Jacob et le ski, ce fut un coup de foudre.

Un coup de foudre inattendu : le sport n’avait jamais été une priorité pour Jacob. Il était plus du genre lecture et Lego, avant. Quand ses parents ont essayé de le faire jouer au soccer, deux saisons, ce fut un échec, un ennui total pour Jacob.

En 2017, la mère de Jacob et son chum ont acheté un condo à Tremblant. Et, allez savoir pourquoi, là, ce fut le coup de foudre. Il a tout de suite aimé le ski.

En décembre 2018, au pied de la montagne, Jacob a remarqué une animation particulière. C’était « les 24 heures », comme disent les initiés : les 24 heures de Tremblant, un événement où on skie en équipe pendant 24 heures, tout en amassant des sous pour divers organismes œuvrant pour les enfants.

Le plus gros bénéficiaire des sommes amassées par les 24 heures de Tremblant : la Fondation Charles-Bruneau, qui œuvre pour les enfants atteints de cancer.

Cette réalité-là, le cancer des enfants, a eu un effet immense sur Jacob, ce soir-là, au pied de la montagne. Hein ? Des enfants sont malades du cancer ? Il y en a qui en meurent ?

« Maman, je veux qu’on monte une équipe pour l’an prochain ! »

Sa mère a dit oui, oui, bien sûr, Jacob, en espérant que ça lui passe : monter une équipe de skieurs et amasser des fonds dans les mois menant aux 24 heures, c’est beaucoup, beaucoup, beaucoup de travail…

PHOTO FOURNIE PAR KARINE MAINVILLE

Jacob Tourigny (à droite) avec son petit frère Elliot

Le hasard a voulu que ce même mois de décembre 2018, Jacob visite la Fondation Charles-Bruneau avec sa classe de l’école Vision de Terrebonne. Jacob y a rencontré Pierre Bruneau lui-même, l’increvable chef d’antenne de TVA, père de Charles, mort de la leucémie en 1988. Le journaliste leur a raconté la vie de Charles, ainsi que son propre combat depuis des décennies au sein de la Fondation, pour aider les enfants malades.

Ce soir-là, Jacob est revenu à la maison avec la biographie de Pierre Bruneau. Sa mère, Karine Mainville : « Jacob avait encore plus le goût de faire les 24 heures de Tremblant. »

En janvier 2019, pour la première fois, Jacob a descendu les pistes de Tremblant seul. Il était fier. Fier et prudent, pas cowboy.

À la fin du mois, Jacob s’est mis à se sentir mal. Il s’est mis à avoir des bleus après s’être chamaillé avec son beau-père, Éric Lafleur.

Karine, médecin, n’a pas aimé ces bleus-là.

Hôpital Sainte-Justine, pavillon Charles-Bruneau, tests.

Le 1er février, le diagnostic est tombé : leucémie lymphoblastique.

C’est un diagnostic terrible, épouvantable. C’est un cancer, à 11 ans.

Mais il faut savoir une chose des cancers pédiatriques : des bonds de géant ont été faits en matière de traitements, depuis 25 ans. Les taux de guérison des cancers pédiatriques sont formidables. Il y a des séquelles aux traitements, des séquelles qui durent toute la vie parfois, bien sûr, mais la majorité des enfants survivent.

PHOTO FOURNIE PAR KARINE MAINVILLE

Jacob Tourigny

C’est à ça que l’entourage de Jacob s’est accroché : les chances sont du bord de Jacob. Le taux de survie, chez les enfants atteints d’une leucémie lymphoblastique, est de 95 %.

À l’école Vision, la classe de sixième s’est mobilisée. Les amis de Jacob ont préparé une visite à Sainte-Justine, dès que Jacob pourrait les accueillir. Ils ont fabriqué une banderole : JACOB STRONG. La Fondation Charles-Bruneau a demandé au champion de ski Erik Guay s’il accepterait d’aller rencontrer Jacob, fan fini de ski. Guay a tout de suite accepté d’y aller, bientôt…

Mais le diagnostic a changé, après quatre jours à Sainte-Justine : leucémie myéloïde aiguë. Taux de survie : 70 %. Mais une variante génétique, dans le cas de Jacob, faisait passer le taux de survie à 50 % sur cinq ans.

Bref, le pronostic s’est assombri en quelques jours. Reste que l’optimisme n’était pas non plus un luxe : 50 % de taux de survie, c’est mieux que la loterie…

Sauf que la maladie a été foudroyante : huit jours après son admission à Sainte-Justine, le matin du 9 février 2019, Jacob Tourigny, onze ans et demi, est tombé en état de mort cérébrale aux soins intensifs de l’hôpital.

Ceux qui l’aimaient ont tous pu le voir avant sa mort : sa mère Karine, son père Francis, son petit frère Elliot, ses beaux-parents Éric et Geneviève, ses demi-sœurs Vivi-Anne et Marguerite.

Jacob était dans un coma induit quand on l’a débranché, à 17 h 43. À 17 h 45, son cœur cessait de battre. Il était entouré de son père, de sa mère et de ses beaux-parents.

***

Neuf mois plus tard, « Jacob Strong » est le nom de l’équipe de Karine Mainville qui participera le premier week-end de décembre aux 24 heures de Tremblant.

« Je n’avais aucun objectif en commençant, dit Karine Mainville. J’ai commencé par solliciter mes amis Facebook. Puis les collègues, via le conseil des médecins, dentistes et pharmaciens de mon hôpital. Et j’ai sollicité l’Association des radiologistes du Québec. J’ai parlé de Jacob et des 24 heures de Tremblant dans des groupes de mères médecins, on a eu des dons de Saskatchewan, de gens que je ne connais même pas… »

Pour résumer : l’équipe Jacob Strong trône tout en haut du palmarès des dons amassés : 112 965 $ récoltés par les 12 membres de l’équipe, à trois semaines de l’événement. Presque trois fois plus que l’équipe en deuxième place.

Je demande à Karine Mainville si cette implication dans les 24 heures de Tremblant, auxquelles Jacob aurait voulu participer, donne en quelque sorte un sens à la mort de son fils…

« Totalement, répond-elle. Je ne pensais jamais que ça allait me porter comme ça. Là, on a tous beaucoup d’énergie. Sachant que Jacob voulait être de la partie, je me sens portée. J’ai de la résilience au quotidien, malgré la peine. C’est quand je regarde les photos de Jacob que… que je me dis que ça n’a pas de sens. Tu mets un enfant au monde et 11 ans plus tard, il meurt. C’est insensé. »

***

Karine Mainville est médecin, fille de faits, de science et de rigueur.

Elle repense à toutes ces coïncidences dans l’histoire de Jacob.

Lui qui n’aimait pas le sport et qui craque pour le ski… Sa découverte des 24 heures de Tremblant en même temps que sa découverte du cancer chez les enfants… Sa visite à la Fondation Charles-Bruneau… Sa mort d’un cancer, deux mois plus tard – d’une leucémie, comme Charles Bruneau… Les 24 heures qui financent la fondation qui a financé le pavillon Charles-Bruneau, où Jacob est mort.

« Le mot auquel je pense, dit Karine, c’est “synchronicité”… »

C’est le psychanalyste Carl Jung qui a accouché de ce concept de « synchronicité », concept selon lequel – je résume grossièrement – des événements sans lien entre eux deviennent des faits chargés de sens, pour la personne qui les perçoit…

Ce qui est de la pseudoscience ésotérique, impossible à prouver, bien sûr.

Mais Karine, la fille de faits et de science, ici, là-dessus, est shakée.

Je ne peux pas ne pas croire à cette synchronicité, à tous ces liens entre éléments qui s’alignent, dans l’histoire de Jacob…

Karine Mainville

Je suis un peu comme Karine, pas très Jung, pas très ésotérique, disons. Mais j’ai une « clause dérogatoire » qui touche ceux qui sont partis : on a droit à toutes les synchronicités, on a droit de voir du sens dans tous les signes qu’on choisit de voir.

Ça aide à les garder vivants dans nos cœurs. C’est pas rien, ça. Même que c’est tout, des fois.

Dernière synchronicité dans l’histoire de Jacob Tourigny : Karine espère que l’équipe Jacob Strong va surpasser le record des 24 heures de Tremblant, qui est de 161 048 $, amassés par une équipe en 2007.

Qu’est-ce qui s’est passé, en 2007 ?

Karine : « Jacob est né. »

***

Je relisais mes notes de l’entrevue avec Karine, je pensais à la tragédie sans nom de la mort d’un enfant, cri silencieux, j’essayais d’imaginer ce que vivent ceux et celles qui ont aimé – qui aiment – Jacob.

Et j’ai pensé à une chanson que j’écoute en boucle ces jours-ci, en cet hiver arrivé trop tôt.

Il n’y a pas de mots dans ce monde qui pourront guérir cette douleur Parfois Ça va tomber sur tes épaules Mais tu vas rester debout quand même

C’est de Patrick Watson, Here Comes the River.

Comment rester debout, quand la vie te tombe dessus ?

Peut-être que trouver un peu de sens dans l’insensé, ça aide à rester debout, à faire face, à ne pas perdre tout à fait pied.

Les parents de Jacob ont accepté que soit pratiquée une autopsie sur le corps de Jacob. Les médecins voulaient comprendre pourquoi Jacob était mort si vite, si brutalement.

Car c’est rare, mourir ainsi : sur 60 enfants ayant un diagnostic, aucun ne meurt dans la phase aiguë suivant le diagnostic. Médicalement, à ce stade, la mort de Jacob était une aberration, une exception exceptionnelle.

Et des mois plus tard, les médecins ont trouvé des réponses. Un protocole d’examen préliminaire de cellules a été changé. La mort de Jacob va peut-être aider, à sa façon, à en éviter d’autres.

Puis, dans trois semaines, avec des centaines d’autres beaux fous, sur cette montagne qui était si précieuse dans le cœur de Jacob, beaucoup d’argent sera amassé pour aider les enfants malades.

Si ce n’est pas donner un peu de sens à l’insensé, je ne sais pas ce que c’est.

« On dirait que je suis fière de montrer ce que Jacob voulait faire, dit Karine. Et je sens que Jacob lègue quelque chose. On transforme quelque chose de triste en quelque chose de beau… »

Plus que beau, je dirais.