Je ne sais pas pour vous, mais moi, je n’ai pas envie de donner mon nom et encore moins mon numéro de téléphone ou mon adresse de courriel en entrant dans un bar.

Je donne déjà trop souvent plein d’informations sur ma vie privée sur trop de sites virtuels.

Le faire en plus dans le réel ?

Non.

Ça va faire.

Donc vous comprendrez que je ne trouve pas acceptable l’idée de créer des registres des clients de bars au Québec, comme on le fait en Colombie-Britannique.

C’est trop.

Une limite a été dépassée.

Ça va faire.

C’est devenu mon cri de ralliement avec moi-même depuis quelques semaines, et la puérilité du « Ça va bien aller », qui me tape sur les nerfs depuis le début de cette crise, n’a plus sa place.

Il est temps de parler de limites, de jugement, de choix d’adultes.

D’endiguer et d’encadrer l’insouciance et l’irresponsabilité de ceux qui ne prennent pas le danger du virus au sérieux autant que notre infantilisation collective.

Ce n’est pas parce que, comme il est arrivé récemment sur la Rive-Sud, des ados de 15 ans se croient immortels et ne réalisent pas la portée de leurs gestes, encore et toujours comme tous les ados avant eux, qu’on va tous commencer à rapporter nos moindres déplacements.

Désolée, mais on n’arrivera jamais à combler toutes les fissures dans le jugement de nos jeunes ou de nos aînés et de tous ceux, de toutes générations, dont l’absence de bon sens et d’altruisme finira toujours par déborder de toutes les digues légales et réglementaires imaginables.

Notre obsession à vouloir mettre de nouveaux mécanismes de contrôle en place à chaque dérapage en santé publique me fait penser à ce personnage de L’arrache-cœur de Boris Vian, qui finit par mettre ses enfants en cage pour les protéger de tout.

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Je ne sais pas comment ça s’est passé chez vous, le confinement, mais autour de moi, je vois bien des éclopés. Des jeunes adultes qui vont décrocher en septembre, parce que l’envie de retourner étudier en ligne n’est pas au rendez-vous, des grands ados qui ont vu leur monde s’écrouler, les amis, l’école, le camp cet été, les voyages, les rêves, et qui remontent la pente à la dure, des aînés qui, faute de stimulation cognitive et physique, privés d’affection, ont vieilli à un rythme accéléré pétrifiant en quatre mois.

À un moment, il faut regarder l’ensemble de l’œuvre et se demander si, en voulant protéger d’un côté, on n’est pas en train de tout gâcher de l’autre.

Et ce registre ? Ça ressemble à un mauvais épisode de Black Mirror.

Si j’étais de mauvaise foi, je demanderais si la prochaine étape ne serait pas la puce sous-cutanée. Très efficace pour enregistrer tous les déplacements.

Parce qu’il n’y a pas que dans les bars que les gens se retrouvent dans un lieu fermé.

Il y a les épiceries, les boutiques, les transports en commun, évidemment, les restaurants.

Va-t-on aller demander des registres là aussi ?

Va-t-on devoir dire à tout le monde où on est partout tout le temps ?

Il n’y a pas eu assez d’incidents de fuites de données pour qu’on réalise que ce genre de cadeau d’information au Big Brother de la dystopie 2020 n’a pas d’allure.

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Comprenez-moi bien, je ne suis pas en train de virer pro-Trump ou pro-Bolsanaro et anti-masque — sauf qu’on se demande quand même comment on va manger au restaurant si un jour il faut en porter dans tous les lieux fermés, avouez ! —, et je ne suis pas anti-mesures de santé publique.

J’aimerais juste qu’on ajuste notre tir pour viser au bon endroit.

Malheureusement, mille nouveaux règlements ne viendront jamais à bout de la possibilité que des ados prennent de mauvaises décisions ou que des égoïstes contaminent les autres par paresse.

À un moment, il va falloir aussi accepter que vivre est un vaste risque, que les règles universelles peuvent faire pas mal plus de mal que de bien et que les interventions ciblées sont souvent plus efficaces que les grands coups d’éclat.

Par exemple, au lieu de demander le nom de chaque personne qui entre dans un bar, pourquoi ne pas afficher plus efficacement des messages clés à l’entrée de ces lieux ? De la bonne communication qui fait comprendre aux gens de la tranche d’âge visée par l’incident de Saint-Chrysostome le réel danger de la COVID-19 et leur rôle dans une possible contamination.

Permettez-moi ici encore un peu d’alarmisme face au contrôle de nos allées et venues.

Imaginez si on avait fait ça, ce registre, au temps de l’épidémie de sida. Demander des noms.

Je n’ose pas penser.

Pourtant, il était question de vie et de mort. Gravement.

À la place, on a installé des distributrices de préservatifs dans les toilettes. On en a distribué gratuitement aussi.

On a fait des campagnes d’information de plus en plus pointues et performantes.

On a rendu le dépistage, anonyme, accessible à tous.

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Le confinement a créé des manques terribles. Les gens veulent se voir et être ensemble.

Il faut vivre avec les conséquences de ce choix de santé publique sur la santé mentale et émotionnelle de la population.

Et il faut comprendre les besoins des gens de se retrouver dans les bars et de faire la fête ensemble.

Je ne sais pas qui appeler à l’aide. Les sociologues ? Les anthropologues ? Les psys ? Les intervenants spécialisés auprès des jeunes ?

Mais je sais à qui je ne veux pas dire au secours : les faiseux de nouveaux règlements.

Ça va faire.