(Mani-utenam) La scène musicale autochtone est en ébullition. Coup d’œil sur quatre artistes qui ont lancé un album ces derniers mois, dont trois sont des vétérans qui commencent à être reconnus hors de leurs communautés.

Maten : esprit de communauté

Très connu dans le réseau culturel autochtone, Maten est déterminé à se faire entendre partout au Québec. Utenat, son plus récent disque, affiche un folk aux couleurs modernes, porté par la pulsation du tambour traditionnel.

« Il y a un rapprochement qui se fait entre nos cultures, il y a une porte qui s’ouvre, alors il faut y aller », dit Samuel Pinette. Pour saisir l’occasion, Maten devait se surpasser, selon lui, avec son quatrième album. « J’ai dit aux gars que j’avais envie qu’on se trouve un autre style, un peu plus urbain », explique le guitariste et principal chanteur du trio de Mani-utenam.

Bien établi

Maten n’est pas très connu hors des communautés autochtones. Or, dans ce réseau, ce groupe folk-rock est établi depuis 25 ans. Kim Fontaine (basse), Mathieu Mckenzie (guitare) et Samuel Pinette se connaissent depuis l’enfance, jouent ensemble depuis l’adolescence et ont contribué à construire – au sens strict du terme – le studio Makusham, fondé par le père de Mathieu, Florent Vollant. Bref, c’est un noyau tissé serré.

Pour trouver un son neuf, le trio est allé chercher du sang neuf : le guitariste Réjean Bouchard, le batteur Alain Quirion et le bassiste Jean-François Lemieux, qui ont participé aux compositions. Les deux premiers sont pratiquement de la famille, puisqu’ils ont souvent collaboré avec Florent Vollant. Maten a aussi invité plusieurs artistes à chanter avec le groupe, dont Elage Diouf (sur Ueshama), ainsi que Beatrice Deer et Black Bear, sur l’épatante Nitepuatauat.

Esprit de collaboration

Cet esprit de collaboration, qu’on sent tout au long du disque, vient naturellement à Maten, selon Kim Fontaine.

En vivant dans une communauté, on vit dans la proximité, on connaît les gens d’assez près. On a donc inclus des idées de tout le monde. On prenait les éléments avec lesquels on se sentait bien.

Kim Fontaine

Les racines folk-rock du groupe demeurent, mais rehaussées ici de basses glissantes, là de bidouillages presque pop, ainsi que d’une réalisation soignée et aérée.

Ce qui se sent aussi, sur Utenat, même si on ne saisit pas les paroles en innu-aïmun, c’est le vent d’espoir qui souffle. « On a toujours été comme ça, Maten. On essaie de rester dans le positif. On est de bons vivants », assure Samuel Pinette. « Ça ne veut pas dire qu’on ne vit pas des choses difficiles dans nos vies personnelles. On en a tous eu, des moments difficiles, j’en ai eu et les gars aussi, insiste Mathieu Mckenzie, mais on ne perd pas espoir que les jours meilleurs sont en avant. Il faut avoir le courage de continuer. »

Extrait de Nitepuatauat, de Maten

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Utenat

Folk innu

Utenat

Maten

Makusham Musique

Kanen : « J’ai envie qu’on nous entende »

Sur un rock parfois brut, Kanen raconte ses colères, ses tristesses et ses espoirs. Elle chante en français et en innu-aïmun avec la volonté assumée de faire entendre sa voix de femme autochtone, d’exister aux yeux de tous et de guérir ce qui est blessé en elle.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Kanen chante en français et en innu-aïmun.

On a du mal à croire que Kanen était une adolescente timide lorsqu’elle a mis les pieds dans un camp musical du Festival en chanson de Petite-Vallée pour la première fois. À 25 ans, elle n’a plus rien de la jeune fille qui se tenait en retrait de tout le monde : elle parle d’une voix douce, mais assurée, faisant partager ses observations et pensées de manière affirmée.

Quête identitaire

Mitshuap signifie « maison » en innu-aïmun. Kanen n’a pas choisi ce mot comme titre de son premier album complet pour s’ancrer quelque part, plutôt comme un symbole de sa quête identitaire. Installée à Montréal, mais originaire de Mani-utenam, sur la Côte-Nord, elle cherche encore sa place – sa maison. Elle se cherche aussi dans sa langue : éduquée en français, elle réapprend l’innu-aïmun en faisant des chansons.

« L’écriture, pour moi, est une façon de réfléchir à où j’en suis, explique-t-elle. Des fois, c’est flou dans ma tête. Je cherche mes mots pour en parler à haute voix. L’écriture m’aide à clarifier ça. »

Ce qui la travaille est parfois lourd : la mort de Joyce Echaquan, les découvertes de corps sur les sites d’anciens pensionnats pour Autochtones, la tragédie des femmes autochtones assassinées ou disparues dans l’indifférence, sans compter les tourments habituels de la fin de l’adolescence et du début de l’âge adulte.

J’essaie d’approcher avec résilience, malgré tout, il y a de la colère et j’ai envie qu’on nous entende. C’est fort sur ce disque-là.

Kanen

Les sonorités pour faire partager ses paysages et tempêtes intérieurs sont à l’avenant : un folk rock aux contours bruts, accrocheur sans être pop, dans la lignée de l’indie rock que Kanen affectionne.

Devoir de mémoire

La jeune Innue chante en français (d’une manière qui fait un peu penser à Salomé Leclerc) et en innu. Par envie de se faire comprendre et par incapacité : elle ne maîtrise pas encore la langue de ses parents et grands-parents. « Je sens que quelque chose guérit à l’intérieur chaque fois que je chante en innu, dit-elle, et chaque fois que j’apprends un nouveau mot en innu. »

Elle le fait pour elle, mais aussi pour celles qui suivront. « J’aurais aimé ça il y a cinq ou dix ans voir une autre femme innue s’affirmer, faire de la musique, prendre la parole, explique-t-elle. J’espère que d’entendre une femme innue parler de choses lourdes avec force va en inspirer d’autres. »

Extrait de la chanson Ek(u), de Kanen

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Mitshuap

Folk rock innu

Mitshuap

Kanen

Musique Nomade

Shauit : la trad comme point de rencontre

Le premier reggaeman innu, Shauit, prend une pause des rythmes chaloupés pour renouer avec ceux de son territoire. Et de tous les Québécois.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Shauit

Par amour du reggae, Shauit a appris un morceau de Wyclef Jean en créole haïtien. « Quand j’aime une chanson, j’essaie de l’apprendre », dit simplement le chanteur innu, originaire de Mani-utenam, mais transplanté à Montréal depuis de nombreuses années. « J’ai beaucoup de reprises dans mon répertoire. »

Après avoir passé des années à faire groover l’innu-aïmun, le grand gaillard élevé principalement en français est revenu aux sources. Natukun, son plus récent disque, met de l’avant des sonorités trad et country que tout Québécois pourra reconnaître comme siennes en entendant l’accordéon et le violon.

« Une richesse »

« J’aime bien dire que les différences de culture, c’est une richesse, qu’il n’y en a pas une plus importante qu’une autre et qu’il faut les préserver », explique-t-il.

Je voulais aussi montrer qu’on n’est pas si différents d’un peuple à l’autre. On aime souvent les mêmes choses.

Shauit

Des violoneux et des accordéonistes, il y en a dans les communautés autochtones, raconte Shauit, évoquant des soirées du genre Soirée canadienne à Pessamit, à une cinquantaine de kilomètres au sud-ouest de Baie-Comeau. Sa chanson Kanishte, qu’on aurait bien imaginée dans le répertoire de Mes aïeux, est l’une de celles qui s’inscrivent le plus dans ce créneau trad. D’autres comme Tshi mueshtatitin sont plus folk-pop, dans la lointaine lignée de Kashtin, groupe qui a bercé sa jeunesse.

Le « Gilles Vigneault » innu

Son désir de rapprocher les peuples a incité Shauit à faire un geste que certains trouveront peut-être osé : il a invité Yves Lambert, pilier de la trad québécoise connu pour ses collaborations parfois audacieuses, à chanter avec lui Ekuan pua. Cette chanson de Philippe Mckenzie – le « Gilles Vigneault » innu – évoque la sédentarisation forcée des Autochtones et a valeur d’hymne pour les Innus, sinon tous les Autochtones.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Shauit a invité Yves Lambert à chanter avec lui un hymne innu, Ekuan pua, de Philippe Mckenzie, sur son dernier disque.

« Je me suis demandé si je faisais bien de mettre du français dedans. Est-ce que j’allais me mettre des Innus à dos ? Pour nous, la langue française est un danger, un peu comme l’anglais pour les francophones, explique-t-il. J’ai décidé de le faire pareil pour montrer qu’on est ouverts. Je vois ma version comme un symbole de rapprochement. »

Extrait de Tshishpetenitakushin, de Shauit

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Natukun

Folk innu

Natukun

Shauit

Pasa Musik

Pako : rester fidèle à sa langue

Confiné à Manawan pendant la pandémie, Pako a vu de près la détresse provoquée par l’isolement. D’où le vent de réconfort qui souffle sur son deuxième album, Nanto.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Pako

Des guitares rock, un fond de blues, Pako a le pied un peu pesant sur Awacak, morceau qui ouvre son plus récent disque. Ce n’est pas étonnant : ses racines musicales, ce sont entre autres les classiques du rock, dont Janis Joplin. Il baisse toutefois rapidement le ton sur les chansons suivantes, faisant planer un folk empreint de country et porté par des rythmes subtils.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Patrick Boivin, Pako (Pascal Ottawa) et Louis-Philippe Boivin sont atikamekw. Ils jouent ensemble pour le projet solo de Pako, mais accompagnent aussi des artistes innus comme Scott-Pien Picard et Bryan André.

« Ce disque-là demande plus de douceur, confirme Patrick Boivin, son bassiste. Il faut se mettre en arrière de ce que Pako raconte. Pourquoi jouer plein de notes alors que tu peux n’en faire qu’une seule et qu’elle soit belle ? » Son frère Louis-Philippe, qui touche la batterie, estime d’ailleurs que c’est en laissant parler la musique qu’ils arriveront à transmettre le propos des chansons aux oreilles qui ne comprennent pas l’atikamekw.

Pako (Pascal Ottawa) est originaire de Manawan. Ses deux acolytes, de Wemotaci, un peu plus au nord. En plus de former le noyau du groupe de Pako, ils jouent aussi avec d’autres artistes autochtones comme Scott-Pien Picard et Bryan André, qu’ils allaient accompagner à Shefferville lorsque La Presse les a rencontrés au studio Makusham de Mani-utenam.

Besoin viscéral

L’envie de faire ses propres chansons est indissociable du lien que Pako entretient avec sa communauté. Il a commencé à écrire pour transmettre ses réflexions au sujet de la nature et de ce qu’il voyait chez lui. Nanto, écrite en grande partie pendant la pandémie, parle beaucoup de quête identitaire, de recherche de fierté, de compréhension de soi. Des thèmes inspirés par la détresse dont il a été témoin à Manawan pendant les confinements.

Sur mon premier album, les textes étaient très mélancoliques. Sur le deuxième, je voulais emmener ça plus vers l’espoir.

Pako

Il fait confiance à la musique pour porter son propos, car s’il a déjà envisagé de faire des chansons bilingues, il a décidé qu’il devait rester fidèle à sa langue, l’atikamekw. « On a un rôle à jouer, les auteurs-compositeurs-interprètes. On a la responsabilité de bien utiliser la langue, de bien faire entendre les mots. On devrait aller chercher les anciens mots, mettre l’accent sur le vocabulaire menacé dans nos chansons, insiste-t-il. Moi, c’est une chose à laquelle je pense de plus en plus. »

Extrait de Ni witcimakan, de Pako

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Nanto

Folk atikamekw

Nanto

Pako

Makusham Musique

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