Le procès devant jury d’un consultant informatique de la Ville de Montréal pour complot de fraude a avorté mercredi matin parce que les procureurs avaient, a statué le juge, contourné un jugement durant le contre-interrogatoire d’un témoin de la défense.

Ce procès devant jury était celui de Benoit Bissonnette, arrêté en 2009 à l’issue d’une enquête de la défunte escouade Marteau de la Sûreté du Québec – devenue l’Unité permanente anticorruption (UPAC) –, qui se déroulait au Centre de services judiciaires Gouin, dans le nord-ouest de l’île de Montréal.

Bissonnette, qui était accusé de complot pour fraude et de complicité pour aider un fonctionnaire à commettre un abus de confiance, avait déjà connu un procès devant jury à l’issue duquel il avait été acquitté en 2015.

La poursuite a toutefois porté le verdict en appel et obtenu la tenue d’un nouveau procès commencé en février dernier.

Bissonnette, un consultant privé, est soupçonné d’avoir participé à une fraude de 4,7 millions aux dépens de la Ville de Montréal après que des fournisseurs eurent dénoncé des irrégularités dans l’attribution de contrats à quatre sociétés entre 2005 et 2008.

Un des stratagèmes utilisés voulait que des employés de la Ville demandent aux firmes informatiques d’envoyer de fausses factures à la Ville de Montréal pour vider les budgets en fin d’année. Selon la théorie de la poursuite, l’argent était déposé dans le compte d’une société à numéro appartenant à Benoit Bissonnette et à Gilles Parent – un ex-cadre de la ville de Montréal arrêté dans la même enquête baptisée Épaulard, congédié et condamné à six ans pour fraude. Ce dernier envoyait ensuite l’argent à Hong Kong.

Preuve inadmissible

Durant le second procès de Bissonnette amorcé en février, un jugement a été rendu le 24 avril déclarant inadmissible en preuve, parce que constituant du ouï-dire, des documents d’incorporation d’une société YZB à Hong Kong.

Or, le 13 août dernier, les procureurs de la poursuite ont contre-interrogé une témoin de la défense relativement à la création d’une société à Hong Kong.

L’avocat de la défense, MMarc Labelle, s’est opposé, et après quelques discussions hors jury, le juge Alexandre Boucher de la Cour supérieure s’est adressé ainsi aux jurés :

« Mesdames et messieurs du jury, j’ai une directive importante à vous donner. La référence par le procureur de la Couronne à un document constitutif d’une compagnie YZB en Chine était inappropriée et illégale.

« De toute façon, les questions d’un procureur, que ce soit en défense ou en Couronne, pour la Couronne, ne sont pas de la preuve, comme vous le savez. Conséquemment, vous n’avez aucune preuve selon laquelle la mère du témoin, de la témoin qui est devant vous, est impliquée de quelque façon que ce soit dans la fameuse compagnie.

« Vous devez ignorer totalement cette information. Si vous deviez considérer cette information, ou être influencé par cette information, vous commettriez une grave erreur et une grave injustice. » (Extrait contenu dans une requête de la Défense.)

L’avortement, seul remède

Quelques jours plus tard, la défense a présenté une requête en avortement de procès et en arrêt du processus judiciaire, et le juge Boucher l’a accueillie dans un jugement livré oralement mercredi matin.

« Le juge a décidé d’avorter le procès à cause du comportement répréhensible de la poursuite alors qu’on en était à un stade avancé du procès. Le juge a constaté qu’il ne pouvait pas réparer le préjudice causé par une directive. Il n’avait pas d’autre choix que de mettre fin au procès, qui pourrait être repris si telle est l’intention de la poursuite », a déclaré à La Presse l’avocat de la Défense, MMarc Labelle.

« Nous allons prendre le temps de déterminer la position à adopter lorsque nous aurons la décision », nous a répondu le porte-parole du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), MJean-Pascal Boucher.

Lorsqu’il y a avortement de procès, le dossier est automatiquement reporté à une autre date et dans ce cas-ci, ce sera le 9 septembre prochain.

Amorcé en février, le procès en était à son 18e témoin et à 168 pièces déposées lorsqu’il a été suspendu le 13 mars, en raison de la pandémie de la COVID-19. Après une pause de 16 semaines, il avait repris le 29 juin.

Fait à noter, alors que le juge s’adressait au jury mercredi matin pour lui expliquer la situation, une jurée s’est levée et a précipitamment quitté la salle en lançant : « Je ne reviens plus ici ! »

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.