Le 28 mars, le vénérable quotidien britannique The Guardian s’est excusé officiellement pour les liens de son fondateur avec le trafic d’esclaves. Cette histoire pourrait avoir des suites. Explications.

Quelle est l’origine de cette histoire ?

Le 17 juillet 2020, le Scott Trust, fondation propriétaire du Guardian, annonce le lancement d’une recherche pour vérifier si le fondateur du journal (en 1821), John Edward Taylor, avait des liens avec la traite des esclaves. « Nous n’avons aucune preuve que Taylor était propriétaire d’esclaves ni impliqué de manière directe dans la traite des esclaves, écrivait Alex Graham, président de la fiducie. Mais si de telles preuves existaient, nous voudrions être ouverts à ce sujet. »

D’où viennent les soupçons ?

John Edward Taylor n’était pas seulement journaliste. Il était aussi marchand de coton et autres textiles. Il côtoyait des hommes d’affaires de Manchester, ville où a été fondé The Guardian, engagés dans cette industrie qui, au XIXe siècle, exploitait des esclaves noirs.

Qu’a-t-on découvert ?

Le mandat a été confié à des chercheurs indépendants des universités de Nottingham et de Hull sous la supervision de Sheryllynne Haggerty, experte en histoire du commerce transatlantique des esclaves. Dans des livres de comptes, ils ont découvert que Taylor possédait des intérêts dans des entreprises de production et d’importation de coton brut cultivé par des esclaves américains dans l’archipel des Sea Islands, en Caroline du Sud et en Géorgie. Ils ont aussi établi que 9 des 11 bailleurs de fonds originaux du Manchester Guardian avaient des liens directs avec ces entreprises.

Outre des excuses, qu’a fait The Guardian ?

Le quotidien s’est engagé à investir plus de 10 millions de livres (16,8 millions CAN) dans un fonds de justice réparatrice au bénéfice des descendants des communautés concernées, aux États-Unis, en Jamaïque et au Royaume-Uni. Il a aussi mis en ligne un reportage en série intitulé The Cotton Capital1 dont le sous-titre réfère à l’impact de l’esclavage sur ce journal, l’Empire britannique et le monde.

Le Royaume-Uni doit-il faire la même chose ?

Oui, et la royauté aussi, insistent des dirigeants de l’ONU. Jeudi, l’universitaire jamaïcaine Verene A. Shepherd, à la tête du comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination raciale, réclamait que l’État et la royauté britanniques ouvrent des enquêtes. Elle rappelait que le gouvernement britannique n’a jamais offert d’excuses sur son rôle dans la traite d’esclaves africains.

D’autres médias doivent-ils aussi revoir leur passé pour vérifier s’ils ont commis l’un ou l’autre type de discriminations ?

« Comme journalistes, on a le droit de faire tout ce qu’on veut comme recherche. Et je pense que si des gens ont des doutes sur certaines parties de l’histoire de nos grands médias, que ce soit le New York Times, le Washington Post, Montreal Gazette, The Montreal Star ou La Presse, pourquoi pas ? », répond Alain Saulnier, expert en médias et auteur de l’ouvrage Les barbares numériques. « Mais il ne faut pas que tout le monde se garroche là-dedans en même temps. Car on risque d’en mettre plus que le client en demande et ça va banaliser les choses un peu. On peut y aller de façon progressive. » D’autres États et des entreprises indépendantes pourraient aussi fouiller leur passé, croit-il.

Qu’en est-il du passé canadien ?

L’esclavage a existé au Canada et a été aboli en 1834. Des Noirs et des membres des Premières Nations ont été réduits à l’esclavage. Par ailleurs, le Canada connaît aussi des épisodes de discrimination. Ce fut notamment le cas avec la création du 2e Bataillon (ségrégé) de construction durant la Première Guerre mondiale envers lequel le gouvernement fédéral a présenté ses excuses officielles le 9 juillet 2022.

Et après les excuses ?

Les excuses canadiennes ont été présentées à la suite des travaux d’un comité national qui a fait huit recommandations. Le gouvernement fédéral a respecté chacune de celles-ci, indiquent les Forces armées canadiennes dans un courriel non signé. Quatre des huit recommandations ont été réalisées à travers la cérémonie du 9 juillet 2022. Il en reste quatre autres, dont « la création et le soutien d’un fonds d’héritage à long terme » destiné à sensibiliser et à perpétuer la mémoire du 2e Bataillon.

Et ailleurs au pays ?

Au Nouveau-Brunswick, le militant acadien Jean-Marie Nadeau réclame le changement du nom de l’Université de Moncton. Il rappelle que le nom de la plus grande ville de la province tient de l’administrateur colonial Robert Monckton qui « a joué un rôle actif dans l’emprisonnement et l’expulsion de milliers d’Acadiens », rappelle ICI Nouveau-Brunswick. En Ontario, l’Université Ryerson a changé de nom pour Toronto Metropolitan University. L’homme de qui était inspiré son nom, Egerton Ryerson, est associé aux pensionnats autochtones.

1 Consultez le dossier du Guardian sur l’esclavage : « Cotton Capital. How slavery changed the Guardian, Britain and the world » (en anglais)
En savoir plus
  • Pour en savoir plus sur l’esclavage au Canada
    On lit Deux siècles d’esclavage au Québec (Biblio québécoise) de Marcel Trudel et on regarde le documentaire Les mains noires d’Ayana O’Shun (aussi appelée Tetchena Bellange) qui évoque l’histoire de l’esclave Marie-Josèphe Angélique, accusée d’être à l’origine de l’incendie de Montréal en 1734 et exécutée. Œuvres disponibles à la Grande Bibliothèque du Québec.