Joël Le Bigot, Paul Houde, Pierre Bruneau, Denis Lévesque, Michel Lacombe, Denis Gagné, Pierre Therrien, Jacques Fabi… En 30 ans de carrière dans les médias, c’est la première fois que j’assiste à un aussi grand nombre de départs et de changements en une si brève période. Et puis, il faut se le dire, ça saute aux yeux : ce mouvement touche essentiellement des hommes sexagénaires et septuagénaires.

Ce changement de garde hors de l’ordinaire s’explique par diverses raisons. D’abord, il faut tenir compte du contexte, celui de la pandémie. Au printemps 2020 et 2021, les patrons ont peu modifié leurs grilles horaires et la composition de leurs équipes. Ce n’était pas le moment de le faire.

Mais cette pandémie leur a aussi donné l’occasion d’avoir une réflexion sur l’avenir du média qu’ils dirigent. Maintenant que les choses vont mieux, ils passent à l’action.

Cette période trouble a aussi permis à certains artisans de la radio et de la télévision de faire une introspection pour mieux entrevoir les prochaines années. Il ne faut pas croire que tous ces départs relèvent uniquement de la volonté des patrons.

Bref, certains animateurs s’en sont remis à la chanson de Charles Aznavour (lui qui s’est ironiquement accroché à la scène jusqu’à sa mort) dans laquelle il dit qu’« il faut savoir quitter la table ».

Cela dit, il faut être naïf pour ne pas comprendre que si les médias poussent leurs vétérans vers la sortie, c’est aussi pour « rafraîchir » leur image et créer une plus grande diversité.

Cette pratique est loin d’être nouvelle. Depuis que je pratique ce métier, je vois inlassablement des collègues quitter ce boulot auquel il est difficile de s’arracher, car il est fait de passion, d’excitation et de cette drogue dure qu’est l’attention du public.

Périodiquement, on assiste à des vagues de départs pour « rafraîchir », pour « renouveler », pour « rajeunir ». Ces opérations sont à la fois cruelles et naturelles.

Mais peut-on parler un instant d’équilibre et de mélange ? Sur ICI Première, la grande majorité des têtes d’affiche sont maintenant des quadragénaires ou des quinquagénaires. Les plus âgés sont maintenant les Michel Désautels, Alain Gravel, René Homier-Roy et Franco Nuovo. Il y a là un équilibre intéressant et souhaitable, je trouve.

Et peut-on parler de pertinence ? Dans les médias, comme partout ailleurs, on peut être pertinent à 72 ans et ne pas l’être à 38 ans. C’est aussi ça que les patrons doivent regarder.

Et puis, il y a le bagage culturel. Chacun a son lot de culture, d’expériences, de curiosité, de talent. Ce n’est pas une question d’âge. Mais entre un animateur mûr et bourré de connaissances et un jeune chroniqueur qui me lit un communiqué de presse, je vais nettement préférer le premier.

Quand j’ai commencé à faire de la radio, au début des années 1990, le légendaire Henri Bergeron venait coacher les débutants dans les stations régionales. Il écoutait les chroniqueurs et les animateurs à l’antenne et faisait ensuite part de ses impressions. Tout en appréciant les conseils de ce vétéran, je me suis demandé s’il était heureux de jouer ce rôle après des années de gloire.

Une carrière dans le monde des médias est souvent en montagnes russes. Chaque parcours est unique. Parfois la gloire se vit au début, parfois elle est à mi-parcours. Parfois même, elle revient alors qu’on la croyait disparue.

Le métier d’animateur est absolument exaltant. Mais il repose sur le rendement et l’image. Tes cotes d’écoute ne sont plus bonnes ? Ciao, bye ! Tu sonnes mononcle à l’antenne ? Ciao, bye ! Tes rides commencent à trop paraître ? Ciao, bye !

Ces nombreux départs qui annoncent une importante vague de changements à l’automne frappent l’imaginaire car, c’est bien connu, les médias aiment parler des médias. Et aussi parce que les personnalités de la radio et de la télé font un peu partie du quotidien du public.

Savoir « quitter la table » est difficile pour tout le monde, que l’on soit comptable, avocat, professeur ou médecin. Mais alors que nous vivons une grave pénurie de main-d’œuvre et que les « vieux » sont de moins en moins vieux, le monde des médias est l’un des rares secteurs qui osent s’offrir le luxe du rajeunissement.

On se bat contre des stéréotypes de toutes sortes et le diktat de la peau lisse. Tout cela pour arriver à quoi ? À prôner le rajeunissement à tout prix. N’y a-t-il pas là une contradiction ? Nous en sommes à répéter qu’il faut rafraîchir… parce qu’il faut rafraîchir. Le problème, c’est qu’on ne sait pas toujours pourquoi on le fait.

Comme bon nombre d’entre vous, j’ai cessé de m’interroger sur les raisons de cette obsession. Je me dis qu’il faut rafraîchir, car cela nous permet de découvrir de nouveaux talents, de nouvelles idées, de nouvelles têtes.

Mais j’aimerais bien qu’on m’explique un truc.

On recrute de jeunes visages qui ont 30, 40 ou 50 ans. Et quelle est la première chose que l’on fait ? On les amène dans un studio pour les photographier. On les maquille et on les photoshope à outrance tant et si bien qu’on a du mal à les reconnaître sur les panneaux aux abords des autoroutes.

C’est rendu qu’on rajeunit ceux qui symbolisent le rajeunissement… Ça frôle la névrose, vous ne trouvez pas ?

On ne cesse de nous répéter qu’on vit vieux plus longtemps. On devrait aussi nous dire qu’on est jeune de moins en moins longtemps. Ça serait plus juste.

Alors, on ferme la shop ou on se photoshope ? Là est la question !