La réponse sonnera cliché et évidente, mais la voici quand même : les vieux. Les vieilles, pour être plus précis.

Et par vieux et vieilles, je réfère ici aux téléspectateurs qui ont le franchi le cap « vénérable » des 54 ans, une clientèle grise qui n’intéresse plus les annonceurs. Passé 54 ans, désolé, vous ne valez plus rien aux yeux des vendeurs de VUS, de spas ou de REER, dont les publicités financent, en grande partie, la programmation des chaînes privées.

La télé ne carbure qu’aux 25-54 ans, c’est plate et cruel de même. L’animatrice Marie-Claude Barrette, qui a fêté ses 54 ans en janvier, se pose des questions, justes et pertinentes, sur le sort que le petit écran réserve à ses consommateurs de plus de 54 ans, loin d’être grabataires, disons-le.

Obsédée par l’attraction et la rétention des générations Y et Z, la télévision généraliste québécoise tient pour acquis le noyau dur qui la fait vivre, soit les jeunes retraités, les boomers et même les cinquantenaires. Pourquoi les séduire ? Ils demeurent fidèles au poste, peu importe ce qu’il diffuse.

Âgée de 40 ans à son arrivée à Deux filles le matin de TVA, en septembre 2009, Marie-Claude Barrette se trouvait exactement au centre de la cible que convoitent tant les publicitaires.

« Les gens qui avaient 40 ans, à mes débuts, ils en ont 54 aujourd’hui. La clientèle vieillit, mais elle ne se renouvelle pas. Le matin, il y en a moins, des 25-54 ans, beaucoup sont retournés au bureau après la pandémie. Il va falloir repenser le système de publicité qui ne jure que par les 25-54 ans. Les gens vivent plus vieux, ils sont en forme et plus à l’aise financièrement. Ce n’est pas à 25 ans que tu peux t’acheter une Tesla », remarque Marie-Claude Barrette en entrevue.

L’animatrice du magazine Marie-Claude à TVA, dont le contrat n’a pas été renouvelé pour l’automne 2023, n’a pas tort.

Selon Isabelle Fournier, directrice, lead activation, chez Cossette Média, les 55 ans et plus composent 80 % de l’audience de la télé du matin. « En fait, l’écoute des chaînes spécialisées est plus forte que celle des réseaux conventionnels pendant le bloc du matin », ajoute Mme Fournier.

Sophie Labarre, cheffe des relations clients à l’agence dentsu X, brosse le même portrait : la télé matinale plaît essentiellement aux femmes plus âgées. À l’heure du deuxième café, il n’y en a juste pas, des jeunes devant leur écran. Et avec sa moyenne d’écoute de 202 000 téléspectateurs, Marie-Claude décroche 27 % de parts de marché, ce qui demeure impressionnant après 14 ans à l’antenne.

« Les 54 ans et plus valent autant que les autres publics. On parle de toujours être plus inclusifs avec les communautés culturelles ou avec les corps différents, mais on n’est pas inclusifs avec l’âge du public que l’on vise », constate Marie-Claude Barrette.

La télévision de jour sert également un bassin de gens plus vulnérables et isolés, pour qui cette programmation devient une sorte de compagnon de vie. « Il faut se rappeler l’importance de la télé. Il y a de plus en plus de gens seuls, et souvent, tu es la seule personne qui leur parle de la journée. Moi, j’ai grandi avec la télé, je viens d’une famille où la télé était importante. Les choses changent aujourd’hui avec la télévision à la carte, YouTube et les réseaux sociaux », souligne Marie-Claude Barrette.

Le dernier épisode du magazine quotidien Marie-Claude jouera le mercredi 12 avril à 10 h. D’ici là, il lui reste 24 émissions à enregistrer, l’équivalent du tiers de sa saison régulière.

« Je vais les faire dans le bonheur et dans le plaisir. C’est la fin d’un cycle de ma vie. J’ai toujours la lumière à on pour trouver des sujets, il y a tellement de choses qui m’allument. Je regarde L’empereur à Noovo et je me dis ça, c’est L’amour avec un grand A de 2023 », confie Marie-Claude Barrette.

Aux États-Unis, de grosses pointures accaparent les ondes à 9 h ou 10 h, dont Kelly Ripa, Ryan Seacrest, Drew Barrymore, Rachael Ray, Sherri Shepherd de même que Hoda Kotb et Jenna Bush Hager de la quatrième heure du Today Show. Chez nous, le créneau matinal meurt à petit feu.

Noovo y a renoncé – MCBG et C’est extra du temps de V, quelqu’un ? – et repasse maintenant des films. Télé-Québec consacre ses matinées aux tout-petits. Depuis la fin de l’émission quotidienne de Marina Orsini en 2019, Radio-Canada relaie la reprise d’On va se le dire de Sébastien Diaz contre Marie-Claude à TVA.

Et avant Marina, Radio-Canada a testé un paquet de concepts avec peu de succès, dont Alors on jase ! d’Élyse Marquis et Joël Legendre, Grosse journée d’Annie Broccoli, Ma vie en main de Mario Langlois, Droit au cœur de France Castel et 37,5 de Danielle Perreault.

« Radio-Canada a jeté la serviette après Marina Orsini. TVA a gardé le fort longtemps. Je les salue pour ça. Il y a des gens à TVA qui ont cru en moi, il y a des gens qui ont vu des choses en moi que je ne voyais pas », se souvient Marie-Claude Barrette, qui a fondé sa propre boîte de production, Humano, en partenariat avec le groupe Attraction de Richard Speer.

« Je peux produire des émissions dans lesquelles je ne serai pas. Être sous les projecteurs, ce n’est pas aussi important que de faire œuvre utile », rappelle Marie-Claude Barrette, qui sera peut-être la dernière des Mohicanes à siroter son Keurig avec nous à 10 h.

Malgré l’appui inconditionnel des « vieux », la télé du matin s’éteint.