« Marie, penses-tu vraiment que les gens vont se mettre à acheter local du jour au lendemain, comme ça, parce que le premier ministre l’a dit ? »

J’ai la chef Colombe St-Pierre au bout du fil, confinée au Bic, « plus en région qu’en région », puisque la province a décrété que le Bas-du-Fleuve faisait partie des zones à isoler pour les protéger, mais elle est plus en verve que jamais.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Colombe St-Pierre veut que les Québécois commencent vraiment à acheter québécois.

Ce qu’elle veut ? Que les Québécois commencent vraiment à acheter québécois.

Qu’on ne laisse pas cette volonté d’acheter local issue de la crise passer tout droit.

Mais qu’on s’organise aussi pour que ça se fasse, concrètement.

Il faut plus qu’un appel à la consommation locale lancé par François Legault un jour dans un point de presse, comme il l’a fait il y a deux semaines, explique-t-elle. Même si c’était fait sincèrement.

Il faut, croit l’entrepreneure, que ça devienne un projet politique.

Pour appuyer les entreprises d’ici massacrées par l’arrêt économique causé par le virus.

Mais aussi parce que c’est une approche à la consommation pleine de bon sens qu’on aurait dû prôner plus activement bien avant que la COVID-19 provoque la dégringolade des systèmes d’approvisionnement déjà en place.

Acheter local, c’est avoir la possibilité de connaître ses fournisseurs, donc de poser des questions, d’avoir des assurances de qualité, de traçabilité. Exactement ce dont on va avoir envie après ce cauchemar, n’est-ce pas ? De proximité. Dans le monde qu’on connaît maintenant, la confiance envers la source de tout ce qu’on consommera sera cruciale.

La confiance envers la qualité du produit. La confiance envers sa disponibilité aussi. L’incertitude de l’approvisionnement en intrants venus du bout du monde en pleine crise laissera des traces marquantes, c’est évident, sur l’assurance des manufacturiers en tous genres.

Et puis, acheter local, c’est aussi voir les conséquences directes de nos choix sur la communauté. Sur le maintien en vie des entreprises, évidemment, et donc des emplois. Mais il n’y a pas que ça. Des PME bien en vie, dans nos quartiers, villes et villages, assurent leur développement, avec l’amélioration de nos savoir-faire, la création de réseaux, de grappes d’entreprises interdépendantes.

Une entreprise en vie, c’est un employeur en vie qui forme des travailleurs qui iront fonder d’autres entreprises.

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Colombe St-Pierre rappelle que dès qu’on sort des réseaux de gens conscientisés à ces faits, à l’importance de la consommation locale, de ces gens aussi prêts à payer des prix souvent plus élevés – parce que nos lois et nos niveaux de vie font que produire coûte souvent plus cher ici que dans bien des pays en voie de développement –, quand on sort donc de ces cercles prêts à faire l’effort de trouver des produits régionaux, on se heurte à une population qui cherche d’abord et avant tout des bas prix. Et une population qui n’a pas toujours le temps, ni l’intérêt, de courir pour trouver des légumes de nos champs, des poissons du Saint-Laurent ou une robe dessinée et cousue quelque part à Montréal.

Et c’est là, croit-elle, qu’il faut que le gouvernement agisse.

« Il faut que le gouvernement se mouille financièrement pour permettre aux consommateurs d’acheter ces produits locaux et qu’il fournisse des plateformes d’information. »

De l’information pour que les gens sachent où trouver les produits d’ici et pourquoi ils devraient les choisir.

Autre idée, qu’elle lance : encourager les détaillants de nos supermarchés à acheter des produits locaux.

Et je suis d’accord avec elle : avec des mesures strictes ? Obligatoires ? Tout doit être étudié. On est en pleine remise en question de tout.

Des fonds, le gouvernement va en investir pour maintenir, voire relancer l’économie. 

N’est-ce pas le moment idéal pour profiter de ces sous qui seront disponibles et nécessaires et de l’urgence de la situation pour faire des réformes structurantes ?

Imaginez si Québec donnait plus de moyens à nos petits producteurs de proximité pour les aider à fournir leurs épiceries et supermarchés locaux et qu’en plus, ceux-ci étaient tenus d’acheter une certaine quantité de produits provenant d’un périmètre donné.

Ça, ça relancerait l’occupation du territoire et ça déplacerait des énergies vives vers la production agricole locale, tout en augmentant notre souveraineté alimentaire et notre indépendance face aux approvisionnements extérieurs.

Toujours du côté alimentaire, Colombe St-Pierre croit que le gouvernement doit agir pour donner accès aux ressources du fleuve et du golfe du Saint-Laurent.

Actuellement, les lois du marché font que nos poissons et fruits de mer partent en grande partie, parfois jusqu’à 90 %, 95 %, vers les marchés américains et asiatiques.

Le crabe, les oursins… Comme chef, elle a de la difficulté à en obtenir et doit se plier aux prix dopés par la demande de pays où le pouvoir d’achat est différent du nôtre.

Qu’au Québec, en pleine saison, on ait plus facilement accès à du tilapia venu d’Asie alors que le golfe du Saint-Laurent est rempli de flétan, de maquereau, de hareng, de homard, de crabe, est absurde.

Est-ce qu’il faut donc subventionner les pêcheurs pour qu’ils réservent une partie de leurs prises aux consommateurs d’ici, plutôt que de vendre à gros prix sur la scène internationale ?

Peut-être que la vaste restructuration économique qui suivra le désastre actuel serait le moment idéal pour faire ce genre de geste.

Et en prime, demander au gouvernement lui-même d’acheter tout ça pour nourrir les enfants dans les écoles, les fonctionnaires dans leurs cafétérias de bureau, les malades dans les hôpitaux, les aînés dans leurs résidences…

On ne peut pas uniquement demander aux consommateurs de prendre en main la question de l’achat local.

Collectivement, on doit se faire un plan.