Réduction des odeurs, des gaz à effet de serre et de la consommation d’eau ; une technologie québécoise de traitement du lisier est mise à l’épreuve depuis l’automne dans une exploitation porcine de Chaudière-Appalaches. L’entreprise derrière l’innovation dit faire l’objet, déjà, d’une sollicitation internationale.

Raynald Bouffard ne tarit pas d’éloges au sujet de son nouveau système de traitement du lisier.

« C’est révolutionnaire ! », lance sans hésiter le producteur porcin, propriétaire avec son fils et leurs conjointes de trois installations dans la région de Chaudière-Appalaches — des maternités où naissent des porcelets revendus ensuite à des éleveurs.

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L’éleveur porcin Raynald Bouffard teste le système de traitement du lisier de porc développé par Solugen dans l’une de ses installations.

C’est dans leur exploitation de Sainte-Agathe-de-Lotbinière que l’entreprise Solugen a installé sa toute première unité de traitement, pour en faire une vitrine technologique.

Au-delà de ses vertus écologiques, la technologie développée par l’entreprise de Lévis représente une solution à la contrainte principale de toute exploitation porcine : l’épandage.

En raison du caractère liquide du lisier de porc, son épandage nécessite de grandes superficies de champs, ce qui amène les producteurs à le transporter sur de grandes distances pour pouvoir en disposer.

Cela représente des frais de 60 000 $ par année pour l’entreprise familiale de Raynald Bouffard.

Or, le système Solugen lui a permis de faire passer son exploitation de Sainte-Agathe-de-Lotbinière de 600 à 1500 truies sans avoir à trouver des champs supplémentaires pour le lisier.

« Ça rend les projets d’expansion plus faciles », résume le producteur.

Entièrement automatisé et électrique, le système utilise 30 kilowattheures pour traiter un mètre cube de lisier, ce qui revient, au Québec, à 2,10 $, calcule l’entreprise.

Réduire les odeurs et les GES

Le système de traitement mis au point par Solugen ne nécessite pas de fosse à purin ; il fonctionne en continu, comme une petite usine d’épuration.

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La distillation azéotropique permet d’obtenir à partir du lisier un concentré de potassium et un concentré d’azote ammoniacal, qui sont revendus à des industriels ; l’eau qui reste peut être réutilisée pour les besoins de l’exploitation.

Par conséquent, il élimine les gaz à effet de serre (GES) « avant qu’ils soient produits », vante le président de l’entreprise, André Beaulieu Blanchette, expliquant que l’essentiel du méthane est généré lorsque le lisier « commence à se digérer » dans les fosses.

Cette façon de faire élimine également les GES liés au transport et à l’épandage du lisier, en plus de limiter le phénomène de compaction des sols causé par le passage de la machinerie.

Et sans entreposage ni épandage de lisier liquide, « jusqu’à 95 % » des odeurs sont éliminées, ajoute-t-il.

On permet au producteur de quadrupler sa production sur le même lieu d’exploitation, sans augmenter son impact environnemental, et d’avoir une acceptabilité sociale.

André Beaulieu Blanchette, président de Solugen

Sans fosse, les producteurs n’ont plus à craindre la pluie et la neige, qui peuvent augmenter de 20 à 30 % les volumes de lisier sur une base annuelle, ajoute M. Beaulieu Blanchette.

Le système permet d’extraire du lisier les nutriments sous forme solide, qui peuvent être revendus, et de rendre potables les 84 % d’eau qui restent. Cette eau peut être réutilisée pour les besoins de l’élevage, y compris pour abreuver les animaux.

« J’en ai bu de cette eau-là, c’est très bon », assure Raynald Bouffard à La Presse.

Solugen vise d’abord le marché des nouvelles porcheries ou des agrandissements, mais estime que son système pourrait également intéresser les installations existantes s’il y avait des mesures d’aide financière pour atténuer le coût d’acquisition.

« On travaille pour le retour des subventions qu’il y avait autrefois », dit André Beaulieu Blanchette.

Enjeu de croissance

Depuis que sa première unité est entrée en fonction, au cours de l’automne, André Beaulieu Blanchette dit recevoir « de trois à quatre courriels par jour » de gens ou d’entreprises de l’étranger qui ont un intérêt pour son système.

Il s’est d’ailleurs rendu en Europe pour y rencontrer d’éventuels clients et partenaires.

Là-bas, son système intéresse aussi pour les économies d’eau qu’il peut générer, dit-il, précisant que certains producteurs paient jusqu’à 5 euros (7,32 $) le mètre cube, contre « quelques cents » au Québec.

Son plus grand défi, à l’heure actuelle, est donc de gérer la croissance de son entreprise.

« On ne veut pas trop s’éparpiller », dit-il, expliquant son intérêt pour l’industrie porcine québécoise, qui représente un chiffre d’affaires de 1,6 milliard de dollars et qui cherche à croître.

« La demande internationale augmente tout le temps », dit-il, ajoutant préférer que la production augmente au Québec, où elle affiche une meilleure empreinte environnementale, qu’ailleurs.

« Les gaz à effet de serre en Chine, ça nous affecte nous autres aussi », dit-il.

Mais Solugen veut croître en douceur, notamment pour pouvoir travailler à réduire la taille de son système.

Actuellement, celui-ci nécessite un bâtiment de 15 m x 18 m pour traiter 2000 litres de lisier par heure, ce qui remplace quatre fosses de 40 m de diamètre, mais André Beaulieu Blanchette entend faire encore mieux.

Comment ça fonctionne ?

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Le système de Solugen permet de récupérer la portion solide du lisier, qui contient le phosphore ; le liquide subit ensuite une distillation azéotropique, de laquelle on retire un concentré de potassium et un concentré d’azote ammoniacal, ainsi que de l’eau traitée qui peut être réutilisée pour les besoins de l’exploitation.

Le système de traitement du lisier mis au point par Solugen se distingue des méthodes biologiques existantes, répandues en Europe, qui dégradent l’azote, mais pas le phosphore, explique le président de Solugen, André Beaulieu Blanchette. Le lisier passe d’abord dans une centrifugeuse, ce qui permet de récupérer la portion solide, qui contient le phosphore, en vue de son épandage comme engrais. Le liquide subit ensuite une distillation azéotropique, on retire un concentré de potassium et un concentré d’azote ammoniacal. Ceux-ci sont revendus à des industriels, notamment des fabricants d’engrais. L’eau qui reste, 84 % du volume initial, peut être utilisée pour les besoins de l’exploitation.

Risque de débordements : mesure spéciale de Québec

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André Lamontagne, ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation

La crainte d’assister à des débordements de fosses à lisier au cours de l’hiver ou du printemps prochain a poussé Québec à autoriser exceptionnellement certains producteurs porcins à procéder à un épandage hors saison, en décembre. Évoquant des « trop-pleins appréhendés » en raison du printemps tardif et de l’hiver hâtif, notamment en Montérégie, le ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation, André Lamontagne, a évoqué dans un communiqué une « mesure ponctuelle » tout en s’engageant « à aller plus loin » pour éviter qu’une telle situation se reproduise. La directive gouvernementale stipulait différentes conditions, dont la nécessité que l’épandage soit fait sous la supervision d’un agronome et qu’il se limite aux volumes « requis pour assurer une continuité des activités d’élevage et pour éviter tout débordement de fosses d’ici au printemps 2020 ».