Huit ans après la fin de la barricade routière sur la Côte-Nord, les Innus viennent d’intenter une poursuite de 9,1 millions contre Hydro-Québec. Un conflit qui rappelle le blocus ferroviaire lancé par les chefs héréditaires wet’suwet’en et qui paralyse le pays. 

Mars 2012. Des Innus d’Uashat mak Mani-Utenam, près de Sept-Îles, bloquent l’accès à la route 138. Ils s’opposent à la construction sur leurs terres ancestrales de la ligne de transport du complexe La Romaine. La police démantèle la barricade, une entente est négociée. À ce jour, les Innus n’ont pas encore touché les redevances promises.

Le litige n’est pas sans rappeler le blocus ferroviaire qui paralyse une partie du pays depuis deux semaines. Cette fois, ce sont les chefs héréditaires wet’suwet’en qui sont en désaccord avec le projet de Coastal GasLink en Colombie-Britannique, qui traverse aussi le territoire traditionnel.

Ce qui se passe, c’est le résultat de la négligence des gouvernements d’aller s’asseoir et de régler la question des revendications territoriales autochtones au Canada. C’est la même chose dans notre dossier. C’est malheureux.

Me Jean-François Bertrand, avocat du conseil innu d’Uashat mak Mani-Utenam

Huit ans après la fin de la barricade routière sur la Côte-Nord, le conseil Innu Takuaikan Uashat mak Mani-Utenam (ITUM) vient d’intenter une poursuite contre Hydro-Québec réclamant à la société d’État 9,1 millions en dommages et intérêts pour notamment « sa mauvaise foi institutionnelle », a appris La Presse.

La communauté estime que le « comportement d’Hydro-Québec » a rendu « impossible » la mise en œuvre de l’entente « ITUM-HQ 2014 » – qui a obtenu l’aval de la population par référendum – qui prévoyait le versement de 75 millions sur 60 ans aux Innus, des emplois et des contrats. Elle réclame désormais que le tribunal déclare cet accord « caduc, nul et sans effet ».

C’est que les parties n’ont jamais été capables de sceller l’entente finale, si bien que les Innus n’ont jamais profité des avantages promis. « Avec raison, les gens ont l’impression de s’être fait mener en bateau par Hydro-Québec. Ce sont des situations que le gouvernement doit éviter et qui sont évitables », soutient Me Bertrand.

« Il faut que le gouvernement prenne les moyens de les éviter en agissant de bonne foi. Pas faire semblant parce que ça, c’est facile, mais en reconnaissant qu’ils ont des droits et les respecter. […] Négocier sur cette base-là changerait complètement la tenue des relations entre les peuples autochtones et le gouvernement. »

Dans la demande déposée devant la Cour supérieure en novembre dernier, la bande allègue par ailleurs que le procureur général du Québec et celui du Canada « ont failli à leurs obligations » en ne prenant pas de mesures concrètes pour dénouer l’impasse entre ITUM et Hydro-Québec au cours de cette bataille judiciaire.

Elle déplore que malgré l’impasse, la société d’État ait continué « de décimer et d’abîmer » le territoire. ITUM tient aussi Hydro responsable de « préjudices immenses » aux Innus en leur ayant créé de « fausses attentes » et en provoquant « l’éclatement du tissu social », « engendrant des conflits internes au sein de la communauté ».

Familles traditionnelles

« En arriver à des ententes avec des communautés dont le leadership est contesté par des factions internes est un réel défi », a expliqué à La Presse le directeur des communications d’Hydro-Québec, Serge Abergel. « Au-delà de nos échanges avec les instances officielles, conseil de bande et chef, les ententes doivent aussi faire l’objet d’un consensus dans les communautés concernées », a-t-il ajouté.

Le cœur du litige est que des familles traditionnelles ont refusé de se désister des poursuites contre Hydro. L’entente de 2014 prévoyait en contrepartie que le conseil innu devait se désister de toutes les autres procédures judiciaires visant le projet La Romaine et d’une partie des autres projets d’Hydro sur la Côte-Nord.

ITUM s’est désisté des poursuites en mars 2015, dans la foulée des négociations. À ce moment, une unique somme de 6,6 millions a été versée au conseil.

Il faut comprendre que les poursuites judiciaires entreprises par ITUM l’étaient aussi conjointement avec quelques familles traditionnelles. Devant le refus de certaines d’abandonner leurs poursuites, la société d’État a donc fait savoir à ITUM qu’elle ne négocierait plus avec la bande tant que « l’unanimité » ne serait pas atteinte.

« L’obtention d’une unanimité se veut à toute fin pratique illusoire et cette exigence rigide constitue une manière détournée de mettre fin aux négociations avec la communauté », a écrit le chef d’ITUM, Mike McKenzie, dans une lettre adressée à l’époque au grand patron Thierry Vandal, apprend-on dans la poursuite.

Il écrira aussi à l’ex-premier ministre Philippe Couillard pour que Québec intervienne et qu’il « dénonce la décision d’HQ de ne plus continuer les négociations » vers l’entente finale. Dans le document judiciaire, ITUM fait pourtant valoir que la bande et HQ avaient prévu « des dispositions » concernant les familles dissidentes dans l’entente de principe.

ITUM s’est par la suite dit « prêt à prendre fait et cause pour HQ » si certaines familles poursuivaient leurs procédures. Cette dernière proposition est demeurée sans réponse d’Hydro, selon la poursuite. À ce jour, aucune famille dissidente n’a intenté de nouvelles procédures contre Hydro-Québec.

L’entente « ITUM-HQ 2014 » n’a jamais été rendue publique.

Chronologie des événements

4 mars 2012 

Un groupe d’autochtones entravent partiellement le seul lien routier menant au chantier d’Hydro-Québec, l’un des plus importants au pays à l’époque, estimé à 6,5 milliards. Les manifestants obtiennent l’appui du conseil ITUM.

9 mars 2012 

Évoquant des pertes financières quotidiennes astronomiques, la société d’État obtient une injonction du tribunal. La Sûreté du Québec déploie l’escouade antiémeute. Une dizaine d’Innus sont arrêtés. Québec promet alors d’accélérer le processus de négociation pour que le conseil ITUM et Hydro-Québec en viennent à une entente. Ce qui surviendra deux ans plus tard.

Avril 2014 

L’entente de principe « ITUM-HQ 2014 » – troisième mouture depuis 2011 – obtient le feu vert de la communauté au terme d’un référendum très serré (521 voix contre 439). Les deux versions précédentes avaient été rejetées par la communauté.

Mars 2015

Hydro-Québec versera 6,6 millions à la communauté après la signature d’une déclaration de règlement à l’amiable officialisant le retrait d’ITUM des poursuites contre la société d’État. Ce sera la seule somme que recevront les Innus.