Elle apparaît sur nos billets de banque, sur nos passeports, sur nos pièces de monnaie, sur nos timbres.

C’était officiellement la chef de l’État canadien, un rôle symbolique et pourtant lourd de sens. Si nos politiciens étaient dans les faits indépendants, elle sanctionnait nos lois et pouvait techniquement dissoudre l’assemblée, par l’entremise de son représentant au Canada, le gouverneur général.

PHOTO CHRISTINNE MUSCHI, ARCHIVES REUTERS

La gouverneure générale Mary Simon mène une revue de la garde après sa prestation de serment à ce poste, le 26 juillet 2021.

Mais la mort d’Élisabeth II, reine éminemment consensuelle, serait-elle l’occasion de revoir un système politique que certains considèrent comme dépassé ?

Plusieurs voix se sont élevées au fil des ans pour dénoncer ce qui peut être vu comme une aberration et prôner l’abandon de la monarchie constitutionnelle au profit d’une république, comme en France ou aux États-Unis.

Parmi elles, celle du directeur du groupe Citoyens pour une République canadienne, Tom Freda, qui souligne entre autres l’absurdité d’avoir au Canada un chef d’État né et vivant à l’étranger.

« Notre monarque n’habite pas ici. Il ne paie pas de taxes ici. Et ses fonctions sont assumées pas un vice-roi. Est-ce que cette situation est normale au XXIe siècle ? », demande celui qui milite pour la cause depuis la fin des années 90.

« Il est aberrant que le Canada ne puisse pas changer lui-même de chef d’État et qu’il dépende pour ce faire d’une famille aristocratique vivant sur un autre continent. C’est un peu gênant. Cela donne l’impression qu’on n’a pas encore obtenu notre indépendance. Et très franchement, nous méritons mieux. »

Des cas similaires


D’autres pays du Commonwealth sont déjà passés par ces remises en question.

Le débat a notamment eu lieu en Nouvelle-Zélande, en Jamaïque, à St-Vincent et même dans la petite île de Tuvalu, dans le Pacifique, où deux référendums ont été organisés, en 1986 et en 2008.

L’Australie a également tenu un plébiscite en 1999, qui s’est soldé par une victoire à 55 % du maintien de la monarchie constitutionnelle. En 2021, la Barbade a fait le saut, devenant la première monarchie constitutionnelle à devenir une république depuis l’Île Maurice en 1992.

Difficile de savoir ce que serait le résultat au Canada.

Si le pays compte environ « 20 % de monarchistes purs et durs » (dixit Tom Freda) et que les visites royales soulèvent bon an, mal an la controverse, ce sujet suscite surtout ambivalence ou haussement d’épaules, ce qui expliquerait en partie pourquoi les politiciens ne se sont jamais attaqués à cette épineuse question.

Il faut savoir que changer le système politique canadien nécessiterait de modifier la Constitution, ce qui équivaudrait à ouvrir une boîte de Pandore, particulièrement en ce qui concerne le Québec, qui n’attend que cette occasion pour rappliquer avec ses propres revendications, souligne Patrick Taillon, professeur de droit constitutionnel à l’Université Laval.

Le fédéral ne veut pas qu’une négociation sur la reine donne lieu à des demandes sur la langue. Ça impliquerait des négociations très serrées, et il ne veut pas embarquer là-dedans.

Patrick Taillon, professeur de droit constitutionnel à l’Université Laval


L’accord des provinces serait par ailleurs requis, et rien ne dit que toutes abonderaient dans le même sens, certaines étant plus royalistes que d’autres.

« Il faut se demander si le jeu en vaut la chandelle, ajoute Philip Murphy, directeur de l’Institut des études sur le Commonwealth à Londres. Le gouvernement voudra-t-il dépenser d’énormes quantités de temps et d’argent à revoir la législation, avec le danger de ne pas pouvoir rallier toutes les provinces et d’être débouté dans un éventuel référendum ? La question se pose. »

Selon M. Murphy, le fait d’être une monarchie constitutionnelle a des avantages, notamment en ce qui concerne l’échange de renseignements par l’entremise de la Couronne entre certains pays du Commonwealth.

Un rempart identitaire


D’autres estiment que, tout colonisé qu’il soit, le système politique canadien a fait ses preuves, et qu’il serait mal avisé de le changer. « Si ce n’est pas cassé, pourquoi le réparer ? », lance Garry Toffoli, directeur du Canadian Royal Heritage Trust, organisation promonarchique située à Toronto.

Selon lui, la monarchie constitutionnelle permet non seulement d’avoir un chef d’État politiquement neutre, mais aussi de se distinguer des Américains, en offrant un rempart contre l’homogénéisation. « Dans une république, le point de ralliement est les gens ordinaires, explique M. Toffoli. C’est pourquoi les Américains ne croient pas au bilinguisme et au multiculturalisme. Seule la monarchie peut embrasser la diversité, parce que la monarchie est basée sur la loyauté à une personne et non sur la conformité. Une république canadienne, par exemple, ne pourrait tolérer l’existence d’une province francophone. »

Tom Freda est loin d’être convaincu par les arguments de M. Toffoli.

Pour cet ardent républicain, le Canada est tout simplement prêt à reprendre sa destinée en main, ayant déjà, par le passé, montré la voie de l’autonomie aux autres pays du Commonwealth. Selon lui, la peur « d’attaquer cette question de front » commence à disparaître et il est grand temps que le pays « ait cette discussion ».

L’arrivée de Charles sur le trône pourrait bien précipiter le débat. Alors qu’Élisabeth II jouissait d’une popularité sans borne, son fils Charles n’a pas le même capital de sympathie. Mais d’ici à ce que les changements surviennent, les Canadiens auront probablement le temps de voir son visage sur leurs billets de 20 $…