu avec quelqu’un d’autre ? S’il reçoit une balle perdue ? Ça m’angoisse », poursuit-elle.

« On a vu le corps d’un ado sur le trottoir l’autre bord de la rue. Ça ne s’oublie pas », assure Gilles Longpré en ajustant son peignoir. Deux « rafales de coups de feu » ont perturbé sa soirée, du jamais-vu depuis qu’il s’est installé dans ce secteur il y a 15 ans.

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Gilles Longpré, voisin

Voyons donc, 16 ans ? Dans ce quartier ici ? À 16 ans, tu as la vie devant toi. Pas un fusil. C’est inconcevable que des armes soient pointées sur nos jeunes.

Gilles Longpré, voisin

Madeleine Normand dormait quand les coups de feu ont retenti. Elle n’a rien vu, rien entendu. Mais sa mine basse et ses mains tremblotantes en disent long sur l’inquiétude ressentie face à cette violence rare et soudaine. « Je ne sors pas tard. Mais c’est vraiment inquiétant pour nous, les aînés. Je fais quoi si quelqu’un à côté de chez nous a une arme ? »

  • La section des Crimes majeurs du SPVM est en charge du dossier.

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    La section des Crimes majeurs du SPVM est en charge du dossier.

  • Le meurtre est survenu à l’angle de la 20e Avenue et de la rue Villeray.

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    Le meurtre est survenu à l’angle de la 20Avenue et de la rue Villeray.

  • Un impact de balle était visible sur les lieux du meurtre.

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    Un impact de balle était visible sur les lieux du meurtre.

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Armes plus accessibles, victimes plus jeunes

L’accessibilité aux armes ces dernières années explique le jeune âge des victimes et des suspects, résume René-André Brisebois.

« Un jeune qui veut s’armer, c’est généralement pour assurer sa protection. Le contexte de rivalités entre groupes criminels amène un climat d’insécurité », enchaîne l’intervenant et chercheur à l’Institut universitaire Jeunes en difficulté du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal.

Sans être liés aux gangs de rue ou à des cliques armées, les jeunes peuvent décider de se servir de leur arme s’ils se sentent en danger ou provoqués par « le moindre regard croche ».

Des adolescents ont peur d’être confondus avec un autre jeune du quartier ou associés par erreur à un conflit, selon les échos de M. Brisebois.

Il faut se demander pourquoi ça se passe dans certains quartiers. Les enjeux socio-économiques de certains secteurs ne sont pas suffisamment abordés quand on se penche sur cette violence armée.

René-André Brisebois, intervenant et chercheur à l’Institut universitaire Jeunes en difficulté du du CIUSSS Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal

« On ne peut savoir ce qui s’est passé, mais le fait que des jeunes qui ne sont pas forcément liés à des groupes criminels se fassent blesser par arme à feu, ça remet en question l’accessibilité de ces armes », indique Maria Mourani, criminologue et présidente de Mourani-Criminologie.

Elle rappelle qu’il est connu que les membres de gangs de rue ou d’associations criminelles ont accès aux armes à feu, même s’ils sont mineurs. « Mais ce qu’on constate de plus en plus, c’est qu’il va y avoir des jeunes qui ne sont pas forcément liés à des groupes criminels qui vont réussir à avoir des armes, parce qu’ils peuvent se les procurer sur l’internet », explique Mme Mourani.

L’accessibilité des armes s’ajoute à la culture de la violence mise de l’avant dans les réseaux sociaux, ajoute la criminologue. « Les jeunes sont tellement exposés à la violence qu’il leur en faut beaucoup pour considérer que quelque chose est violent. »

Des vies fauchées

Des victimes de plus en plus jeunes. Des mineurs qui s’arment. Des rivalités – parfois entre membres de cliques et de gangs de rue – qui prennent une tournure meurtrière. Peu d’arrestations. Montréal a été le théâtre de nombreuses fusillades ces deux dernières années, fauchant la vie d’adolescents ou de jeunes adultes.

Meriem Boundaoui, 15 ans

Meriem Boundaoui a été tuée d’une balle à la tête en février dernier à Saint-Léonard. Une dispute avait éclaté non loin du véhicule dans lequel elle se trouvait. Deux individus masqués avaient tiré en direction du conducteur qui accompagnait Meriem. Le jeune homme dans la vingtaine avait évité les balles de justesse. Il affirmera qu’il est une victime innocente dans cette triste affaire, tout comme sa jeune compagne. Les suspects courent toujours, des mois après ce meurtre qui a secoué la métropole.

Jesse Dave Chatelier, 26 ans

Le 31 janvier dernier, Jesse Dave Chatelier a été abattu devant un dépanneur de Montréal-Nord. Le meurtre du jeune homme résonne encore plusieurs mois plus tard, et des membres de gang de rue jurent de le venger. La victime n’était pas membre d’un groupe criminel, mais son entourage était associé au 43 de Montréal-Nord. Zone 43 est opposé aux Profit Kollektaz de Rivière-des-Prairies, un autre gang de rue. Le ou les suspects n’ont toujours pas été arrêtés.

Jannai Dopwell-Bailey, 16 ans

Le jeune Jannai a été poignardé à mort près de son école dans le quartier Côte-des-Neiges le 18 octobre dernier. Un conflit entre deux cliques – les 160 de Côte-des-Neiges et les OXB de Notre-Dame-de-Grâce – serait à l’origine de ce meurtre, selon plusieurs témoignages récoltés par La Presse. Un mineur de 16 ans avait été arrêté la même semaine en lien avec ce crime.

Duckerns Pierre-Clermont, 22 ans

Duckers Pierre-Clermont, connu sous son nom de scène Jeune Loup, a perdu la vie à 22 ans l’été dernier. Il a été tué devant chez lui, à Villeray. Un conflit entre certains membres des 99 de Villeray, une clique émergente qui gravitait autour du rappeur, et les Flamed Head Boys (FHB), un gang de rue de Laval, serait à l’origine du meurtre. Selon sa mère, il s’était lui-même procuré une arme pour se protéger.