(Washington) Plus d’un millier de manifestants ont défilé tout au long de la journée de mardi devant la Cour suprême à Washington, la majorité d’entre eux s’inquiétant d’un « retour en arrière » pour le droit à l’avortement aux États-Unis, qu’un projet de décision menace.

En fin d’après-midi, ils étaient plus d’un millier à s’être rassemblés devant le bâtiment de marbre blanc pour crier leur colère : « l’avortement est un droit », « l’avortement fait partie du droit à la santé ».

« Je suis venue manifester aujourd’hui parce que je ne pouvais pas rester chez moi », raconte à l’AFP Adriane Busby, 40 ans, portant un casque de vélo rouge. « Je ne pensais pas qu’on serait encore là, en 2022, à manifester et à débattre sur cette question », ajoute-t-elle.

Le site Politico a provoqué une déflagration politique lundi soir en révélant, sur la base d’une fuite inédite d’un document interne, qu’une majorité des juges de la Cour suprême étaient prêts à enterrer l’arrêt « Roe v. Wade » de 1973, qui protège le droit des Américaines à interrompre leur grossesse.

Ce probable revirement « est une violation scandaleuse de la vie privée des femmes et de leur capacité à disposer de leurs corps », estime Adriane Busby.

« Sous le choc »

Comme elle, des centaines de manifestants, en grande majorité favorables au droit à l’avortement, se sont rassemblés dès lundi soir et mardi toute la journée, avec des pancartes comme « les vrais monstres portent des robes (de juges, NDLR) » ou « gardez vos décisions politiques en dehors de mon corps ».

« Je suis sous le choc », dit mardi matin Tarra Kuroda, une femme âgée de 47 ans, soit presque l’âge de la décision « Roe v. Wade ». « J’ai deux jeunes filles, et je suis aussi ici pour elles, […] pour protéger leur futur », raconte-t-elle, une pancarte « Mon corps, mon choix » à la main.

Autour des manifestants sont présents de très nombreux journalistes, sous le ciel gris, en plein cœur de la capitale fédérale.

De ce projet de décision, non définitif, Tarra espère qu’il « rassemblera les gens pour les élections de mi-mandat (prévues en novembre) pour élire des personnes qui, espérons-le, voteront en faveur » d’une loi autorisant l’avortement au niveau fédéral – un appel similaire à celui lancé mardi par le président démocrate Joe Biden.

Victoria Lord, une historienne de 61 ans, porte une pancarte « plus jamais » avec un dessin de cintre, qui était utilisé par le passé pour pratiquer des avortements clandestins.

« J’ai un certain âge et je me souviens d’amies qui avaient eu des avortements illégaux et très dangereux », s’inquiète cette habitante de Washington. « Les femmes vont mourir. Elles meurent déjà. »

« Une première étape »

Les manifestants opposés au droit à l’avortement, bien moins nombreux au fil de la journée, s’étaient placés à droite de l’imposante façade pour se féliciter du chemin pris par les juges de la Cour suprême – tout en restant prudent pour la suite.

« L’avortement ne sera pas illégal dès demain si Roe est annulé. Ce sera aux états de légiférer », rappelle Kristen Day, militante contre l’IVG venue de la Virginie voisine.

« Droits humains pour tous, pour les humains nés et à naître », pouvait-on lire sur une pancarte un peu plus tôt dans la journée.

Le texte publié lundi par le journal Politico, « c’est juste un brouillon, donc il reste encore beaucoup de travail », avance de son côté Archie Smith, membre d’un groupe « progressiste » contre le droit à l’avortement. « Pour le mouvement “pro-vie”, c’est juste la première étape dans la bonne direction ».

Mobilisation à New York

« Stop à la guerre contre les femmes » : plusieurs milliers de personnes ont afflué mardi soir à New York pour crier leur « colère » contre les intentions de la Cour suprême des États-Unis de casser le droit constitutionnel à avorter.

Photo BRYAN R. SMITH, Agence France-Presse

C’est la très offensive procureure générale de l’État de New York, l’élue démocrate Letitia James, qui a sonné la mobilisation générale devant des milliers de femmes et d’hommes, plutôt jeunes, rassemblés en force sur une place du sud de Manhattan, qui abrite le palais de justice du tribunal fédéral.

Devant une marée humaine, Mme James a lancé « un appel à l’action ».

L’avant-projet de décision de la Cour suprême est « une alerte et ce n’est pas le moment de garder le silence […] Nous devons nous mettre en colère », a harangué la magistrate en qualifiant la défense du droit à l’avortement « d’un des plus grands combats à mener ».

« Nous ne reculerons pas, nous ne retournerons pas à l’époque où nous utilisions des cintres. Plus jamais ! », a-t-elle promis en jugeant que « le droit de contrôler (son) corps était un droit fondamental ».

Photo BRYAN R. SMITH, Agence France-Presse

Dans la foule, nombre de jeunes femmes brandissaient des pancartes frappées de slogans tels que « mon corps, mon choix », « l’avortement est un droit humain », « stop à la guerre contre les femmes » ou « j’aurai moins de droits que ma mère ».

Mardi, le président démocrate Joe Biden a lancé une grande bataille politique pour défendre le droit à l’avortement, un sujet autour duquel l’Amérique s’est toujours déchirée et qui, suite à une révélation explosive sur les intentions de la Cour suprême, s’impose comme un enjeu majeur des élections législatives prévues en novembre.

Au lendemain de l’extraordinaire fuite d’un projet de décision de la haute juridiction, dans lequel elle dynamite le droit constitutionnel à avorter garanti sur tout le territoire américain depuis 1973, le président a appelé dans un communiqué les électeurs à « choisir des candidats favorables » au droit à l’IVG lors de ce scrutin de mi-mandat.

La Cour suprême a confirmé l’authenticité de ce document interne, publié par le média Politico, tout en soulignant qu’il ne représentait pas une décision « finale ».