(Ottawa) Le ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez, ne fait pas grand cas du fait que Facebook n’écarte pas la possibilité d’empêcher la publication de textes de nouvelles sur son réseau social au pays advenant que son projet de loi C-18, visant à forcer les géants du web à dédommager les médias, soit adopté.

« Moi, la menace, ça ne me fait pas trembler ben ben », a-t-il lâché mercredi lors d’une mêlée de presse avant son entrée à une réunion du caucus de son parti.

M. Rodriguez, qui est aussi lieutenant libéral du Québec, a réitéré à plusieurs reprises que le journalisme professionnel est « un pilier de notre démocratie » et qu’il est « juste normal » que les plateformes qui bénéficient de la valeur du contenu journalistique contribuent aux salles de nouvelles.

PHOTO SEAN KILPATRICK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez

Quoi qu’il en soit, M. Rodriguez estime que Facebook a le droit de cesser certains services, sans manquer de souligner qu’ils ont fait une menace semblable à l’Australie et qu’« en bout de ligne, ils sont restés ».

« Ils ont reculé et le peuple australien n’a pas beaucoup aimé ça et je ne pense pas que le peuple canadien aime beaucoup ça non plus », a-t-il dit.

Lors d’une réunion du Comité permanent de la sécurité publique et nationale la veille, une haute dirigeante de Meta Canada, la compagnie qui exploite Facebook au pays, a laissé entendre que le retrait de la possibilité de publier des articles de nouvelles sur Facebook demeure une option sur la table.

« Nous examinons toutes les options en fonction de notre évaluation du projet de loi », a déclaré Rachel Curran, gestionnaire responsable des politiques publiques, en réponse à la vice-présidente conservatrice du comité, Raquel Danquo, qui lui posait spécifiquement la question.

Le ministre Rodriguez a aussi accusé la porte-parole de Facebook d’avoir « menti » en déclarant que Facebook n’a pas été consulté sur le projet de loi, les ayant lui-même rencontrés. Or, Mme Curran a plutôt indiqué que l’entreprise en ignorait la portée jusqu’au dépôt du projet de loi.

« Prématuré »

Les conservateurs ont pour leur part déclaré que Facebook a été un peu trop rapide sur la gâchette.

« Pour l’instant, c’était prématuré selon moi pour un géant comme ça d’essayer de menacer les parlementaires avant même qu’on étudie le projet de loi », a déclaré leur chef adjoint et lieutenant politique pour le Québec, Luc Berthold.

Le député, qui a été rédacteur en chef avant de faire de la politique, a raconté que des journaux régionaux et locaux sont passés de 100 à 24, voire 16 pages.

« Ça n’a absolument aucun bon sens, s’est-il indigné. Et où est allé tout cet argent-là en publicité ? C’est pas vrai que les commerces n’annoncent pas. Donc on a vu une fuite de la de l’argent publicitaire vers les géants du web. »

Et bien que M. Berthold refuse de dire clairement si sa formation va appuyer le projet de loi, le sénateur Claude Carignan, qui en sera le critique à la chambre haute, a déclaré qu’« on va… en tout cas, de mon côté, je vais le supporter ».

« Ça démontre la nécessité d’adopter le projet de loi, a-t-il dit. Je pense qu’on doit s’assurer que Facebook respecte les règles comme tous les autres. Et quand on se pense plus puissant qu’un gouvernement, il est temps d’agir, puis de s’assurer qu’on partage le contenu. »

Le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), Jagmeet Singh, a pour sa part affirmé qu’une telle déclaration de Facebook n’est pas surprenante « parce qu’ils ont menacé de faire la même chose en Australie ».

« Ils ne veulent pas payer leur juste part, mais ça ne doit pas nous arrêter de faire ce qui est juste », a-t-il soutenu en conférence de presse.

Au Bloc québécois, le porte-parole en matière de patrimoine, Martin Champoux, a aussi indiqué ne pas être surpris que Facebook réagisse ainsi et ne pas être inquiet.

« C’est exactement la position qu’ils ont adoptée en Australie : d’être un peu menaçant et de rejeter la possibilité que cette réglementation puisse se faire sans heurts, a-t-il noté en entrevue avec La Presse Canadienne. Ceci étant dit, je pense que l’expérience qui a été vécue en Australie devrait rassurer le gouvernement du Canada. »

Le projet de loi C-18, qui a été déposé au début du mois, vise à forcer des plateformes numériques telles que Facebook à conclure des ententes d’indemnisation « équitables » avec les salles de nouvelles.

Si l’effet de la législation s’avérait comparable à celle déjà adoptée en Australie, les sommes revenant aux médias d’information canadiens sont estimées entre 150 à 200 millions, avait évoqué le ministre Rodriguez.

Note aux lecteurs : Ceci est une version corrigée. Dans une version précédente, La Presse Canadienne rapportait que Facebook n’excluait pas de plier bagage si le projet de loi C-18 est adopté. Or, c’est plutôt de retirer les articles de nouvelles de sa plateforme qui n’est pas exclu.