Israël célébrera le 75e anniversaire de sa création le 26 avril, dans un climat de division sans précédent. Allié avec l’extrême droite, le premier ministre Benyamin Nétanyahou a lancé une réforme controversée du système de justice qui a provoqué des manifestations monstres. Curieusement, le débat qui fait rage fait souvent référence à l’exemple canadien. Nos envoyés spéciaux ont rencontré les factions qui se font face sur le terrain.

Le camp Nétanyahou s’attaque à la Cour suprême

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Escorté par ses gardes du corps et des policiers, le ministre d’extrême droite Itamar Ben-Gvir se fraie un chemin dans la foule lors d’une manifestation en faveur de la réforme judiciaire, à Netanya, le 15 avril.

(Netanya, Israël) « La Cour suprême est une dictature fasciste ! Les privilégiés ne décideront pas pour nous ! » Pressés les uns contre les autres dans un carré compact, les manifestants réunis en appui au premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou s’époumonent depuis un bon moment lorsque la bousculade éclate.

Bondissant par-dessus un talus, comme sorti de nulle part, le ministre d’extrême droite Itamar Ben-Gvir commence à fendre la foule, entouré de ses gardes du corps. C’est son apparition qui provoque la commotion : nouvel allié de M. Nétanyahou, il est accueilli en héros par des partisans enflammés qui jouent du coude pour lui serrer la main. En un éclair, il se retrouve sur scène, accompagné du groupe de policiers qui ne le quittent pas d’une semelle.

Dans un court discours bien rodé, il explique pourquoi, selon lui, le gouvernement a raison de vouloir réformer le système judiciaire israélien. Un système qui, dans sa défense des droits individuels, refuse d’exécuter les terroristes capturés, s’offusque-t-il. Un système qui refuse d’accorder l’immunité judiciaire aux militaires. Un système qui a déclaré potentiellement illégale sa tentative de créer une garde nationale parallèle à la police dont il assurerait personnellement la direction.

Mort aux terroristes ! Immunité pour les soldats ! Formons la garde nationale pour qu’Israël soit victorieux !

Itamar Ben-Gvir, ministre de la Sécurité nationale et figure d’extrême droite, s’adressant à la foule en liesse

Le temps de saluer quelques partisans et de prendre l’enfant d’une admiratrice dans ses bras, il est déjà reparti.

De criminel à ministre

La présence d’Itamar Ben-Gvir au sein du Conseil des ministres aurait semblé impossible jusqu’à récemment. Le provocateur avocat de 46 ans est partisan de l’expulsion vers les pays voisins d’une partie des Arabes israéliens, il prône l’annexion pure et simple d’une majorité des territoires palestiniens et il a fait face à plusieurs accusations criminelles au cours de sa carrière. Il a été condamné deux fois, pour appui à un groupe terroriste sioniste d’extrême droite et incitation au racisme.

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Itamar Ben-Gvir est aujourd’hui à la tête des forces policières israéliennes.

En octobre dernier, alors qu’il n’était que simple député, il a visité un quartier palestinien de Jérusalem pour rappeler aux habitants « qui est leur proprio ». Lorsque des résidants lui ont lancé des cailloux, il a sorti un pistolet et demandé aux policiers présents de tirer. Il a déploré publiquement que les agents aient eu peur d’ouvrir le feu ce jour-là.

Depuis le 29 décembre, il se retrouve ministre de la Sécurité nationale, responsable des forces policières de l’ensemble du pays, au sein de la coalition dirigée par Benyamin Nétanyahou, le gouvernement le plus à droite qu’ait connu Israël en 75 ans d’histoire.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Englué dans un procès pour corruption, abandonné par d’anciens alliés, Benyamin Nétanyahou a réussi à revenir au pouvoir l’automne dernier en s’alliant avec de petits partis extrémistes, dont des formations politiques ultrareligieuses et le parti « Force Juive » d’Itamar Ben-Gvir. Ensemble, ils ont proposé une réforme controversée du système judiciaire afin de donner plus de contrôle au gouvernement. Le projet ratisse large : il touche notamment au mode de sélection des juges et du procureur général (un poste apolitique) et donnerait à la majorité parlementaire le pouvoir d’ignorer une décision de la Cour suprême.

Cette tentative de changer le fonctionnement du pays a provoqué d’énormes manifestations, des grèves et des protestations de réservistes qui ont menacé de ne plus servir dans l’armée. Benyamin Nétanyahou, qui peut toujours compter sur un solide bloc d’électeurs convaincus, a vu sa cote chuter dans les sondages.

Même si 84 % des répondants croient que des changements s’imposent dans le système judiciaire du pays, seuls 32 % appuient l’ensemble des réformes proposées par le gouvernement, selon un coup de sonde mené en février par l’Institut de planification d’une politique pour le peuple juif. Une majorité de 60 % des répondants croyaient que la crise politique actuelle pourrait mener à de la violence.

Poussé dans ses derniers retranchements, M. Nétanyahou a accepté de mettre son projet sur pause à la fin mars pour chercher un compromis. Ses partisans tentent de montrer leur force en descendant dans la rue à leur tour.

« La population doit décider »

« Le peuple réclame la réforme judiciaire », continue de scander la foule. La scène se déroule samedi dernier à Netanya, à 30 km au nord de la métropole Tel-Aviv. Ce jour-là, les pro-Nétanyahou sont grandement surpassés en nombre par les opposants à la réforme, qui manifestent quelques coins de rue plus loin, séparés par un cordon policier.

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Un cordon policier sépare la manifestation des partisans de la réforme de celle la décriant, à Netanya, le 15 avril.

« Je crois que les gens se réveillent, avance Ohad Tal, député du Parti religieux sioniste, allié du premier ministre. Ce n’est pas naturel pour la coalition [au pouvoir au Parlement] de sortir et manifester », observe-t-il pour expliquer la difficulté d’attirer autant de manifestants que les groupes de l’opposition.

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Les partisans de la réforme judiciaire de Nétanayahou n’étaient pas aussi nombreux à Netanya que les manifestants descendus dans la rue pour s’y opposer.

Il sourit lorsqu’on lui fait remarquer que la ministre des Affaires étrangères du Canada, Mélanie Joly, s’est montrée inquiète du projet de réforme judiciaire.

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Ohad Tal, député du Parti religieux sioniste, allié du premier ministre Benyamin Nétanyahou

On ne cherche pas à être populaires auprès des gens qui ne sont pas citoyens israéliens. On a eu une élection, la population doit décider.

Ohad Tal, député du Parti religieux sioniste

Il affirme que les démocraties du monde entier devraient faire front commun avec le gouvernement israélien face à ses ennemis, malgré leurs divergences d’opinions. « L’Iran ne voit aucune différence entre le Canada, Israël, les États-Unis et l’Europe. Ils veulent nous détruire », croit-il.

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Tali Gottlieb, députée du Likoud, parti de Benyamin Nétanyahou, s’adresse à ses partisans.

Tali Gottlieb, députée du Likoud, parti de Benyamin Nétanyahou, est venue haranguer ses partisans elle aussi. « Relevez la tête ! Ayez une mentalité de dirigeants, pas une mentalité d’esclaves ! Arrêtez de vous excuser ! », leur intime-t-elle.

Lorsqu’elle s’installe pour accorder une entrevue à La Presse, un manifestant s’interpose en criant. « Ne parle pas aux médias, ils vont utiliser ça contre le peuple d’Israël ! » La députée se lance tout de même. Selon elle, la Cour suprême a affaibli la lutte contre le terrorisme en freinant les destructions de maisons en territoire palestinien et en interdisant le recours par l’armée à des civils palestiniens pour aller cogner aux portes des suspects lors de raids antiterroristes, une pratique que les juges assimilaient à l’usage de boucliers humains.

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Pour la députée du Likoud Tali Gottlieb, il faut avoir « une mentalité de dirigeants, pas une mentalité d’esclaves ! »

La Cour suprême m’empêche de prendre soin de mes soldats. Toujours !

Tali Gottlieb, députée du Likoud, en entrevue avec La Presse

Un peu plus loin, Mark Landis manifeste seul en tenant son drapeau israélien. Originaire de Pittsburgh, il est désormais citoyen israélien et appuie la réforme.

« Le judiciaire devrait juger selon les règles en place, dit-il Je soutiens un système judiciaire fort, qui défend les droits de la personne et les droits individuels. Mais le système judiciaire ne devrait pas faire lui-même les lois. »

Passer à un autre plan

Gadi Taub, enseignant à l’Université hébraïque de Jérusalem et animateur de la balado conservatrice Gatekeepers, est l’un des intellectuels les plus audibles en faveur du projet de Benyamin Nétanyahou dans la sphère publique. En entrevue à La Presse dans une petite librairie de Tel-Aviv, il tourne en dérision les mouvements d’opposition qui disent défendre la démocratie.

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Gadi Taub, enseignant à l’Université hébraïque de Jérusalem et animateur de la balado conservatrice Gatekeepers

Nous ne sommes pas une démocratie ! Nous sommes une juristocratie. Nous sommes dirigés par les juges. Et la population veut en finir avec le pouvoir excessif de la Cour.

Gadi Taub, enseignant à l’Université hébraïque de Jérusalem et animateur de la balado conservatrice Gatekeepers

Il déplore que la Cour suprême ait court-circuité des initiatives des élus pour expulser les migrants en situation irrégulière ainsi que des mesures plus musclées dans la gestion des relations avec les Palestiniens, qu’il va jusqu’à qualifier de « population ennemie ».

Pourtant, même lui croit désormais que l’heure est au compromis, vu la crise qui secoue le pays. « Je crois que nous devrions passer à un autre plan. Nous devrions essayer de tenir le dialogue national le plus large possible. Pendant ce temps, nous pouvons faire les choses sur lesquelles tout le monde est d’accord », propose-t-il.

« Il y a une très grande majorité en faveur d’une certaine forme de réforme », conclut-il.

Le fil de la crise

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Plus de 100 000 manifestants sont réunis à Tel-Aviv, le 11 mars.

4 janvier

Le ministre de la Justice Yariv Levin annonce un projet de réforme de la justice, destiné à accroître le pouvoir des élus sur celui des magistrats. Le premier ministre Benyamin Nétanyahou, à la tête d’un des gouvernements les plus à droite de l’histoire du pays, est alors jugé pour corruption dans plusieurs affaires.

7 janvier

Des milliers d’Israéliens manifestent à Tel-Aviv. Les manifestations deviendront hebdomadaires et attireront des dizaines de milliers de personnes dans plusieurs villes du pays – dont plus de 100 000 à Tel-Aviv, le 11 mars.

21 février

Le haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Volker Türk, exhorte Israël à « suspendre les modifications législatives proposées ». Le président israélien Isaac Herzog qualifiera, deux semaines plus tard, la réforme de « menace sur les fondements de la démocratie » et proposera un compromis pour éviter la « guerre civile ».

14 mars

Le Parlement adopte en première lecture la disposition de dérogation, clause la plus contestée du projet.

25 mars

Benyamin Nétanyahou annonce une « pause » dans le processus d’adoption de la réforme, reporté à la prochaine session parlementaire.

D’après l’Agence France-Presse

« Nous sommes ici pour protéger la démocratie »

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C’est dans la rue que l’ex-députée travailliste Emilie Moatti poursuit aujourd’hui sa lutte contre le premier ministre Nétanyahou et sa réforme judiciaire.

Emilie Moatti a déjà fait tomber Benyamin Nétanyahou une fois. Gravement malade, elle était alors incapable de se tenir debout. Maintenant qu’elle est de nouveau solide sur ses jambes, elle a repris le flambeau de la contestation. Avec l’espoir d’une nouvelle victoire contre le premier ministre et son projet de réforme judiciaire.

L’ancienne élue, défaite aux élections du 1er novembre, accumule les encouragements et les messages d’appui en marchant parmi les manifestants antiréforme réunis dans sa ville natale de Netanya. La réaction du public lui fait monter les larmes aux yeux. « Je suis très touchée », lance-t-elle à La Presse.

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Le vent semble tourner à Netanya, ville reconnue pour être pro-Nétanayhou.

Son histoire a marqué les esprits. En juin 2021, alors qu’elle était députée du Parti travailliste, Mme Moatti avait contribué à mettre fin à la séquence de 12 années de pouvoir de M. Nétanyahou. Elle souffrait alors d’une rare infection à la colonne vertébrale, qui l’avait clouée à un lit d’hôpital.

Pendant son absence, le Parlement était divisé à 59 voix contre 59 voix sur l’opportunité d’installer une nouvelle coalition au pouvoir. L’élue alors âgée de 40 ans avait été transportée à la Knesset sur une civière pour enregistrer son vote et dénouer l’impasse. Elle avait voté allongée, avant d’être ramenée d’urgence à l’hôpital. Sa présence avait fait pencher la balance à 60 contre 59 en faveur du bloc anti-Nétanyahou.

  • Plusieurs figures politiques de premier plan participaient à la manifestation, dont l’ancien premier ministre centriste Yair Lapid, qui s’est adressé à la foule.

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    Plusieurs figures politiques de premier plan participaient à la manifestation, dont l’ancien premier ministre centriste Yair Lapid, qui s’est adressé à la foule.

  • Le ministre sortant de la Sécurité nationale, Omer Barlev, à qui a succédé Itamar Ben-Gvir, était également présent.

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    Le ministre sortant de la Sécurité nationale, Omer Barlev, à qui a succédé Itamar Ben-Gvir, était également présent.

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Depuis, M. Nétanyahou est revenu au pouvoir à la faveur de nouvelles élections et Mme Moatti a perdu son siège. C’est dans la rue qu’elle continue le combat.

Sa ville natale de Netanya a toujours été un château fort du premier ministre. Mais aujourd’hui, elle constate que le vent tourne.

« C’est une ville qui aimait Nétanyahou. J’ai grandi ici, mes amis d’enfance étaient bibistes [supporters de Bibi, le surnom du premier ministre]. Mais ils sont ici aujourd’hui », lance-t-elle en désignant la masse des protestataires antigouvernementaux.

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Les manifestants étaient réunis en grand nombre dans les rues de Netanya pour exprimer leur désaccord avec le projet de réforme judiciaire.

« Quand je suis entrée dans la gauche, j’ai été très critiquée ici. Pour des gens comme moi, être accueillie avec chaleur et amour ici, c’est quelque chose d’extraordinaire. »

Gonflés à bloc

Simon Davidson, lui aussi résidant de Netanya et député du parti centriste Yesh Atid, constate que les rangs des protestataires antiréforme dans la région grossissent de semaine en semaine.

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David Slama, cadre dans le secteur des technologies et l’un des organisateurs de la manifestation

« Nous avons commencé la première fois avec 500 personnes et nous sommes maintenant plus de 30 000 », se réjouit-il.

Autour de lui, les manifestants sont gonflés à bloc.

« Nous sommes ici pour protéger la démocratie. Nous sommes ici pour dire non à la dictature, non au criminel Ben-Gvir », martèle David Slama, un jeune cadre dans le secteur des technologies qui a participé à l’organisation de l’évènement.

Peu de protestataires semblent satisfaits par la suspension temporaire du projet de réforme judiciaire par le gouvernement, qui dit chercher un compromis avec l’opposition. « Nous ne voulons pas seulement une suspension, nous voulons la victoire », affirme Yuli Tamir, directrice d’un collège et ancienne ministre de l’Éducation dans le gouvernement du premier ministre centriste Ehoud Olmert, de 2006 à 2009, venue manifester elle aussi.

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Yuli Tamir, directrice d’un collège et ancienne ministre de l’Éducation, est venue manifester contre la réforme.

Les motifs invoqués par le gouvernement sur le besoin de rééquilibrer les pouvoirs entre les élus et les juges ne l’impressionnent pas. « La raison pour laquelle ils procèdent à ces changements, c’est pour permettre à des criminels de diriger le pays. Si c’était une pure discussion intellectuelle, ce serait autre chose. Mais c’est une tentative agressive de changer la nature d’Israël », dit-elle.

Eran Shendar, ancien procureur-chef en Israël, partage son avis.

Si la Cour ne peut plus invalider les lois, ils pourront faire ce qu’ils voudront. Annexer les territoires occupés, faire d’Israël un État religieux…

Eran Shendar, ancien procureur-chef israélien

« Je ne connais aucun système démocratique où tout le pouvoir est concentré entre les mains du gouvernement. Ce ne serait plus une démocratie, ce serait un changement de régime », croit-il.

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Les manifestions contre la réforme sont devenues hebdomadaires dans les villes israéliennes.

Il y a plusieurs années, lui-même a participé comme procureur à la poursuite contre l’ancien premier ministre Ehoud Olmert, condamné à la prison pour corruption après son départ de la politique. Mais le cas du procès actuel contre Benyamin Nétanyahou est bien différent, selon lui.

C’est la première fois qu’un premier ministre en poste est accusé criminellement de corruption et que son parti et lui essaient d’implanter des changements pour recruter des juges et éliminer la possibilité pour les tribunaux de contrôler le gouvernement. Ce n’est jamais arrivé.

Eran Shendar, ancien procureur-chef israélien

Il dénonce « un gros, gros, gros conflit d’intérêts » dans lequel le premier ministre est plongé, selon lui. « Toute réforme dans la police, le système judiciaire, aura un impact sur lui », affirme M. Shendar.

Une division sans précédent

Shlomo Ben-Ami, ancien ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement du premier ministre travailliste Ehoud Barak, au début des années 2000, déplore lui aussi un véritable « coup d’État judiciaire ».

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La « pause » dans le projet de réforme de la justice annoncée fin mars par le premier ministre Nétanyahou ne semble pas avoir eu raison de ses opposants, qui poursuivent les manifestations.

« Jamais Israël n’a été plus divisé », déplore-t-il. Mais le projet de réforme a créé un mouvement de protestation sans précédent, qui pourrait éventuellement passer à l’offensive et s’attaquer à certains acquis des groupes religieux qui soutiennent le gouvernement actuel, croit-il.

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Shlomo Ben-Ami, ancien ministre des Affaires étrangères

Il faut faire de cette crise une occasion pour aller plus loin. Le gouvernement a rouvert les blessures historiques du problème israélien : les religieux qui ne travaillent pas et ne servent pas dans l’armée et qui vivent avec des subventions. Il faut attaquer ce modèle.

Shlomo Ben-Ami, ancien ministre des Affaires étrangères

Mais les manifestants n’ont pas tous un programme aussi ambitieux. Pour Keren Duster, étudiante en littérature de 32 ans, la fin du clivage actuel serait déjà une avancée satisfaisante.

« Rassembler les différentes opinions, s’asseoir ensemble et s’écouter : ce serait une victoire. Nous cherchons un moyen de pouvoir nous asseoir avec quelqu’un qui ne pense pas comme nous, dans le respect mutuel », lance-t-elle.

« Il y a une place pour toutes les voix. »

Israël en quelques dates

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Des soldats israéliens durant la guerre israélo-arabe de 1948-1949

1948

Trois ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale et l’extermination de plus de six millions de Juifs par les nazis, David Ben Gourion proclame l’État d’Israël sur une partie de la Palestine. Dès le lendemain, les armées arabes entrent en guerre contre le nouvel État. Plus de 760 000 Palestiniens sont poussés à l’exode par l’avancée des forces juives ou sont chassés de chez eux.

1967

Israël déclenche la guerre dite des « Six Jours » contre l’Égypte, la Syrie et la Jordanie, s’emparant de Jérusalem-Est, de la Cisjordanie, de la bande de Gaza, du plateau syrien du Golan et du Sinaï égyptien.

Septembre 1993

Signature à Washington des accords d’Oslo sur l’autonomie palestinienne, scellés par une poignée de main historique entre le leader de l’Organisation de libération de la Palestine, Yasser Arafat, et le premier ministre israélien Yitzhak Rabin, assassiné en 1995.

2008-2009

Du 27 décembre 2008 au 18 janvier 2009, Opération « Plomb durci » menée par Israël pour mettre fin aux tirs de roquettes venant de Gaza : 1440 Palestiniens et 13 Israéliens tués. L’armée israélienne mènera en 2012 et en 2014 deux autres opérations « Piliers de défense » et « Bordure protectrice ».

1996

Benyamin Nétanyahou – Bibi pour ses partisans – est élu premier ministre, après avoir battu Shimon Peres. Défait en 1999, il reprend la tête du pays en 2009 et forme, en 2015, le gouvernement considéré comme le plus à droite de l’histoire du pays.

D’après l’Agence France-Presse

Le Canada en exemple

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Eran Shendar, ancien procureur-chef israélien

Aussi surprenant que cela puisse paraître, les experts qui débattent de la réforme judiciaire proposée par Benyamin Nétanyahou en viennent souvent à citer l’exemple du Canada, dont le système constitutionnel fait l’objet d’intenses discussions en Israël actuellement.

Le gouvernement Nétanyahou souhaite pouvoir adopter des lois sans être bloqué par la Cour suprême. « Ceux qui sont en faveur de créer un tel mécanisme citent souvent le cas du Canada, dont la Charte des droits fournit un tel arrangement », souligne l’Institut israélien pour la démocratie, un organisme indépendant.

Le Canada dispose en effet d’une disposition de dérogation, la fameuse « clause nonobstant », qui permet à un gouvernement de soustraire une loi à tout recours judiciaire pour une période de cinq ans, même si elle viole certains droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés. Le Québec l’a notamment utilisée pour la Loi sur la laïcité de l’État et dans des lois pour protéger la langue française.

Mais plusieurs intervenants rejettent la comparaison avec le plan du gouvernement israélien.

« On ne peut pas prendre un seul morceau de l’exemple canadien, la disposition de dérogation, et laisser de côté tous les autres aspects constitutionnels », souligne Yoaz Hendel, qui était ministre des Communications dans le précédent gouvernement israélien, en entrevue à La Presse.

L’ancien procureur-chef israélien Eran Shendar abonde dans le même sens. « Quand on donne en exemple le système d’autres pays, il faut prendre le portrait complet. Au Canada, vous avez une constitution. Vos juges sont choisis avec la participation d’un comité qui propose une liste. Il faut aussi regarder la culture politique et l’atmosphère », dit-il.

Je ne crois pas qu’au Canada, vous avez un ministre de la Justice qui dit que des procureurs devraient aller en prison, que le président de la Cour suprême devrait être accusé, etc. La culture ici est terrible.

Eran Shendar, ancien procureur-chef israélien

Dans une publication récente, l’Institut israélien pour la démocratie souligne les nombreuses différences entre le Canada et Israël qui rendent la comparaison boiteuse. La disposition de dérogation canadienne permet de soustraire une loi à certains articles de la Charte des droits, mais pas tous. Elle ne permet pas non plus d’adopter sans contrôle judiciaire des lois qui réorganisent la séparation des pouvoirs ou la structure du gouvernement, comme pourrait possiblement le faire Benyamin Nétanyahou si sa réforme était adoptée telle qu’elle est proposée, souligne l’organisme.

Au Canada, le Parlement fédéral compte deux chambres, et le Sénat peut tempérer les ardeurs de la Chambre des communes, observe l’organisme. Le Parlement fédéral partage aussi ses pouvoirs avec les législations des provinces, ce qui dilue le pouvoir entre différentes institutions. En Israël, la Knesset compte une seule chambre et concentre énormément de pouvoir entre ses mains.

Par ailleurs, le Canada reconnaît formellement que tous sont égaux devant la loi, alors qu’Israël accorde un statut préférentiel à la religion et au peuple juif dans plusieurs domaines, souligne l’organisme.