La balado québécoise se porte bien, merci. C’est le constat qui ressort de trois jours de rencontres et de discussions entre les grands acteurs du milieu, rassemblés à Gatineau le week-end dernier dans le cadre du Festival de la radio numérique. La Presse y était aussi.

À l’image de l’effervescence qui règne dans l’univers des émissions balado, ça fourmillait dans les locaux du centre culturel La Basoche du Vieux-Aylmer, le week-end dernier.

À l’invitation du Festival, plus d’une vingtaine de créateurs se sont réunis pour discuter des grands enjeux de ce jeune médium en pleine explosion. Autour d’eux gravitaient des centaines de spectateurs. Au total, plus de 3500 personnes se sont déplacées pour assister aux enregistrements d’une douzaine de balados telles Couple ouvert, À quoi tu jouis ?, Deviens-tu ce que t’as voulu ? ou Tout le monde s’haït. Pas moins de 27 activités ont été présentées lors des trois jours du festival.

« Le milieu est vraiment en ébullition », lance Émile Gauthier, coréalisateur de la balado Distorsion, qui traite d’histoires étranges et mystérieuses de l’ère numérique. « Les créateurs indépendants, dont nous faisons partie, n’ont jamais été aussi nombreux. Et le contenu n’a jamais été aussi diversifié. Les sujets sont de plus en plus pointus : humour, sports, enquêtes criminelles, contenu féministe ou politiquement engagé... »

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Émile Gauthier, coréalisateur de la balado Distorsion

« La relève est très forte, poursuit Émile Gauthier dans le café bondé du centre culturel. Les jeunes créateurs sont talentueux et polyvalents. Ce sont des natifs du numérique qui n’ont pas peur de l’aspect technique. En plus, la balado est maintenant enseignée dans plusieurs écoles. »

Certes, la technique s’enseigne, tout comme l’art de l’entrevue, la science du punch comique ou les ficelles de la scénarisation. Ce qui est plus difficile à acquérir en classe, c’est la persévérance nécessaire pour faire passer une baladoémission d’une simple idée à un projet rentable.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

PH Caron-Cantin participe à la balado Sans filtre.

Car il faut être très passionné pour se lancer dans ce genre d’aventure, disent tous les intervenants interrogés. Il suffit d’en parler à PH Caron-Cantin et à Doum Plante. Ces derniers ont enregistré une cinquantaine d’épisodes de la balado Sans filtre « à côté du toaster de la cuisine » avant de fonder leur studio d’enregistrement, le Studio SF.

Même Mike Ward a connu des années de vaches maigres avant de connaître le succès qu’on connaît : attirer 20 000 personnes au Centre Bell pour l’enregistrement de Sous écoute en juillet dernier. « Il nous a fallu sept ans avant d’être rentables », lance son imprésario, Michel Grenier, au cours d’une plénière sur la monétisation des balados. « On a enregistré nos premiers épisodes dans un salon, puis devant 30 personnes au Bordel. »

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Mike Ward au Centre Bell le 22 juillet dernier

Charles Thomson, qui enseigne la création de balado à l’École nationale de l’humour et à l’Union des artistes, était aussi présent au festival. Il compare le chemin vers la rentabilité à un marathon. « Ça prend de l’énergie et du temps. Il faut vraiment s’impliquer ! Et beaucoup de gens finissent par trouver difficile de tenir le coup de façon récurrente. »

Ce n’est donc pas ici que les chercheurs d’or feront fortune ?

Au Québec, on compte sur les doigts d’une seule main les gens qui réussissent à vivre uniquement grâce à la balado. Dans 99 % des cas, les gens ne se lancent pas dans la baladodiffusion pour l’argent. C’est davantage pour transmettre une passion, pour connecter avec une communauté.

Charles Thomson, qui enseigne la création de balado à l’École nationale de l’humour et à l’Union des artistes

Le nombre d’auditeurs en hausse

Cette communauté d’auditeurs de balado est de plus en plus grande, selon les spécialistes rencontrés lors de l’évènement. Il faut toutefois mettre un bémol ici : les statistiques d’écoute sont souvent parcellaires, car certains géants comme Spotify refusent de divulguer les chiffres des balados hébergées sur leur plateforme.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Julien Morissette, directeur artistique de Transistor Média

N’empêche. Julien Morissette, directeur artistique de Transistor Média qui organise le Festival, estime que « la pandémie a apporté une hausse d’adoption de cette forme de médium ».

Quelques chiffres

47 %

Augmentation de l’écoute des balados entre l’automne 2019 et le printemps 2022 chez les francophones canadiens

Source : Observateur des technologies médias

25 %

Taux de pénétration des balados chez les francophones canadiens à l’automne 2022. Selon l’Observateur, ce chiffre grimpera à 29 % à l’automne 2024. À noter : le taux de pénétration était de 10 % en 2017.

Source : Observateur des technologies médias

5

Nombre de balados écoutées en moyenne par semaine par les auditeurs canadiens adeptes de balados

Source : Edison Research, en collaboration avec Triton Digital

Selon l’Observateur des technologies médias, Radio-Canada OHdio est la troisième plateforme en importance utilisée par les francophones du pays pour accéder à du contenu en balado. La première est Spotify.

La pénétration est encore plus grande chez les Canadiens anglais. Une recherche réalisée par Edison Research, en collaboration avec Triton Digital, a révélé que 58 % des Canadiens de plus de 18 ans avaient écouté une balado l’an dernier. Aux États-Unis, ce chiffre est de 49 %, selon le Pew Research Center. La progression est constante depuis 2013 chez nos voisins du Sud.

À Radio-Canada, on remarque aussi une progression fulgurante depuis le lancement de la plateforme OHdio, en novembre 2019. « On parle d’une augmentation de 18 % entre 2021 et 2022, lance Natacha Mercure, première directrice, audionumérique, chez Radio-Canada. C’est impressionnant quand on pense qu’il n’y a pas si longtemps, plusieurs ne savaient pas ce que le mot balado voulait dire ! »

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Foule rassemblée à Gatineau pour le week-end du Festival de la radio numérique

Un parfum de Far West

Bref, le médium est en train de se tailler une place importante dans le quotidien de plusieurs, surtout chez les 18-29 ans, selon le Pew Research Center. Mais il plane toujours sur l’ensemble du milieu un parfum de Far West. Les règles d’éthique sont très aléatoires. Des balados naissent et meurent chaque jour. Le public ne sait pas toujours où trouver le matériel qui l’intéresse. Et de grands diffuseurs comme Radio-Canada (OHdio) ou Québecor (avec Qub) pataugent dans le même étang que des petits créateurs qui travaillent dans leur sous-sol.

« Le milieu a besoin de se structurer », estime Julien Morissette. C’est pourquoi les producteurs et créateurs indépendants ont jeté les bases d’une association lors d’une rencontre tenue samedi dernier dans un hôtel du Vieux-Aylmer. « C’est important pour pouvoir parler d’une seule voix par rapport à certains enjeux ou encore pour défendre nos intérêts et nos réalités auprès des diffuseurs et des plateformes de distribution internationales comme Spotify ou Amazon Music. »

Stéphane Berthomet, producteur de balados et président des Productions go-script-média, est du même avis : « Les balados vont bien au Québec, à tous les points de vue. Et notre volonté de nous rassembler pour continuer d’aller de l’avant en est la preuve. Il reste à espérer que les gros acteurs que sont Spotify et compagnie investiront dans la production d’ici. Le marché est petit au Québec, nous sommes limités dans notre capacité à produire du contenu. Ça nous permettrait de passer à un autre niveau. Et de trouver un autre public. »

Il conclut : « Il faut aussi que les médias traditionnels en parlent davantage pour que les lecteurs soient capables de nous trouver, de nous écouter. »

Cinq balados à découvrir

Julien Morissette nous présente ses coups de cœur, entendus lors des éditions récentes du Festival de la radio numérique.

Les pires moments de l’histoire

« Cette balado de Charles Beauchesne, qui porte sur l’Histoire avec grand H, est incontournable. C’est ma balado d’humour préférée au Québec. »

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Peut contenir des traces de blagues

« Animée par Anaïs Favron et destinée aux adolescents, cette balado propose de l’improvisation avec une diversité de voix. La deuxième saison n’est pas confirmée, mais je croise les doigts ! »

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Transmission

« Cette balado sortie en 2019 reste l’une des meilleures au Québec. Annie Desrochers et le réalisateur Cédric Chabuel sont derrière cette balado qui mêle histoire hydroélectrique et histoire familiale. »

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Le petit astronaute

« Cette adaptation d’une bande dessinée de Jean-Paul Eid est un bon référent lorsqu’il est question de livre audio augmenté. L’univers sonore est plus riche. »

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Captives

« Annie Laurin et Michèle Ouellette sont derrière cette balado indépendante consacrée à l’histoire criminelle du Québec. C’est fait avec beaucoup de rigueur, la recherche est solide. »

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