À l’occasion du temps des Fêtes, des journalistes de la section Arts et Être se passent le relais pour narrer quotidiennement un conte en cinq chapitres. Suivez les aventures des jumeaux Marko et Klara, qui ont fait une fabuleuse découverte sur le mont Royal. Bonne lecture !

« Partez vous balader sur le mont Royal à la tombée de la nuit, vous serez éblouis ! »

Difficile de donner tort à l’oncle Viktor : ce qu’allaient découvrir ses neveux sur la montagne valait plus qu’un trésor. Chagriné par leur mine basse depuis leur récente arrivée au Québec, il cherchait désespérément à leur remettre du baume sur le cœur.

Ainsi, main dans la main, Marko et Klara s’étaient lancés sur les sentiers enneigés par un clair de lune. Parvenus au sommet, ils contemplèrent du belvédère les mille scintillements de la ville. « Alors voici notre nouvelle maison… », lâchèrent-ils, à la fois fascinés et dépités. Du haut de leurs 10 ans, face aux immeubles géants, ils ne s’étaient jamais sentis aussi petits.

Ah ! voilà le lac aux Castors évoqué par leur oncle ; les jumeaux chaussèrent des patins et s’élancèrent sur la glace. Mais malgré les boucles grisantes autour de l’anneau, malgré la musique joyeuse qui titillait leurs tympans, une autre ritournelle tournait dans leur tête, mêlant explosions, cris de terreur et sirènes hurlantes. Leurs pieds étaient désormais ici, mais leurs pensées étaient toujours là-bas, à Kyiv. « Rentrons chez l’oncle Viktor, Klara, je commence à avoir froid », pressa Marko. Sa sœur jumelle acquiesça et ils empruntèrent le chemin du retour.

Alors qu’ils redescendaient la montagne, la jeune fille tressaillit. « As-tu entendu ? Derrière le bouleau, là-bas ? » Marko scruta l’obscurité. « Oui, quelque chose a bougé ! », confirma-t-il. Ils avancèrent prudemment vers l’arbre. Encore un bruissement ! « Il y a quelqu’un ? », lancèrent les jumeaux d’une voix chevrotante. En effet, et tout un troupeau ! Une dizaine de ratons laveurs détalèrent aussitôt, faisant sursauter les enfants. Tous avaient déguerpi, sauf un. Assis sur son derrière, il s’empiffrait en plongeant ses pattes dans un sac de croustilles.

« Quelle drôle de bestiole ! Est-elle dangereuse ? », s’inquiéta Klara. « Je ne crois pas, rassura son frère. Tu as vu ? Il porte quelque chose autour du cou. » Eh oui, l’animal arborait un élégant nœud papillon bleu.

PHOTO RÉMI LEMÉE, ARCHIVES LA PRESSE

« Quelle drôle de bestiole ! Est-elle dangereuse ? », s’inquiéta Klara

« Crème sure et oignon, c’est pas pire, mais je préfère sel et vinaigre ! », s’exclama soudain le raton laveur, postillonnant des miettes de croustilles. Marko et Klara en restèrent bouche bée. « Je le sais ben, ça surprend en tabarouette la première fois. Un raton laveur qui jase, ça court pas les bois. Mais on se refait pas ! Gaston le raton, tel est mon nom. Amateur de croustilles jetées aux vidanges. Et fin connaisseur du magistral mont Royal. Bienvenue ! »

Les jumeaux s’échangèrent des regards ébahis, se pressant l’un contre l’autre. « Inquiétez-vous pas, je suis inoffensif. Par contre, ç’a pas l’air de filer ben par ici », soupçonna-t-il, tout en brandissant une sorte de chronomètre en bois. « Voyons ce que mon moral-o-mètre détecte… »

La bête balaya devant les enfants son étrange instrument, qui émit un bip. « Je le savais ! Moral-o-mètre à zéro ! Grosse déprime dans le tapis ! Faut pas se laisser abattre comme des frênes, les amis ! On va arranger ça, suivez-moi ! »

Marko et Klara, certes interloqués, étaient trop envoûtés par cette magie pour la briser : ils emboîtèrent le pas à Gaston. « Le passage que je vais vous montrer ne s’ouvre qu’une fois par année, pour un seul enfant. Bon, comme vous êtes jumeaux, on fera une tite exception. »

Parvenu à proximité de la croix d’acier, il exécuta un signe codé sur un tronc d’érable. Dans un déclic, une trappe se souleva sur le tapis de neige.

« Monsieur Gaston, où cela nous mène-t-il ? », osa Klara. « Les enfants, vous connaissez la ville souterraine ? Attention, pas celle courue par les touristes français. » Il imita l’accent outre-Atlantique : « Trop d’la balle, le Montréal souterrain, du coup. » Les jumeaux s’esclaffèrent. « Cette trappe conduit à une sœur jumelle de Montréal, sorte de réplique cachée, mais… différente, mettons. Vous verrez ! N’ayez pas peur, c’est juste du bonheur ! »

L’enthousiasme contagieux de Gaston avait dissipé la méfiance de Marko et de Klara, qui s’engouffrèrent dans le passage à la suite de l’animal, découvrant un tortueux couloir paré de cristaux lumineux.

Ils aboutirent sur un quai, semblable à la station Saint-Michel qu’ils empruntaient, mais celui-ci était zébré de centaines de couleurs. « On prendra la ligne arc-en-ciel, décida Gaston. C’est pratique en maususse, elle mène absolument partout en ville. » Un train à chenilles piloté par un bonhomme à la barbe rousse apparut sur les rails. « Youppi va nous conduire vers notre première destination. »

Mais d’un coup, des claquements pareils au galop d’un troupeau de bisons retentirent dans la station, faisant trembler murs et sols. « C’est quoi, ces secousses ? », s’inquiétèrent les enfants.

La réponse pointa à l’entrée des couloirs : des centaines, que dis-je, des milliers de cônes orange s’apprêtaient à déferler sur les lieux, avec de sinistres couinements de plastique.

Gaston poussa ses invités. « Nom d’une croustille ! Montez à bord, les amis, viiiiiiite ! »

Ils sautèrent in extremis dans le train, qui partit en trombe, tandis qu’une marée de cônes submergea les lieux. « J’ai oublié de vous en parler, s’excusa le raton laveur en rajustant son nœud papillon. Depuis peu, notre cité souterraine est envahie par ces satanés plots, qui se multiplient et étouffent tout. L’enfer ! Et ces petits maudits viennent de barrer la sortie. Ça va prendre un million de détours pour rentrer chez vous. »

« On ne peut pas les chasser ? », interrogea Marko. « Pas si simple, ti-gars. Ils sont costauds et agressifs. La seule solution serait d’assembler les trois composants de la Machine anticônes, capable de les repousser. Malheureusement, on les a égarés aux quatre coins de la ville. »

Sa truffe poussa un soupir et le moral-o-mètre lâcha un bip grave. Voir ce joyeux raton laveur perdre sa bonne humeur fendit le cœur des enfants. « On va vous aider, monsieur Gaston. Fouillons la ville et construisons la Machine. Notre oncle va s’angoisser si nous ne rentrons pas bientôt. »

« Bien dit ! Les cônes colonisateurs, ça va faire. En route ! Prochain arrêt : le Quartier des spectacles ! J’gage 100 croustilles qu’un des composants s’y trouve. »

Dans la rame, violons et tubas jouèrent les trois notes du métro (« du du duuuuuuu ») et le train accéléra. « Monsieur Gaston, attention ! », crièrent les jumeaux : un cône, parvenu à se glisser dans la rame, sonnait la charge vers eux.